jeudi 15 mars 2012
Le Charançon Libéré
posté à 17h12, par
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La Préfecture de police de Paris aime bien communiquer sur les faits d’arme de ses troupes en uniformes. Pour en savoir plus sur les brillantes actions des policiers parisiens et ne rien rater de leurs plus beaux exploits, il est ainsi possible de s’inscrire à un fil d’information. Une forme de propagande pro-képi qui en dit long sur la vision du monde made in pandore-land. Décryptage.
Cela fait un certain temps que je les conserve précieusement, dans un dossier de ma boîte de réception. Je les parcoure parfois, quand l’insomnie guette, partagé entre fascination et répulsion. Il y en plus d’une cinquantaine, titrés « PPflash » et sous-titrés « Le flash info de la préfecture de police ». Envoyés à raison d’un ou deux par jour, ces mails émanent tous du cabinet de communication de la Préfecture de police de Paris1. Essentiellement destinés aux journalistes, ils portent sur la « réussite » du jour : une arrestation menée tambour battant, une agression entravée, des malfaiteurs interpellés, des sauvageons mis hors d’état de nuire, etc... La police travaille ; elle le fait savoir par mails.
Bien sûr, le fil est orienté. Totalement. Dans ses envois quotidiens, le cabinet de communication préfectoral n’évoque ni ratages ni bavures. Les policiers sont toujours gens honnêtes, uniformes performants, képis malicieux, professionnels consciencieux et si soucieux de la déontologie qu’il ne leur viendrait jamais à l’idée de - par exemple - tirer une balle de flashball pile-poil dans la tête d’un contestataire. Dans ces mails, les flics ne sont jamais racistes ou violents, médiocres ou dangereux. Ils sont juste... biens. De joyeux et performants figurants pour la plus belle des fictions : la vie rêvée de la préfecture de police.
Il faudrait - c’est vrai - être de mauvaise foi pour s’étonner ou s’insurger de cette présentation biaisée. Parce que les mails émanent de l’institution elle-même. Et qu’au premier filtre – celui d’un corps constitué n’appréciant guère la mise en lumière objective de son activité – s’y ajoute un second, celui d’une cellule de communication. Double banco, en somme : le mensonge se superpose au mensonge. La fiction ainsi créée vaut parfaite représentation des rêves répressifs de ceux qui orientent l’activité policière : multiplication des incriminations, répression tous azimuts, politique du chiffre, recours à la vidéo-surveillance et fantasme d’une police omnisciente et toute puissante. L’exercice tient finalement de la politique fiction, d’une projection très biaisée de la réalité. Et les ressorts utilisés - caricature, ironie facile, présentation très particulière des faits et choix politique des délits mis en avant (en insistant sur les jeunes mineurs2, sur les délits créés au cours des années 2000, à commencer par celui de rassemblement dans un hall d’immeuble, ou enfin sur la fraude aux prestations sociales3) - rattachent clairement l’exercice à l’idéologie : là où la plupart des polices occidentales communiquent de façon plutôt neutre, la préfecture de police de Paris le fait avec un angle et un ton très orientés.
D’un mail à l’autre, un large panel de délits est passé en revue. Histoire de montrer que rien n’échappe à la police et d’illustrer la variété de ses champs d’intervention : effraction, cambriolage, escroquerie, fraude à la carte bleue, saucissonnage, deal, délit de fuite, recel, conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de produits stupéfiants, coups et blessures, délit d’occupation des halls d’immeuble, outrage, faux papiers, etc...
Mais si les actes dits délictueux varient, le portrait dressé des uniformes ne change guère. Eux apparaissent toujours malins et efficients. N’ont jamais les yeux dans leurs képis. Et font davantage songer à Sherlock Holmes qu’à Pinot simple flic. Une figure magnifiée qui s’inscrit dans la logique fantasmée d’une police proactive : les flics seraient déjà sur les traces des malfaiteurs avant même qu’ils n’aient commis le délit qui leur vaudra arrestation. Au fil des mails, ils sont ainsi « alertés par le comportement de trois hommes », « ils remarquent cinq individus semblant suivre un jeune homme peu rassuré », ils « remarquent deux individus semblant très intéressés par les usagers », ils « avaient repérés [deux hommes] alors qu’ils semblaient particulièrement intéressés par les bagages des voyageurs », ils « remarque[nt] un homme sortir de son véhicule et dissimuler un sachet dans son pantalon à hauteur de la ceinture », ils « repèrent deux jeunes filles observant depuis les escaliers de sortie d’une station de métro les personnes retirant de l’argent à un distributeur situé en surface », ils « sont attirés par le comportement de deux individus qui pénètrent dans plusieurs immeubles de la même rue à l’aide d’un passe », etc... Bref, ils apparaissent à leur avantage, parfaitement intégrés à leur environnement et faisant preuve du plus joli des sens de l’observation. Caméléons répressifs, ils observent et guettent, avant d’interpeller - mais toujours à juste titre. Chuck Norris en uniformes.
