ARTICLE11
 
 

vendredi 17 avril 2009

Le Charançon Libéré

posté à 13h14, par JBB
36 commentaires

Freak power ! La révolution sera joyeuse et foutraque (ou ne sera pas)
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C’est mort. Notre monde est morne, notre société chiante, et même les ultimes opposants à la machine molle feraient bailler d’ennui un poisson rouge lymphatique. Ni folie ni talent, nous manquons d’envie et de passion. Nous devrions dévorer le vieux monde, le violer séance tenante, nous ne faisons que le regarder passer. Alors : autant se réfugier dans les Sixties, qu’on rigole un peu.

« Il faut saisir chaque moment comme s’il était le dernier ».
Thoreau.
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Une palanquée de foutus larrons, experts à dynamiter les conventions, à se jouer des codes du genre révolutionnaire1, à prôner le stupre, le foutre et la jouissance comme exercice de gouvernement, à refuser d’entrer dans le jeu - fut-il radical - sauf à en créer ses propres règles, à dire merde aux méchants, aux gens trop sérieux, aux dogmatiques chiants et aux théoriciens réducteurs. Les seuls militants qu’on serait prêt à suivre les yeux fermés et les sens en éveil, justement parce qu’ils ne le sont pas. Mais inventifs, originaux, jamais fatigués. Débraillés, allumés, vraiment barrés. Rigolards, géniaux et profondément anarchistes. Gens qui avaient compris combien, au froid constat actuel d’une Insurrection qui vient2, il manquerait toujours le chant de la vie et de la folie, l’amour du genre humain, de la musique, de la fête et de la drogue. Il y a cinquante ans ou aujourd’hui, un même constat : la révolution ne sera que défaites si elle ne nous permet de jouir davantage.

« Ce ne sont jamais les excès qui tuent, mais ce qui les contrarie. »
Raoul Vaneigem, Le Livre des plaisirs.

Paradoxe : c’est dans la froide et engoncée Amérique, sortant du maccarthysme et toute en proie à un désolant rigorisme, que ces géniaux dynamiteurs se sont pleinement fait entendre. Et on cherchera vainement, si ce n’est dans les marges, de mouvements d’une telle ampleur dans une Europe qui s’est pourtant toujours rêvée à la pointe des combats culturalo-politiques. Fouillez ! Il y a bien les provos, quelques situs dissidents prônant l’éthylisme comme seul moteur de la révolution, d’éphémères militants de la libération sexuelle - pâle copie de leurs inspirateurs américains - et des marginaux solitaires. Mais rien de comparable à ce climat de frénésie libératrice qui agite les Etats-Unis durant les années 1960. Pour le plaisir, retour sur quelques épisodes qu’on ne devrait pas oublier, histoire de ne pas rater les soulèvements qui s’annoncent.

Prends un acide et monte dans le bus !

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1964, un bus scolaire repeint aux couleurs psychédéliques. Au volant, Neal Cassady, conducteur fou, carburant aux amphétamines et toujours pressé de prendre la route, figure tutélaire de toutes les joyeuses expériences de l’époque3 (jusqu’à l’épuisement et une mort aussi triste que solitaire, cœur qui lâche aux abords d’une voie ferrée mexicaine en 1968).

Cassady au volant, donc, et Ken Kesey à l’arrière, agitateur classe et auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Infatigable promoteur du LSD, aussi, jusqu’à acheter une maison californienne, La Honda, pour en faire le lieu de toutes les expérimentations psychédéliques, endroit où des orgies de sexe, de musique et d’acide se tiendront pendant des mois sous les yeux effarés et dégoûtés de flics impuissants4, uniformes tout juste bons à surveiller la demeure de loin et à contrôler ceux qui - beatniks, premiers hippies, intellectuels en marge et Hell’s Angels - venaient s’y défoncer dans la joie et la bonne humeur5.

