ARTICLE11
 
 

mercredi 24 août 2011

La France-des-Cavernes

posté à 11h05, par Ubifaciunt
25 commentaires

Le temps de tuer la bouteille
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Il y a un peu de moins de deux ans, on se réjouissait ici de pouvoir encore rendre hommage à l’un des derniers génies vivants de la chanson française. Aujourd’hui, on aurait préféré ne pas avoir à écrire ces mots trop trempés, mais il le fallait, tant pour lui, l’ami Leprest, que pour nous, simples amoureux de ses chansons. Alors, plutôt que de chialer, buvons un coup ; c’est sûr qu’il aurait préféré...

Allain,

La Bretagne n’est pas si loin de la Normandie ; après tout il n’y a guère que le Mont-Saint-Michel, le cidre et l’andouille pour faire frontière. Un port breton, ça ne doit pas trop te changer de par chez toi, le blanc du matin en terrasse à regarder la mer, la vague lecture du journal du coin, distraite. La page des mariages, celle des enterrements, les maisons et les voitures à vendre. En page culture, un entrefilet.

Il fait grand soleil mais d’un coup, il pleut sur la mer. Le muscadet dégouline au cul des bateaux, la main tremble à la lecture des quelques lignes, vaporeuses : « Allain Leprest, chanteur exigeant et à l’écriture rare, s’est donné la mort à 57 ans à Antraigues, ville de Jean Ferrat.  » Relire trois fois, puis dix. Ne pas y croire. C’étaient la clope, le crabe ou le pinard qui devaient t’avoir, Allain, pas maintenant, et pas en plein soleil. Reboire un coup vite fait, chercher l’Huma. Une page complète et deux superbes textes, écrits dans l’urgence de la douleur et de l’amitié. Feuilleter les autres canards, dont Libé qui pond quelques lignes honteuses - putain d’ennemis de classe.

Le soir, on organisait un débat autour des médias alternatifs avec quelques amis d’Article 11. On avait passé la journée à attendre dans le jardin que le ciel se couvre et qu’il pleuve sur la mer. Toujours rien. L’espoir de grisaille était tombé à l’eau. Et puis les gens sont arrivés, on a parlé de toi avec certains qui te connaissaient, d’autres pas, et on t’a bien évidemment dédié la soirée et tous les verres qui seraient bus. Inutile de te dire, mon bon Allain, qu’au fin fond de la Bretagne tu as été plus arrosé que les fleurs et qu’on était joyeux, surtout, de savoir que certains allaient te découvrir, et donc t’aimer.

Sale gueule de bois le lendemain. Je ne sais si c’était la fête de la veille ou la lecture des hommages des pleureurs professionnels dans les journaux du matin, mais voilà, toujours sans trop y croire, on a compris que tu n’étais plus vraiment là. Je repense au concert d’Aubervilliers, il y a deux mois, où j’avais tanné l’ami Jean-Luc pour qu’il vienne te voir pour la première fois. Comme tout le monde, je crois qu’il s’était pris une baffe d’émotion en plein poitrail. Et ses mots, quelques jours plus tard :« C’est la même impression qu’aux derniers concerts de Bashung que j’avais vus ; un truc qui vient de si loin... » Je n’avais pas voulu voir le mauvais augure. Le muscadet a un goût âcre.

Il ne pleuvra pas sur la mer jusqu’à la fin du séjour. Pas de flotte. Jamais.

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Ivry-sur-Seine, cette aprème. Avoir regardé encore une fois ce matin le DVD du concert au Bataclan en s’envoyant quelques verres ; s’être habillé de noir malgré le soleil et la chaleur de l’été banlieusard. Un humble cimetière, entre les tours. Du monde, ému. Retrouver des amis. Les applaudissements au cercueil qui avance, comme aux plus beaux de tes rappels. Le maire d’Ivry prend la parole pour un sacré hommage au coco et au mec que tu fus.

