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samedi 10 avril 2010

Le Cri du Gonze

posté à 21h31, par Lémi
9 commentaires

God Save the Business : Malcolm McLaren, itinéraire d’un vautour culturel
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1976. Le punk explose en Angleterre, furie musicale, front-kick social et… phénomène médiatique. Au premier rang, menés par un chanteur (Johnny Rotten) tout en rictus, les Sex Pistols hurlent leur rage sur l’Angleterre. Un coup de boule réjouissant qui ne tarde pas à perdre en spontanéité. La faute (entre autres) à leur manager, Malcolm McLaren, ver dans le fruit punk.

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Normalement, j’aurais dû lire la nouvelle sans vraiment tilter, vaguement intéressé – « Tiens, il a fini par clamser ce vieux salopard ? » – , et ne plus y penser. Aucune raison de s’appesantir. Le rouquin maléfique du punk a passé l’arme à gauche, point barre, je ne le pleurerai pas. D’ailleurs, les dernières fois que j’avais été confronté à ses activités (Monsieur, après avoir été manager/producteur/fringueur/agitateur, se piquait désormais de faire ses propres disques), c’était d’une nullité tellement confondante (cf. ce duo avec Deneuve1) que ça m’avait laissé sur le cul : c’était ça, l’ex grand manitou du punk, l’âme damnée des Sex Pistols ? Ce sous-lord frisotté, polo rose en bandoulière, tellement avide de médias qu’il en était prêt à cautionner n’importe quoi, à s’avachir dans tous les canapés médiatiques disponibles, Elton John en pire ? Beurk… Anarchy in the fond du trou !

Donc, voilà, je n’avais aucune envie de te parler du manager des Sex Pistols et de son magistère spectaculaire. Ceux qui suivent noteront que j’ai dit la même chose en intro de mon billet sur Ben, mardi dernier, et que ça commence à bien faire, ces redites sémantiques… Ce à quoi je répondrai juste que je n’y peux rien si cet abruti de Malcolm rejoint le Walhalla le jour-même où je fais un billet traitant de l’imposture culturelle et de la récupération de la subversion ; et que la coïncidence est trop frappante pour que je n’approfondisse pas le sujet. Ben et Malcolm, les deux faces d’une même saloperie, l’un pillant Fluxus et Dada, l’autre pillant le punk puis le rap, deux Ponce Pilate de la culture du 20e siècle crucifiant ce qu’elle avait de meilleur sur l’autel du marketing. Des précurseurs vautours, l’équivalent de Cohn-Bendit en politique.

Terreau situ, plante marketing

Tout ne partait pas si mal, pourtant. Le jeune McLaren, nourri de situationnisme (il a lu et relu Debord, qu’il place plus haut que tout) et anarcho à fond les ballons (enfin, c’est ce qu’il prétend), aurait pu foutre un beau bordel dans la perfide Albion, solidement armé de théories antibourgeoises (« Les classes moyennes ont inventé le produit de base. Il définit nos ambitions, nos aspirations, notre qualité de vie. Ses effets sont la répression - la solitude - l’ennui » ). Ambitieux, calculateur, rebelle : le petit Malcolm avait des possibilités…
Bien avant qu’il ne gère les Sex Pistols, le premier concert qu’il organise, en 1969, est un tel fiasco que c’en est réjouissant, quasi happening : pour attirer le public, McLaren annonce la venue de stars, des Stones à Lennon, et promet un événement d’ampleur planétaire. Arrivés sur place, les spectateurs tombent sur deux-trois groupes minables empilés dans une arrière-salle. De rage, ils commencent à se battre avec les flics. Mini-émeute.
Malcolm se frotte pourtant les mains, tirant de précieuses leçons de l’événement raté. John Savage, dans England’s Dreaming2, écrit ainsi, à propos de ce baptême du feu : «  Il prenait conscience de la bonne vieille campagne publicitaire carnavalesque à l’ancienne : qu’importe la réalité des faits si vous faites impression.  »