Cassady au volant, Ken Kesey à l’arrière, donc, et avec lui toute la troupe des Merry Pranksters, bande d’allumés carburant au LSD et n’ayant d’autre but que de répandre la bonne parole psychédélique à travers l’Amérique profonde en organisant fêtes - ces mythiques « acid test » où les acides se distribuaient à la louche, mélangés à du jus d’orange - et concerts avec les Grateful Dead. L’idée ? Y aller sans retenue, au cours d’un voyage qui verra le bus relier la côte Est à son pendant Ouest. Que chacun fasse ce qui lui tient à cœur, pour peu que ce soit fou et déjanté. Et puis, repousser tellement loin les limites de l’acceptable que le bourgeois moyen ne pourra en rester qu’interdit et désemparé, et les flics avec lui. L’odyssée dure quelques mois, Tom Wolfe la contera trois ans plus tard dans Acid Test, bouquin fondateur qui rapporte l’hallucinante épopée des Pranksters et pose les bases du Nouveau journalisme. Mais plus qu’un très bel objet littéraire, le bus des Merry Pranksters doit rester cette preuve absolue que nous ne serons jamais assez fous, assez délirants, assez audacieux à l’heure de tout remettre en cause et d’envoyer chier la horde de pisse-froids qui contrôle le monde.

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Révèle le cochon qui est en toi et présente-le aux élections !

Il ne faut surtout pas les confondre avec les hippies, ces envapés mous qui ont cru changer le monde en prenant leur pied tout seul. Ok : les Yippies prennent leur pied et croient changer le monde, mais ils foutent en sus le bordel partout où ils passent. La nuance est d’importance.

Au croisement des hippies et des gauchistes radicaux, les membres et sympathisants du Youth International Party (YIP) posent que la capacité à se moquer des règles est la plus grande des vertus révolutionnaires. Et que le jeu politique n’a d’intérêt que s’il est biaisé et détourné. Incantatoire, se refusant à tout prise en compte du réel - sinon pour le lutiner avec ardeur sur une table encombrée de bouteilles vides - , prônant d’abord le plaisir de la contestation et de la révolte, le YIP a pour lui d’avoir pleinement compris combien l’imaginaire doit commander à l’action politique et combien le meilleur moyen de se faire entendre est de multiplier les fripponeries spectaculaires. Pour le plus grand désagrément des militants classiques, qui faisaient des jaunisses devant un activisme bordélique parfois efficace. Ainsi du blocages de convois ferroviaires militaires par des Yippies si décidés à dénoncer la guerre du Vietnam que certains d’entre eux ont manqué de peu de se faire écraser. Ou de l’immense marche sur le Pentagone qui, en octobre 1967, voit des milliers de personnes entourer le bâtiment militaire et se livrer à une très belle opération de n’importe quoi, à base de portraits de Che Guevara, de drapeaux du vietcong et de milliers de joints6.

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Ou - encore - de la présentation d’un cochon, Pigasus, à la présidence (Herr Grimaud en ayant déjà brillamment parlé ICI, je ne m’étends pas sur le sujet). Ou de la menace - malheureusement jamais mise à exécution - de répandre des milliers de dose de LSD dans le système de distribution d’eau. Ou des comparutions spectaculaires de Jerry Rubin et Abbie Hoffman, deux des grandes figures du mouvement Yippie, devant la Commission des affaires anti-américaines, les bougres débarquant en uniformes chamarrés et complètement défoncés devant les censeurs en chef. Ou de…

Il ne reste pas grand chose des Yippies7, sinon un livre essentiel : Do It, de Jerry Rubin. Accumulant les formules jouissives, les invitations à refuser toute autorité et les descriptions de quelques-uns des plus jolis coups des acteurs du mouvement, ce bouquin n’a pas changé le monde. Mais il a l’immense mérite de rappeler au lecteur combien il importe de ne pas être raisonnable. Jamais.

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Donnez-nous un doigt, nous prendrons tout le bras.
Cédez à nos revendications et nous en présenterons douze autres. Plus il y en aura de satisfaites et plus il y en aura de nouvelles.
Quand je vais à une manif, je n’essaie jamais de savoir quels sont les mots d’ordre. Je laisse ça aux gens à qui ça fait plaisir de passer des heures dans des réunions pour décider des mots d’ordre.
Tout va bien du moment que nos revendications ne peuvent pas être satisfaites. Si la bourgeoisie satisfait nos revendications, c’est le bide total !
Quand on manifeste, on n’est jamais « raisonnables ». C’est la manière qui compte : nous sommes si arrogants et si odieux que le pouvoir ne peut nous satisfaire sans perdre complètement la face. Et alors, animés d’une juste colère, nous pouvons gueuler que le Pouvoir s’obstine à ne pas vouloir satisfaire nos revendications.
Si elles sont satisfaites, nous avons échoué.
Si elles sont rejetées, nous créons une communauté de lutte dans l’amour et la fraternité.

