ARTICLE11
 
 

samedi 30 novembre 2013

Textes et traductions

posté à 16h01, par Théo Léost Paqué & Damien Almar (texte et traduction)
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« Il Galeone »

Le climat révolutionnaire qui a tenu l’Italie en tension dans les années 1960 et 1970 a aussi suscité une intense créativité en matière de chants sociaux. Si cette période faste est désormais révolue, son héritage se fait encore sentir, en Italie et même en France. Retour sur un chant emblématique de cette époque, composé par Belgrado Pedrini : « Il Galeone », soit « Le Galion ».

Ce texte a été publié dans le numéro 13 de la version papier d’Article11

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La geste de Belgrado Pedrini

Belgrado Pedrini (1913-1979), auteur d’ « Il Galeone », était un militant anarchiste de Carrare (Toscane)1. Fils d’un sculpteur de marbre, irréductible partisan et militant antifasciste, il passa plus de temps dans les geôles italiennes lors de l’après-guerre dominé par la Démocratie chrétienne que sous le régime dictatorial de Benito Mussolini. Il fut en effet condamné à trente années de détention pour un « crime de Résistance » commis durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il se trouvait à la tête du groupe de partisans carrarais « Elio ». Si Pedrini plaida coupable, c’était pour protéger l’un de ses compagnons, véritable auteur de l’acte en question. La raison ? Ce dernier était père de famille.

C’est en 1967, dans les geôles de Fossombrone, prison des Marches, qu’il rédigea le poème « Il Galeone ». Sa compagne, Paola Nicolezza, le mit en musique en 1974, sur l’air d’une chanson d’amour populaire, « Se tu ti fai monaca »2. En voici les paroles :

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Échos

« Bella ciao » et « Le temps des cerises » trustent souvent le hit-parade des chants révolutionnaires. Pourtant, il en existe tant d’autres ! Salvatore Panù, musicien sarde, co-fondateur de l’École populaire de musique Ivan Illich à Bologne, a ainsi mis en place en région parisienne des ateliers autour du chant social italien3. Avec pour objectif de revisiter l’histoire et la géographie des chants de lutte, de travail, et plus largement des chants des cultures populaires de tradition orale, du XVIIe siècle aux années 1970.

L’accordéon sur les genoux et la voix bien aiguisée, Tore entraîne ceux qui veulent bien le suivre dans cette fresque chantée, ornant ici et là ces histoires vociférées de percutants récits. « Il Galeone » appartient à son répertoire, comme « La ballata del Pinelli » de 1970, qui raconte la mort du cheminot libertaire Giuseppe Pinelli4, ou encore « Pa’noi no’ v’è middhori »5, ode à l’indépendance de la Sardaigne du début du XVIIIe siècle. Sa besace regorge ainsi d’une infinité de joyaux musicaux.

Des accords d’« Il galeone », que l’on imagine retentir au fond des carrières de marbre de Carrare, là où les Alpes apuanes plongent dans la mer Ligure, résonne l’écho des mains calleuses qui s’y activent depuis l’Antiquité. Au crépuscule du XIXe siècle, certains extracteurs marbriers, épris de liberté, imprégnés d’une culture anarchiste naissante, ramassaient les débris abandonnés par les exploitants. De ces restes, ils façonnaient adroitement de nombreux objets qu’ils revendaient en ville et dans la province : portants de miroir, mortiers ou encore vases. Mais leur autonomie avait un coût : ils vivaient plus chichement que les autres ouvriers extracteurs.

Aujourd’hui encore subsiste à Carrare une mémoire anarchiste vivante (d’aucuns diraient « folklorisée »). Certes, celle-ci a perdu de sa radicalité ; mais tous les Premier Mai, des libertaires s’y rassemblent et entretiennent la flamme en chantant. Et qui sait ? Un jour – peut-être – l’incendie se propagera jusqu’à nous : il en sera fini des sonos syndicales de cortège. Des chœurs solidaires les remplaceront, et les manifestants troqueront leurs iPhone pour des gourdins.

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Dessin d’Hector de la Vallée, publié dans le numéro 13 d’Article11


1 Ses fragments autobiographiques posthumes, Nous fûmes les rebelles, nous fûmes les brigands..., ont été traduits et édités en France par Mutines Séditions en 2005.

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2 « Si tu deviens religieuse ».

3 Les ateliers se tiennent irrégulièrement dans l’agglomération parisienne.

4 La mort de Pinelli par défenestration le 15 décembre 1969, alors qu’il était interrogé suite à l’attentat de la Piazza Fontana à Milan, n’a jamais été éclaircie. Mais il est très probable que ce sont les uniformes qui l’ont jeté à bas de l’immeuble.

5 « Pour nous, il n’y a pas d’avantage », chantaient les Sardes, alors que l’île passait de mains en mains, toujours celles de dynasties étrangères.


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