Sur sa lancée, Malcolm ouvre une boutique de mode (plus tard rebaptisée SEX), et se penche sérieusement sur les théories situationnistes. Il traduit même en anglais certains des textes fondateurs du mouvement et, avec son pote Jamie Reid, graphiste (celui qui forgera l’imagerie des Sex Pistols3), passe à l’action en matière de détournements. Avec pour idée de reprendre les armes du Spectacle pour les retourner contre lui, de manipuler les symboles. À New York, Malcom rencontre les New York Dolls (proto punks plutôt sympathiques) et les relooke totalement : combinaisons rouges, faucilles et marteau, imagerie maoïste. En pleine guerre froide, c’est un très bon moyen de faire réagir ; en matière de provoc, cela relève même de l’artillerie lourde. Problème : les New York Dolls, camés jusqu’à l’os et plutôt réputés pour leurs looks de diva queer, s’en battent le steak du communisme et des conneries gauchistes. Le groupe perd toute crédibilité dans l’affaire, avant de se séparer. Oui : merci Malcolm… Reste que le fiasco a de la gueule.

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Après d’autres essais, désastreux à souhait, McLaren tombe enfin sur la perle rare, celle qu’il cherche depuis si longtemps : un nommé Johnny Rotten - plus teigneux tu meurs, plus dérangeant tu fais pas. Dès la première audition, pourtant peu concluante (Rotten, censé reprendre « Eighteen » d’Alice Cooper, se vomit dessus de stress et se contente de marmonner des trucs incompréhensibles dans le micro), McLaren saisit le potentiel déflagrateur de l’apprenti-chanteur. Plus tard, il expliquera :« J’avais l’œil. Et mon œil a vu la capacité de Rotten à créer une image autour de lui. Ça venait des tripes.  »

Le reste est connu (et archi-raconté ailleurs, je m’attarde pas) : les Sex Pistols, drivés par leur manager, deviennent un scandale vivant et une bombe musicale. Le punk est né. Et déjà il est mort. Because McLaren.

Vampires

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Bon, j’aimerais lister par le détail toutes les saloperies de McLaren, parfois réjouissantes, souvent atterrantes. Décrire par le détail comment, une fois les Sex Pistols séparés (« Z’avez pas l’impression de vous être fait avoir ? », ricane Johnny Rotten au nez du public du Winterland de San Francisco, à la fin de leur dernier concert), il se rabat sur un Sid Vicious en sursis (à qui il fait - entre autres - chanter My Way), traîne ce qui restait des Pistols dans la boue (l’album The Great Rock’n’roll Swindle - la grande escroquerie du rock’n’roll), fait chanter Ronnie Biggs, gangster en cavale, se lance dans le rap et le disco…
J’aimerais, mais ça ne servirait pas à grand chose : la lassitude finit par l’emporter. Toujours la même conduite, coup médiatique über alles. Comme l’a résumé McLaren : « Les médias étaient nos auxiliaires et nos amants. » Un seul passage de The Great Rock’n’roll Swindle, film de Julian Temple sous perfusion McLaren, suffit à tout résumer :

La grande arnaque, la voilà. Sid Vicious4, mis en scène, n’est plus qu’un symbole de rébellion surjouant son rôle. Il s’admire, savoure les réactions qu’il provoque, se paluche de joie devant les affiches annonçant sa venue. Il est l’idiot utile du punk, celui qui accepte d’endosser le rôle de punk-symbol - et tant pis s’il ne joua qu’un rôle mineur dans les Sex Pistols. Qu’importe la réalité des faits si vous faites impression. McLaren voulait un poulain docile et photogénique. Rotten était trop incontrôlable, trop rebelle, et Vicious, débile léger, convenait beaucoup mieux. Le punk ne sera plus que ça aux yeux du monde, une représentation sans danger et formatée de la rébellion adolescente. Une ganache pour poster biactol. Merci Malcolm.