Tout gratuit, bordel !

"Méfiez-vous des leaders, des héros, des organisateurs.
Attention : danger.
Méfiez-vous des structuromanes. Ils ne comprennent rien.
Nous savons que le système ne sert à rien, nous vivons dans ses ruines.
Ça n’a jamais marché. Ça a toujours donné la même chose que nous connaissons bien.
Les héros ne sont que des héros, rien de plus.
Quiconque veut diriger est un flic.
"
Tract digger de 1967.

Dans ce vaste bordel qu’est la Californie de 1966-67, un groupe informel d’artistes et de marginaux se fait connaître par son refus absolu de la société marchande. Ils ont fait un paquet de fric avec un braquage audacieusement mené ? La thune sert à financer des centaines de repas gratuits, offerts chaque jour à ceux qui errent sans un rond dans San Francisco. Ils se font refiler des milliers de dose de LSD par un gros dealer soucieux de se faire bien voir des contestataire ? Ils le redistribuent gratuitement, tout en dénonçant les profits éhontés des vendeurs de drogue. Et puis, ils organisent de monstrueuses fêtes gratuites, montent un magasin itou, lancent une clinique pour drogués, un journal, des distributions de nourriture, un marché, volent dans les supermarchés pour alimenter leurs « bonnes œuvres ». Tout est gratuit, il s’agit de libérer les objets de la tyrannie de la société de consommation.

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Ils se nomment Diggers, en référence aux paysans anglais du XVIIe siècle qui s’étaient appropriés des terres seigneuriales pour les cultiver en commun. Ils font du mythique quartier de Haight Ashbury leur terre d’utopie, y multipliant les initiatives pour conscientiser et politiser les marginaux qui, ivres d’amour et de drogues, y débarquent chaque jour par centaines. En partie en pure perte : le mouvement diggers finira par se saborder lui-même, victime de querelles d’ego et du manque de relais de ses belles idées chez ceux-là même qu’il aidait. C’est qu’à force de secourir et de soutenir, les Diggers apparaissent comme un « service public » de Haight Ashbury :

« Ils furent bientôt considérés comme la partie de la communauté la plus belle et ils commencèrent à être étiquetés par quelques-uns comme un « Service de la Communauté ». C’est à ce moment qu’eut lieu une inévitable rupture, car les Diggers ne désiraient pas être un Service pour la communauté – ils voulaient que la communauté elle-même soit basée sur cette nouvelle mentalité », explique ainsi le site La Presse Anarchiste.

Echec, donc. Reste ce refus absolu, indomptable, sans concession de la société marchande, qu’on retrouve dans les écrits d’une partie des penseurs situs. Et puis, ce besoin d’ancrer l’action politique dans le réel, de transformer celle-ci en avancées concrètes, à même de remplir l’estomac, avec un repas gratuit, ou de satisfaire les sens, avec un concert itou. Au fond, les Diggers ont gagné.

Imagine un programme politique incroyablement barré, présente-toi aux élections et manque de peu de te faire élire…

Il faut parler, encore et encore, de Hunter S. Thompson. D’abord parce qu’il en a rien à foutre : il est mort, une balle dans la tête en 2005, dernière fois qu’il aura fait joujou avec ces flingues qu’il adorait trimballer partout, pour tirer sur la Lune ou dégommer « des rats dans la décharge »8. Ensuite parce que ça le ferait bien rigoler, son nom sur cette postérité qu’il n’a cessé de conchier façon gavroche psychédélique. Enfin parce que - comme dans la pub - il le vaut bien.

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« De temps à autre, quand votre existence devient trop compliquée et que vous vous sentez encerclé par les petites bêtes fouineuses, le seul remède authentique est de se bourrer des produits chimiques les plus atroces, puis de descendre à tombeau ouvert de Hollywood à Las Vegas. »

