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mardi 8 septembre 2009

Littérature

posté à 11h04, par Lémi
2 commentaires

Jeff Noon : Alice au pays du Vurt
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Je préfère te prévenir tout de suite : tu ne trouveras pas dans ce billet de compte-rendu détaillé et précis du roman dingue de Jeff Noon, « Vurt », plongée dans un monde futur violent et halluciné. Au mieux y grapilleras-tu quelques bonnes raisons de te ruer en librairie pour l’acheter. Que dis-tu ? Tu n’es pas spécialement fan de science-fiction ? Pas grave, moi non plus. Il faut un début à tout.

« La vie est dure, et vous allez probablement mourir dans cette folle Jaune. Soyez très, très prudent. Cette chevauchée n’est pas pour les faibles. Elle est dingue. Un peu comme la vraie vie.
Enfin, peut-être pas à ce point, tout de même.
 »

Le Maître Chat.

C’est dans le Vurt que tout se passe, que la vérité de ce monde-là (et de ce livre-là) se fait jour. Mi-rêve, mi-territoire narcotique, on y accède en s’enfonçant des plumes en pleine gorge, des plumes dont les effets varient selon la couleur, du gentil trip apaisant à la folie ultime débordant sur le présent. Le Vurt c’est le pays d’Alice après qu’elle ait suivi le lapin blanc ou celui de Ginsberg en plein trip de Peyotl, une profusion d’images et de sensations, un lieu aussi dangereux qu’addictif. Un monde plein de codes étranges, de recommandations fantomatiques, cinématographe rugissant pour amateurs de sensations ultra-fortes dont seul un être semble posséder les clés : Le Maître Chat.

Le Maître Chat dispense ses conseils, par magazines interposés, mais ça ne suffit pas à éviter le krach onirique à ses disciples. Ils se perdent dans le Vurt, ce soleil noir pour existences ternes, beaucoup trop tentant pour ne pas y plonger.

Le reste, ce monde apocalyptique dans lequel gravitent les Chevaliers du Speed – Scribble le graphomane, Beetle le dézingué magnifique, Mandy la jeune recrue pleine de promesses – et des seconds couteaux pleins de sels (dont La Chose extraterrestre, genre de gros bout de lard à tentacules ramené d’une expédition dans le Vurt, dont la chair possède évidemment des vertus narcotiques – parfois les chevaliers en grignotent un bout), ne semble destiné qu’à tourner autour du monde Vurt, à en percevoir les émanations dans le monde réel. C’est que Scribble a perdu dans le Vurt l’amour de sa vie, sa sœur Desdémone (en échange lui échut la chose-tentacule-lard), en testant une plume beaucoup trop forte (une jaune !). Alors, les Chevaliers se mettent en chasse, esquivant les attaques de Murdoch la femme flic, s’acoquinant avec le doux Tristan & sa compagne Suze (tellement amoureux les deux tourtereaux que, déclinaison de la ronce enjambant les tombes de Tristan & Iseult, leurs longues chevelures sont inextricablement emmêlées). Et puis, il y le Beetle qui joue au chef sous amphétamine mais récolte une sale blessure cracheuse d’arc-en-ciel à cause d’une ombre-flic, Tinkle la gosse qui veut elle aussi devenir chevalier (ces gens sont crasseux, mais ils vivent à 100 à l’heure, tentant), des robo-chiens, une ville agonisante, des mondes parallèles à la demande, un sensuel über-dog (homme au-dessus de la ceinture, chien en-dessous) chef de meute, des fleurs dans les détritus urbains, des lavages paradisiaques de « Droïdlocks », des décors à la Mad Max en pire…

Indigestion ? Eh bien, non. Tout ça se tient, se dévore d’une traite, sourire aux lèvres. Car l’auteur azimuté de cet ouvrage taré, Jeff Noon, est tout sauf un enfant de cœur. Qu’on se le dise, ce type n’a pas seulement un cerveau déglingué de tout premier ordre, il possède une imparable capacité de mise en scène. Ordonner l’inordonnable, quelque chose dans ce goût là. Pas étonnant qu’on l’ait comparé dès ses débuts (Vurt, publié en 1993, fut son premier roman) au pape des cyber-divagations prophétiques, William Gibson. Ni qu’on l’ait rapproché des écrivains anglais de la génération trash, les magnifiques John Irvine et John King. On ne se formalisera même pas des rapprochements opérés avec Lewis Caroll, après tout, il y a bien un lapin blanc géant dans cette histoire :

Le portier du Slictueux Tove était un gras lapin blanc. Sa tête couperosée émergeait d’un col de fourrure maculé de bière et il tenait une large montre gousset dans ses grosses mitaines blanches. La grande aiguille était sur le douze, la petite sur le trois. Ce qui nous fait trois heures du matin de cette nuit à peine entamée.

Pour le reste, rendons hommage aux éditions de La Volte (qui, outre qu’elles publient les autres œuvres de John Vurt - encore inexplorées par votre serviteur - ont également le toupet de compter en leur écurie le très percutant Alain Damasio) pour avoir osé cette nouvelle édition (et nouvelle traduction) du roman de Jeff Noon. Et rendons grâce au Vurt tout puissant, qui, c’est indéniable, pollue ces pages et l’esprit de l’auteur avec une dextérité démoniaque. Déjà-Vurt  ? Et mon cul, c’est du lard extraterrestre ?

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COMMENTAIRES

 


  • mardi 8 septembre 2009 à 17h43, par wuwei

    « Le Vurt c’est le pays d’Alice après qu’elle ait suivi le lapin blanc ou celui de Ginsberg en plein trip de Peyotl »

    Tout à fait ! en plus la traduction de Marc Voline est top.

    • jeudi 10 septembre 2009 à 13h20, par Lémi

      Merci pour la précision, c’est vrai que la traduction dépote, j’avais oublié de le mentionner. Salutations

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