Si McLaren est révélateur, ce n’est pas dans sa productivité démente, ni dans ce qu’il a créé et vampirisé. Mais par ce qu’il représente en matière d’approche culturelle, et même sociale. L’exemple type de l’arriviste surfant sur la subversion pour arriver à ses fins, le vampire de l’underground (Afrika Bambatta, qui lui a fait découvrir le rap, l’a défini un jour comme le parfait « vautour de la culture »). Tous les grands mouvements de subversion de l’histoire ont connu ça : au moment où ils explosent, s’imposent, ceux qui vont les vider de leurs substances sont aux manettes, ou en embuscade. Et ils ne tardent pas à prouver la réelle teneur de leurs convictions : Jerry Rubin, fer de lance du mouvement yippie ricain, se transforme ainsi en publicitaire sans scrupule ; Cohn Bendit devient libéral forcené ; Ben déchire l’héritage de Fluxus, en faisant un pur produit de consommation…

C’est là finalement une sorte de passage obligé. Et la meilleure défense du système pour se préserver : faire de la subversion un produit comme un autre. Woodstock 19995, mai 2008 dans Paris Match, Johnny Rotten dans une émission de télé réalité6, le sous-cérébré Eudeline vilipendant le téléchargement, Iggy Pop posant pour Reebok7, la haute couture reprenant les attributs du punk, le Che en poster à la Foirfouille,les sex Pistols dans Guitar Hero, la correspondance de Debord aux enchères… la liste est sans fin, désespérante. Et au milieu de tout ça, archange suprême, roi de la manip, le sieur McLaren, vendu à tout, vendant tout. Pas seulement le fossoyeur du punk (qui, sans lui, aurait évidemment trouvé le moyen d’être récupéré autrement), mais le symbole absolu de cette constance historique : les plus belles insurrections sont toujours récupérées, affadies et privées de leur substance subversive. À la fin, c’est les vieux cons qui gagnent.
Z’avez pas l’impression de vous être fait avoir ? Oh que si. Pour cela, et même si tu m’as bien fait rire (un tel faux jeton, ça tient du génie), tu n’y échapperas pas, salopard : j’irai pisser sur ta tombe. Anarchy dans ton cul.



1 Ah, Malcolm courant sur le pont des arts à la rencontre de sa Catherine, Royal Canin forever…

2 Éditions Allia. Indispensable pour comprendre le punk.

3

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4 Bassiste des Sex Pistols, arrivé sur la fin.

5

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6 En l’espèce, rien de moins que la version anglaise de Koh Lanta. Je te copie-colle une brève dépêche de 20 Minutes sur le sujet, elle vaut son pesant de cacahuètes : « L’ex-leader des Sex Pistols participe à l’émission de télé réalité anglaise, « I’m a celebrity », sorte de Koh-Lanta pour people sur le retour. Johnny Rotten a démontré qu’il n’avait rien perdu de sa superbe, lors d’une scène d’anthologie : un combat à mains nues avec un koala. L’animal s’en est sorti avec un bout d’oreille en moins. Le rocker, pourtant devenu chouchou du public, a subitement décidé de quitter le jeu. » Un bout d’oreille en moins ? La classe, quand même…

7 Impossible de remettre la main sur cette pub, mais elle existe bel et bien.


COMMENTAIRES

 


  • Mon cher Lemi,vous e^tes vulgaire. Heureusement, on vous lit toujours avec le sourire au coin des levres.

    • pas d autre moyen de faire passer le message :
      Soirée de solidarité avec les militants de l’Observatoire critique de La Havane.
      Samedi 17 avril à partir de 18 heures
      chez Lucio Urtubia, espace Louise Michel
      42 ter rue des Cascades
      Paris 20e, métro Pyrénées
      Tél : 06 07 39 58 57 ou 01 43 15 08 61
      Compte-rendu sur
      – les rencontres du IVe Observatoire critique de La Havane
      – la situation économique et politique de Cuba
      – présentation du blog www.polemicacubana.fr
      Projection de films sur le IVe Observatoire critique de La Havane, sur les résistances culturelles : le groupe anarcho-punk Porno para Ricardo et les groupes de hip hop Los Aldeanos, Eskadron Patriota, hermanos de Causa et Memoria sindical de Claudio Castillo et Jorge Masetti.
      Débat
      Buffet, buvette : mojitos, vin, bière, sandwichs cubains.

      ca peut vous interesser.. une ptite soiree bobo pour se remetrre d’aplomb.