Le succès du film Las Vegas Parano, adaptation réussie - made in Terry Gilliam - d’un bouquin qui l’était encore plus9, a presque éclipsé le bonhomme, transformé pour l’éternité en incroyable fouteur de merde. Défoncé en permanence. Semant un chaos joyeux en tous lieux. Tentant de « couvrir », au sens journalistique du mot, une course de moto10 pour le journal - Sports Illustrated - qui l’avait imprudemment envoyé à Las Vegas. Essayant de juguler les pulsions homicides de son taré d’avocat, le mythique Oscar Zeta Acosta, juriste engagé et militant révolutionnaire dont personne n’est plus capable aujourd’hui d’affirmer s’il est mort ou bien vivant, en train de s’envoyer de la coke à pleins naseaux au milieu d’une bande de guerilleros latinos. Observant tout cela d’un œil goguenard, expert à faire partir les choses en couilles tout en gardant suffisamment de lucidité pour en conter la substantifique moelle. Détruisant une voiture de location, sa chambre d’hôtel et tout son avenir à Sport Illustrated. Et capable - quand même - de donner un sens à ce merdier, quête de ce « rêve américain » qu’à leur façon les joyeux protagonistes des Sixties poursuivaient.

Voilà, je m’égare, c’est toujours pareil avec ce mec. L’homme est si fou, absolu, génial qu’il est impossible d’en parler avec modération. Mais quand même : ce que je voulais dire, c’est que le mythe a éclipsé le bonhomme, et c’est bien dommage. Immense écrivain11, inventeur du Gonzo journalisme, cette idée que la meilleure façon de rendre compte des événements est d’en repousser toutes les limites, de piétiner les plus élémentaires notions de morale et de décence, Hunter S. Thompson a aussi fait - à sa façon - des trucs très sérieux. Publiant notamment une enquête passionnante sur les Hell’s Angels12, tarés motocyclistes au nombre de neurones13 inversement proportionnel à leur goût pour la violence, ultimes rebelles américains qui ne cessaient d’avaler goulument alcool, LSD, amphétamines et autres médecines que pour se taper des filles et taper des mecs, similis fachos un peu perdus et presque émouvants, sujets d’enquête ne se laissant pas faire et qui ont abandonné l’observateur Hunter S. pour mort au coin d’une ruelle quand son enquête est arrivée à son terme et qu’il a refusé de partager ses droits d’auteur avec eux. Et faisant œuvre de journalisme plus classique - tout est relatif, hein… - , avec entre autres une série d’articles épatants sur Nixon, petit homme qu’il ne pouvait blairer et dont il s’est acharné à comprendre comment il avait bien pu se retrouver à son poste14. En filigrane se dessine l’incroyable panorama de la presse américaine des années 60 et 70, tout un ensemble de titres (National Observer, Rolling Stone, Scanlan’s Monthly, The Reporter, Playboy, Esquire…) qui laissaient une place aux expérimentations stylistiques et recherches journalistiques d’une palanquée d’allumés de la profession. Difficile à croire, aujourd’hui.

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Bref, ce gars-là s’est piqué de présenter en 1970 aux élection pour le poste de shérif à Pitkin, bled du Colorado (à côté d’Aspen) où il s’est installé. Tout défoncé perpétuel qu’il soit, il fait ça très sérieusement, lance une vraie campagne, imprime des affiches, regroupe des amis freaks aussi desaxés que lui pour mener une campagne de distribution de tracts et de porte-à-porte, tient même des réunions publiques, et imagine un programme à sa (dé)mesure. En gros ? Il réclame - entre autres propositions - le « pouvoir aux dingues », propose que les mauvais dealers - ceux qui vendent des produits de mauvaise qualité - soient punis et bastonnés en place publique ou suggère d’interdire la prise de mescaline aux officiers (mais juste pendant le service…). Plus sérieusement, il mène une véritable campagne écologique, pressentant ce qu’Aspen est amené à devenir - une infâme vitrine du luxe et de la montagne sous cloche - , s’en prend aux promoteurs immobiliers et autres rapaces qui ne rêvent que de détruire son coin de paradis. Et ? Le pis de tout : il manque d’être élu, ne rate l’élection que de quelques voix15.

La morale de l’histoire ? Il n’y en a pas. Ou peut-être : à la façon des Yippies, Hunter S. rappelle là le sort qui doit être fait à l’urinoir-isoloir : bidonnerie de grande ampleur, la démocratie représentative n’existe pas, sauf à tellement forcer ses règles et ses normes que son absurdité éclate en pleine lumière. Un freak pour me représenter ! Ou rien !