Puis, c’est au tour d’une messagère de faire part d’un texte bafouillé par le ministre de la Culture. Je laisse le correspondant de Paris Normandie raconter mieux que moi : « À la lecture du message du ministre de la Culture des cris s’élèvent, des sifflets retentissent. « Récupération ! » hurle une partie du public. Les premiers couplets de l’Internationale partent dans la foule et ponctuent la fin de la lecture du message de Frédéric Mitterrand1 »

S’ensuivent des textes de comparses, de collègues, d’amis. Romain Didier conclut mais ne peut finir, tout autant bouffé que nous par l’émotion. Les haut-parleurs qui murmurent tes chansons font fredonner les gens dans la foule à qui des œillets sont donnés pour te rendre un dernier hommage. Les mêmes œillets que ceux qu’on dépose sur la tombe de Blanqui ou au Mur des Fédérés.

Il n’y aura pas de dernier hommage, pas plus que de flotte. Jamais. Tu restes parmi nous, nos luttes, nos désespoirs et nos joies.

On quitte le cimetière, et puis on va au café ; des gens trinquent à ta santé.

Alors Allain, on boit un coup ? Allez, un dernier, pour la route...



1 On lira d’ailleurs avec profit ce billet de Floréal Melgar sur l’excellent blog de Michel Kemper


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 24 août 2011 à 12h06, par Remugle

    Ah, merde de merde !...

    Je savais pas qu’il était mort...

    A tous ceux, malheureusement trop nombreux, qui ne le connaissaient pas, écoutez par exemple « Quand auront fondu les banquises »....

    Du pur génie, effectivement...

    Et merde de merde !...

    • mercredi 24 août 2011 à 23h04, par Ubifaciunt

      Désolé de te l’apprendre si tard...

      (Mais même en l’apprenant plus tôt, c’est toujours la merdasse, effectivement.)



  • mercredi 24 août 2011 à 13h13, par spleenlancien

    "Le temps de finir la bouteille.
    J’aurai rallumer le soleil."

    In Vino Veritas.

    Salud !



  • mercredi 24 août 2011 à 13h48, par GiSham

    Très beau texte Ubi.
    Très bel hommage également hier après midi sous le ciel d’Ivry.

    A noter également les quelques lignes dans le Parisien de ce matin :

    « Homme engagé, parfois révolté, ses funérailles ne pouvaient pas se passer sans à-coup. L’hommage de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, absent lors de la cérémonie, a été copieusement conspué au moment de sa lecture et camouflé par une « Internationale » tonitruante. Un épisode qui a fait dire dans les allées : « Ça, ça aurait plu à Allain. » »

    Salut Allain...

    Voir en ligne : http://gisham.blogspot.com

    • mercredi 24 août 2011 à 23h06, par Ubifaciunt

      Merci, et oui, sacrée journée prenante à Ivry...

      Pour la tonitruance de l’Internationale, on ne relèvera pas trop. (Le journaliste a une ouïe sans doute ultra développée...)



  • mercredi 24 août 2011 à 15h09, par ZeroS

    Je ne le connaissais pas, au-delà des quelques invitations d’Ubi à l’écouter. Je m’en vais le découvrir.



  • mercredi 24 août 2011 à 19h39, par wuwei

    Je me disais « merde personne au comptoir du rosé pour nous causer de l’Alain ! » Ben si et c’est ubifaciunt qui s’y colle. Merci pour l’hommage !!!!!!!

    • mercredi 24 août 2011 à 23h08, par Ubifaciunt

      Forcément qu’il le fallait cher wuwei. Sinon, on ne valait plus rien...



  • jeudi 25 août 2011 à 18h00, par Mr. PM

    J’ai eu la chance de le voir en concert, un des plus beaux concert auquel j’ai assisté, à la suite d’un billet sur ton blog, merci encore... En voyant le titre je n’y ai pas cru non plus.
    Il y a une semaine encore je faisais découvrir Allain à un ami, autour d’une bouteille, au son de « La gitane de papa » et de « Le temps de finir la bouteille ».

    Salut Allain...

    Voir en ligne : http://quandlesconssontbraves.blogs...

    • vendredi 26 août 2011 à 00h22, par Ubifaciunt

      C’est le plus bel hommage... A ton pote de transmettre, maintenant. Et santé !

      (La gitane et la bouteille, t’as pas choisi les pires !!!)