  • Alors d’accord, un courant subversif ramène sa fraise, balance du sens, pleine tronche, et l’système dominant, façon ma pomme d’abord, le récupère, le pille, lui vandalise les miches. Bon, soit. V’là la subversion mâchouillée, boulottée, ingurgitée, chiée en marchandise bectable pour tous, à condition qu’ils soient personne, un truc insipide, indolore, qui schlingue les désirs inassouvis à perpétuité.

    ‘tain d’récupération, une foutue bouse de moucheron sur la carte unidimensionnel du système. Une volonté innée d’cerner, d’figer, d’fixer les limites. La tentative d’clôturer des frontières définitives. L’échec du mouvement.

    « imposture culturelle et (…) récupération de la subversion (…) les deux faces d’une même saloperie (…) »

    Foin de ce pessimisme sous-jacent.

    La subversion déborde définitivement des schémas, gigote tout l’temps, elle se taille en chemins de traverses, s’invente une filiation parallèle, se marre d’un rhizome mutin, souterrain, mode baston. Elle s’oppose, se moque, ignore, détourne, les normes économiques, sociétales, morales. Elle se dissout dans la marchandise, contamine le système, se dilue par alternopathie, cherche l’incernable, l’incodifiable, l’inréférençable, l’identité réelle.

    Ses œuvres, leur transformation en marchandises, visibles, apparentes, saisissables, exposées, compose le tribut raqué, l’impôt évolutionnaire, versé par la récupération à l’inconscient collectif, une contribution imposée au panthéon archétypal global.

    Le système récupère la subversion.

    La subversion infecte le système.

    Le virus mute et le vaccin rame.

    Pour les développements implicites sur les effets de l’optimisme, se référer à « Born to be dynamite », d’Albert Stranger, particulièrement le chapitre - Sisyphe t’aimes ? Fuck the système ! -



  • iggy reebook

    iggy sert la soupe pour sfr

    à Nadja

    Je ne trouve aucune référence concernant : « Born to be dynamite », d’Albert Stranger

    La subversion déborde définitivement des schémas

    Pareil



  • McLaren était bien un « vulture », ce mot anglais pour vautour et qui ressemble tant à un mot-valise pour vautour de la culture.

    Mais des exactions de McLaren, je sauverais quand même Duck Rock, qui a contribué à mon goût prononcé pour les musiques d’Afrique du Sud, et qui est un très bon disque.

    A part ça, il faudrait rapprocher le « Qu’importe la réalité des faits si vous faites impression. » du « La vérité d’hier n’est peut-être pas la vérité d’aujourd’hui ». Cette dernière phrase pourrait être comprise, d’ailleurs, comme la phrase ultime anti-TINA (cette grosse salope). Merci qui ? Merci Claude Guéant, pour une fois.

    Mwarf !

    Zgur

    Voir en ligne : http://zgur.20minutes-blogs.fr/tag/...



  • dimanche 11 avril 2010 à 21h53, par Candy says...

    Ah ! Enfin quelqu’un qui remet cet abruti de Sid Vicious à sa juste place de sous-produit marketing trop con pour en être conscient, ça fait du bien. L’âme des Pistols, c’était Johnny Rotten et personne d’autre.

    Par contre, Lémi, si tu traites encore une fois les grandiosissimes New York Dolls de « proto punks plutôt sympathiques », tu iras dans le coin avec un bonnet d’âne.
    Réécoute leur premier album (en vinyle, le son de la version cd est très, très, très mauvais) en mettant le volume à fond et je te garantis que tu te maudiras d’avoir écrit des bêtises.



  • lundi 12 avril 2010 à 10h33, par un-e anonyme

    juste un truc : che guevara en poster, on le trouvait déjà à carrefour vers 1974.
    le punk était dans l’axe des choses et n’a jamais été une rupture, mais la continuation/recyclage de la pop-culture. la « subversion » fait partie du système et il n’en a jamais été autrement.

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