Et puisqu’il faut bien finir ce trop long panorama, terminons avec ce hoquet de dégoût - bien des années après sa candidature à Pitkin - d’un Hunter S. Thompson effaré par l’élection de Bush Junior :

« Nous voilà devenus aux yeux du monde une Nation de monstres nazis. Une nation (…) qui préfère tuer que de vivre en paix (…), nous ne sommes pas seulement des putains assoiffées de pouvoir et de pétrole mais des saloperies de tueurs avec de la haine et de la peur dans le cœur. Nous sommes la vermine de l’humanité et c’est ainsi que l’Histoire nous jugera (…). »

C’est cela : notre monde est dépravé, et « nous sommes gouvernés par des porcs ». Back to the Sixties est encore la chose la plus intelligente qu’il nous reste à faire.



1 Au final aussi étriqués que la plus bourgeoise des normes bourgeoises, je milite mais je ne ris pas ni ne baise. Exemple absolu, cette sale histoire survenue, voilà quelques années, à deux militants de Lutte Ouvrière, Hélène et José Chatroussat. Le couple a été exclu du parti parce que reconnu coupable de s’être laissé aller à quelques emballements sexuels au cours de la traditionnelle caravane d’été du parti, exercice de promotion qui voit des militants de LO arpenter les plages de France et de Navarre en juillet et en août. La morale ? Le militantisme serait chose trop sérieuse pour ne pas être pollué par le sexe…

2 Ô combien salutaire. Mais là n’est pas la question.

3 A commencer par ce mouvement beatnik dont il fut le hérault, mythe célébré par Jack Kérouac dans l’immense Sur la route. Dean Moriarty, c’était lui.

4 A l’époque, le LSD n’était pas encore interdit aux Etats-Unis.

5 A La Honda, les redoutables Hell’s Angels et les hippies pacifiques vivront ensemble un incroyable été de drogue et de partage, loups et agneaux un temps sur la même longueur d’onde, ce que conte notamment le génialissime Hunter S. Thompson dans son bouquin Hell’s Angels. Au grand dam d’Allen Ginsbergh, cette alliance de circonstance ne durera pas, les motards choisissant vite de montrer à ces illuminés un peu trop heureux et à ces gauchistes anti-Vietnam que leur violence spontanée les portait davantage à soutenir les forces de la réaction.

6 800 personnes seront arrêtées à la fin de ce siège pacifique, dont Noam Chomsky et Norman Mailer.

7 Et ce n’est pas la trajectoire démoralisante d’un Jerry Rubin, devenu une figure libérale et un apôtre de la consommation à outrance dans les années 80 qui va rattraper le coup…

8 Les plus culturellement déviants d’entre vous auront saisi la référence à Accords et Désaccords de Woody Allen, jouissif film hommage, sur le mode looser, à Django Reinhardt.

9 Titre original : Fear and loathing in las Vegas.

10 La célèbre course des 400 mints, rassemblement de tous les désaxés motorisés du continent américain.

11 Si ! Je pèse mes mots !

12 Le livre s’appelle Hell’s Angels. Achetez-le ou volez-le, il devrait suffire à vous persuader que les journalistes ne méritent pas tous le pal et la mort à petit feu.

13 Disons que la plupart d’entre eux pouvaient se vanter de ne posséder que trois neurones, ainsi répartis : un dans le cerveau, un dans la moto et un dernier dans leur batte de base-ball.

14 La plupart de ses articles sont compilés dans La Grande chasse au Requin. Je n’ai plus assez de superlatifs pour en parler et ça commence à me fatiguer. Juste : lisez-le aussi.

15 Les cinéphiles dévoyés ne manqueront pas de reconnaître cette citation rabbinesque : « Raté de jutesse ! Mais même de justesse, quand c’est raté ce n’est pas réussi ! »


COMMENTAIRES

 


  • Ah bravo ! Même si quelques uns ont eu des trajectoires assez démoralisantes, comme tu le dis, ça nous change de la légion d’honneur (ou je ne sais quoi, peut-être le mérite agricole ou les palmes académiques) remise à Glucksmann...

    Je crois que je vais finir par prendre un abonnement à Article XI.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • Eheh, il ne faut pas moquer le Mérite agricole. En ce qui me concerne, je compte bien le décrocher d’ici une quarantaine d’années, en récompense de mes bons et loyaux efforts.

      (Mais t’as pas le choix : t’es déjà abonné d’office depuis longtemps…)



  • vendredi 17 avril 2009 à 16h09, par jediraismêmeplus

    Tout est dit, là... L’idéologie de ces mouvements est hétérogène, elle va du libertarien-des fois devenu néo libéral- au libertaire et au marxiste. Les alternatifs et radicaux us d’aujourd’hui sont beaucoup moins nombreux mais aussi moins ambigus et plus marqués à gauche.