  • vendredi 26 août 2011 à 18h38, par Anne-Marie

    J’aime beaucoup ce texte de Philippe Thivet, http://philippethivet.e-monsite.com...,good-bye-monsieur-leprest,611789.html



  • vendredi 26 août 2011 à 22h16, par Gisham

    Bonsoir

    Tous les hommages sont réunis ici :
    ( même celui de F MITTERAND )

    Voir en ligne : http://gisham.blogspot.com

    • samedi 27 août 2011 à 11h24, par Ubifaciunt

      Yes, bien joué Gisham !

      (Et encore la gorge serrée à l’écoute du Didier...)



  • mardi 30 août 2011 à 21h08, par Robert Spire

    « Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue » (Louis Aragon).

    Aujourd’hui on ne tue pas les poètes comme au temps de Lorca. Pire, on les ignore… Indifférence quasi totale des médias.
    On les enterre sous des pelletées de louanges à voix de faussets. Puis retour aux affaires. Silence…

    • mercredi 31 août 2011 à 10h53, par ubifaciunt

      A noter l’initiative de Philippe Meyer qui fera une émission spéciale de « la prochaine fois je vous le chanterai » le samedi 10 septembre sur Inter.

      • mercredi 31 août 2011 à 14h15, par Remugle

        Merci, ubi, pour cette info...

        Est-ce que les personnes qui fréquentent ce site se rendent compte que l’on vient de perdre l’un des plus grands poètes du 20e siècle et de ce début de 21e ????

        J’ose l’espérer...



  • vendredi 2 septembre 2011 à 16h30, par un-e anonyme

    La lune éteint son p’tit lampion

    Trois petits tours et puis s’en vont

    Plus de Pierrot, plus de soucoupe

    Le cosmonaut’ fait son plongeon

    Comme un cheveu noir sur la soupe

    L’été nous donne un foutu scoop

    Et ce 15 août est bien funeste

    Good bye Monsieur Leprest

    Ses deux « L » plantées dans le dos

    L’artiste a tiré le rideau

    Plus de chansons à bricoler

    La poésie aura bon dos

    Son oiseau rar’ s’est envolé

    Quelques mots pour se consoler

    Comme on lâch’rait un peu de lest

    Good bye Monsieur Leprest

    A plus d’un tour dans votre manche

    S’il fallait que le cœur s’épanche

    Vos mains ont eu le dernier mot

    Lundi s’habillait en dimanche

    Et j’ai chialé comme un marmot

    Mozart a fermé son piano

    En voilà une triste sieste

    Good bye Monsieur Leprest

    Et si les cœurs trop généreux

    A tant vouloir se mettre en deux

    Vont jusqu’à se donner la mort

    Plus de malic’ dans votre œil bleu

    Qu’un point final dans le décor

    Le poète n’a pas toujours tort

    Mais la vie retourne sa veste

    Good bye Monsieur Leprest

    Qu’on vous donne de vos nouvelles

    Mais le forçat s’est fait la belle

    Aux maillons de nos chaîne(s) hifi

    Et un coco dans l’eau du ciel

    Nous fait un drôl’ de rififi

    L’été pleut sous nos parapluies

    Les yeux c’est tout ce qu’il nous reste

    Good bye Monsieur Leprest

    L’été pleut sous nos parapluies

    Les yeux c’est tout ce qu’il nous reste

    Good bye Monsieur Leprest

    Philippe Thivet
    (15/08/2011)

    Voir en ligne : http://philippethivet.e-monsite.com/

    • samedi 3 septembre 2011 à 15h00, par un-e anonyme

      Danke mon Ubi chéri.

      je pense à un truc :
      ne pas se laisser écraser, mais ne pas mettre la barre trop haut non plus.



  • samedi 3 septembre 2011 à 15h12, par Ubifaciunt

    Et voilà, je pensais que c’était le 10, mais le bon Meyer a commencé ce jour... En espérant qu’il continue !

    le lien :

    La prochaine fois / Leprest

    • vendredi 16 septembre 2011 à 15h50, par Reveric

      Je clique sur le lien pour aller ecouter Leprest et je vois le bandeau du haut sur le site de Brance inter avec la tronche de Nanard.
      Putain de monde.

      • lundi 19 septembre 2011 à 02h09, par Ubifaciunt

        Ouch, ouaip’, c’est moche !

        Monde de merde, mais Nanard rachète les crédits....

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