    Hunter S. Thompson semble être une référence importante aux us maintenant, il était toujours très lucide et percutant sur les évènements en cours et à venir, en évitant les bavardages théoriques (en général). Un modèle de style anti politiquement correct , insultant et subjectif. Je crois que c’est une de ses dernières interviews.
    La (soi disant) devise de Nixon, au début de « la grande chasse au requin », colle complètement à ce qui est en cours :
    « quand la ballade devient dure, les durs partent en ballade ».

    • « Je crois que c’est une de ses dernières interviews. »

      Merci tout plein. Malgré mes grosses déficiences en anglais, ça a été un plaisir à lire. J’adore comme il envoie voler le mec quand il trouve l’une de ses questions stupides…

      Pour la devise, je croyais que c’était : « Quand les temps deviennent bizarres, les bizarres deviennent pros. »
      Il doit y avoir plusieurs versions. Dans tous les cas, ça fonctionne nickel.

      • samedi 18 avril 2009 à 09h17, par jediraismêmeplus

        « Il doit y avoir plusieurs versions. » non, non. Toute l’erreur est pour moi.

        Au début de la grande chasse il y a « When the going gets weird, the weird turn pro » ce qui se traduit par « Quand les temps deviennent bizarres, les bizarres deviennent pros. »

        Puis dans un des articles : « parano dans l’oubli les rebuts se lèvent aussi » il y a cette soi disant devise de Nixon (sensée être la devise d’un coach de football) « when the going gets tough, the tough get going » qui est « quand la balade devient dure les durs partent en balade » qui ressemble et qui marche aussi bien en ce moment.



  • Je crois qu’il faudrait tempérer quelque peu l’enthousiasme pour cette époque et plutôt inventer du neuf...

    Cf. Joseph Heath, Andrew Potter, Révolte consommée, 2005, Naïve
    pour une analyse détaillée.
    (on peut ne pas partager l’ensemble de l’analyse, mais on y trouve quelques critiques incontestables et graves...)

    • Tout d’accord pour ne pas tomber dans l’angélisme bêta : suffit de voir ce que beaucoup de ces gens ont donné ensuite (sauf Hunter S., lui n’a jamais trahi).

      Par contre, ce qui m’intéresse n’est pas tant l’effet réel qu’ils ont eu. Mais simplement leur capacité d’inventivité, de création dans la contestation, leur ardeur à toujours pousser le bouchon un peu plus loin. En cela, ils n’ont pas eu d’équivalent. Et je pense qu’ils avaient au moins raison sur ce point : sans folie ni passion, il n’y a guère de grands changements à espérer.



  • « les Yippies prennent leur pied et croient changer le monde, mais ils foutent en sus le bordel partout où ils passent. La nuance est d’importance. »

    Oh que oui ! et en plus ils ont vraiment foutu la trouille aux Wasp et à leur société lisse, médiocre et policée. Celle dans laquelle la quasi-totalité des individus de la planète vivent aujourd’hui sans pourtant le savoir. Triste constat.

    • Clair, ils avaient la classe totale. C’est même assez surprenant de voir à quel point toutes leurs envolées fumeuses étaient prises au sérieux. C’est notamment ce que raconte Jerry Rubin dans Do It, comment il suffisait qu’il annonce quoi que ce soit avec un sens de l’exagération hallucinant pour que tous les rouages de l’Etat se mettent en alerte. Ce devait être plutôt jouissif, de leur faire peur à ce point.



  • Hunter S. Thompson avait émis un souhait pour traiter Nixon comme il le méritait. Transposé en français de notre époque, cela signifierait en gros d’attacher notre SarkominiBush avec une grosse corde à un pare-choc arrière de 4x4 et de lui faire remonter et descendre les Champs Elysées à grande vitesse jusqu’à plus soif.
    Pour une fois qu’un 4x4 servirait à quelque chose d’utile ...

    Donc Hunter S. Thompson FOR PRESIDENT !

    Qu’on rigole un peu.

    On peut rêver.

    Arf !

    Zgur

    Voir en ligne : http://zgur.20minutes-blogs.fr



  • Cet article est foutraquement excellent ! Merci.



  • Tom Wolfe a fini en vieux réac mais quel écrivain mazette - en tout cas oui cette époque comme une bouffée d’oxygène - elle était foutraque ils étaient barrés aujourd’hui notre époque est con les gens avec - bon - ne soyons pas trop nostalgiques le pire n’est jamais sûr - en tout cas quel boulot bon sang quel boulot - je suis admiratif pondre des textes comme ça au quotidien référencés et tout moi qui souffre pour pondre un billet tous les trois jours pas trop regardant sur les faits....chapeau bas

    Voir en ligne : http://rue-affre.20minutes-blogs.fr/

    • « mais quel écrivain mazette »

      Clair, ne serait-ce que pour Acid Test et Le bûcher des vanités. Il n’y a que les Etats-Unis pour pondre des écrivains de cette trempe.

      (Pour tout le reste, je me tiens coi et rougis en silence. C’est cool, mais tu n’as clairement rien à apprendre en ce domaine. Nous nageons en les mêmes eaux heureuses.)



  • yaaaa ! hey JB-the-B, franchement ça fait du bien un article qui prend le contrepied des sombres prophètes qui éclosent en ce moment, appelant la révolution à grands hululements imprécatoires - de la vie, merde, c’est ça qui manque pour détraquer la machine !

    Voir en ligne : http://www.intempestive.net

    • « de la vie, merde, c’est ça qui manque pour détraquer la machine ! »

      Ouh que je suis d’accord avec toi. Sérieux et austérité ne sont que ruine de l’âme, les sanglots longs du dogmatisme bercent mon coeur d’une langueur monotone, toussa-toussa, vive le rosé.

      Mais quand même : j’aime aussi les « grands hululements imprécatoires »...

      • Mais quand même : j’aime aussi les « grands hululements imprécatoires »...

         :)

        ah mais c’est qu’ils sont plaisants, et pleins d’une poésie hugolienne, mais comment dire les élancements religieux m’ont toujours semblés assez incompatibles avec la notion même de révolution - c’est un paradoxe, j’en conviens, parce que la révolution inspire de nombreux mysticismes

        disons qu’entre un cochon-candidat et un tome de Nostradamus, je crois qu’en dépit de mon goût pour les fous littéraires, je préfère le cochon (avec du vin rouge - le rosé vraiment, ça fait écrire de bons articles mais enfin ho...)

        • (au fait, rien à voir, j’en profite pour te suggérer l’ajout d’une fonctionnalité qui facilitera la web-vie à tes aficionados >_> : http://www.spip-contrib.net/Article...)

          • « les élancements religieux m’ont toujours semblés assez incompatibles avec la notion même de révolution »

            Exactement. Ceux qui les entonnent, ces élancements, sont d’ailleurs souvent les mêmes qui te parlent d’une société parfaite à instaurer, qui changerait les hommes et en feraient tous des êtres parfaits. Qui nient la réalité humaine autant qu’ils refusent la vie. Alors que : la révolution, tout d’accord, mais si c’est pour pas rigoler, autant rester chez soi

            « le rosé vraiment, ça fait écrire de bons articles mais enfin ho... »

             :-)

            Tu y viendras. Comme dirait je sais pas qui, le rosé est le seul vrai carburant de la révolution, le rouge celui de la réaction. Na !

            (Pour la fonctionnalité… euh… j’ai pas tout à fait compris à quoi elle servait. Tu m’expliques jeudi ?)



  • Le souci, c’est que maintenant la DROGUE (toutes les drogues) est devenue banale : de la télé , aux cachetons, en passant par le pinard, ou le sport, même internet !

    A se demander si le plus révolutionnaire, dans ce monde taré, est d’être le plus sain(t) possible :-))

    • « d’être le plus sain(t) possible »

      Arghhh… :-) Je risque bien de rester un révolutionnaire à la manque, alors…

      A mon avis, tout est question d’esprit : tant que tu sais pourquoi tu consommes un produit et que tu lui donnes un sens, c’est tout bon. C’est quand tu ne consommes plus une drogue pour autre chose qu’elle même que ça devient un problème.



  • Au début, dans l’image de l’entête, j’ai pris le Y pour un H (ah, la lecture rapide !)

    Puis, j’ai lu :
    « Il ne faut surtout pas les confondre avec les hippies, ces envapés mous qui ont cru changer le monde en prenant leur pied tout seul »

    Ouf, c’est bien du JBB, bien documenté et tout.

    Faudrait que je poursuive ma lecture d’Acid Test commencée il y a quelques années puis abandonnée, je ne sais plus pourquoi....

    See ya !

    Voir en ligne : Mon blog actif et militant(?) : Kprodukt

    • Je crois qu’on éprouve le même sentiment pour les hippies : ils sont bien gentils, mais bon… euh… voilà quoi.

      Mais en même temps - et puisque tu en parles, je ne peux que t’encourager à finir Acid Test : cette histoire est tellement barrée qu’elle ne peut que te plaire - tous les hippies ne sont pas à jeter avec l’eau du bain. Ceux des Merry Pranksters (puisqu’ils en étaient) méritent de très larges éloges, je trouve.



  • dimanche 19 avril 2009 à 11h08, par un-e anonyme

    a lire sur cette periode : RINGOLEVIO d’emmet grogan (kenny wisdom)



  • dimanche 19 avril 2009 à 21h08, par gongoro

    Combien de vies brisées ( libérez Chapman !) pour en arriver à l’anar Dreadlok : de l’argent , il y en a dans la caisse des patrons ; oui mais
    qu’est ce qu’on fait après/
    des apparts vides ?
    venez de partout !
    les frigos débordent !
    que la fete continue !
    pour combien de temps/
    Ils ont cassé une génération , infantilisée dans le r&r de merde et la culture de rue ( des fossiles trainant leur banane et leur perfecto dans les bds des 80) et pendant ce temps là ?

    • dimanche 19 avril 2009 à 22h38, par Fouille

      Je ne peux qu’acquiescer (Enfin, si j’arrivais a comprendre, j’acquiescerais).

      L’idée qui sort en demi-gros de la lecture de cette article est que franchement, bof, hein, quoi, enfin, bon quoi. Faire les fous pour éclater les rouages du système - c’est cool, c’est bien, youpie. Mais finalement, obligatoirement, une telle poussé artistique, chaotique ou dadaesque est amené à finir dans le néant. Si je peux me permettre, et je le ferais, la réalité rattrape toujours la folie. Un mouvement tel que le mouvement yippi est toujours amené, de lui-même, a éclater face à la pression du réel. Il faut un but, pour continuer une machine sociale - ce but conditionne des moyens, qui conditionnent une organisation (ou une absence de). Une absence dans cette chaine va toujours permettre l’essouflement de ce système face a un univers - autre organisations sociales, lois de murphy, etc - qui n’est malheureusement pas amical.

      Bref, a l’aube des legs, savoir si l’échec constant d’un mouvement foutraque est plus positif que l’inexistence d’un tel mouvement me semble être une question difficile, même si je ne suis pas certain qu’un discours basé sur la notion d’utilité puisse convenir à un tel mouvement. Celui-ci est plus par nature artistique.

      • Je roule en HD, je vis dans un camion (sans fleurs), j’ai quelques tatoos, je suis pas un tendre mais j’aime Kerouac, je préfère la bière au rosé, la Pakalolo à la gauloise...

        Sérénité

        Tranquilité

        Paix

        Me rappele un tas de chose tout ça...

        • @ Fouille :c’est frappé au coin du bon sens. Pour préciser : de cette époque, je ne veux pas garder - au final - autant de choses que mon ton très enthousiaste (je le suis sincèrement) peut laisser croire. Juste une chose, en fait, mais qui m’a toujours paru essentielle : tout mouvement qui prétendrait changer l’ordre des choses tout en niant l’importance de la vie, du sexe, de la danse, de la musique, de l’humour et de la dérision (c’est en gros ce que je viens de laisser comme commentaire chez CSP qui, dans le genre austérité sans concession de la révolution, vient de se dépasser sur ses deux derniers billets…) est à côté de la plaque. C’est la seule leçon qui m’intéresse dans ces mouvements des années 60-70.

          @ Yelrah : « je suis pas un tendre mais j’aime Kerouac, je préfère la bière au rosé, la Pakalolo à la gauloise.. »

          Si ce n’est pour cette absurde préférence pour le rosé (eheh…), j’approuve avec force. Kerouac, Bukowski et John Fante, un truc à rouler, un autre à boire, et puis c’est tout. :-)



  • J’ai vécu cette époque, puisque j’ai 63 ans. Tout bien pesé, elle n’a pas laissé d’idées aussi marquantes et aussi fondamentales pour nous que les dadaïstes, je dirais.

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/

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