Dans ce monde rêvé, société parfaitement rangée, chaque chose est à sa place, chacun tient parfaitement son rôle. Les malfaiteurs sont aussi mauvais que crétins. Les victimes payent le prix fort d’une société trop permissive - surtout celles ayant dépassé les quatre-vint ans, c’est toujours plus frappant4. Les flics interpellent avec maestria, en flagrant délit ou au terme d’une longue enquête (au choix). Et la vidéo-surveillance joue prétendument un rôle crucial, précieux, essentiel - de nombreux mails préfectoraux en font mention, alors même que les études objectives sur le sujet soulignent l’efficacité très marginale des caméras dans la dite prévention de la délinquance5. À Colombes, le 23 février, la vidéo-surveillance aurait ainsi permis de prendre sur le fait « trois hommes en train de voler une moto, [de] la charger dans un véhicule utilitaire et [de] quitter les lieux » : notée grâce aux caméras, l’immatriculation du véhicule aurait directement amené les policiers chez l’un des voleurs. Dans le XIXe arrondissement, le 27 février, les pandores s’en seraient servis pour retrouver un conducteur de scooter responsable d’un délit de fuite : « Un opérateur du service local de transmission (SLT) lance une recherche via les caméras de vidéoprotection et le repère en train de stationner l’engin à l’autre bout de l’arrondissement », explique la cellule de communication. Cerise sur la matraque, les caméras auraient même permis de retrouver ceux qui s’en étaient pris à elles : un mail du 20 février relate comment une dizaine de personnes se seraient organisées pour mettre bas une caméra et comment « un opérateur [qui] vidéopatrouille6 » aurait organisé la riposte policière. Cette dernière dépêche est titrée « Caméras de vidéoprotection : rien ne sert de les casser, vous serez malgré tout filmés et … interpellés ! » Compris ?
Cela nous amène à une autre des caractéristiques de cette liste de diffusion : ses rédacteurs se piquent d’humour (de corps de garde) et s’essayent à l’ironie (facile). Des saillies typiques du camp des bien-pensants, largement teintées de moralisme et de mépris pour les personnes interpellées. Ce goût pour la rire gras et supérieur apparaît particulièrement dans les titres des dépêches. « Profession dealer, salaire 2 000 €, domicile La Santé… », annonce ainsi un mail du 21 février, avant de détailler le cas d’un dealer arrêté et transféré à la maison d’arrêt de La Santé. « Touche pas à ma mère, aux autres femmes oui… », pavoise un autre mail, en date du 13 février : le texte qui suit moque une mère de famille ayant tenté de défendre son fils de 16 ans, interpellé pour avoir agressé une jeune femme dans la rue. « Le directeur du restaurant n’a pas digéré son licenciement… », ironise un courriel du 2 février, revenant sur le cas d’un gérant viré du restaurant dont il avait la charge et qui y est retourné pour faire main basse sur la caisse. « Il avait la bosse de l’escroc… », rigole maladroitement un dernier mail, en date du 6 mars, avant d’expliquer : « La brigade anti-criminalité (BAC) locale remarque un homme sortir de son véhicule et dissimuler un sachet dans son pantalon à hauteur de la ceinture. Contrôlé, et invité à présenter ce qui se cache derrière cette grosseur peu naturelle, il prend la fuite en courant mais est rattrapé et interpellé. La « bosse » est en fait constituée d’une quarantaine de cartes bancaires contrefaites, d’une clef USB et d’une dizaine de recharges de cartes de paiement non nominatives. » Grosseur peu naturelle ? Les communicants policiers goûtent même les lourdes allusions sexuelles. Ouarf-ouarf....
Ces pâles tentatives d’humour n’ont qu’un but : souligner que force reste toujours à la loi. Non seulement, les méchants finissent derrière les barreaux ; mais ils sont en sus moqués et rabaissés. Un rire policier qui s’accompagne d’une caricaturisation à outrance. Puisque les uniformes s’imposent comme des modèles d’efficience et d’intelligence, les malfaiteurs ne peuvent qu’endosser le rôle exactement inverse : celui de tristes idiots. Ainsi de ces quatre personnes arrêtées à 2 h 30 du matin alors qu’elles faisaient main basse sur des poutrelles de fer sur un chantier et qui se justifient - dit-on - en expliquant y avoir été autorisées par le responsable des travaux (mail du 2 février). Ainsi de cet homme « fortement alcoolisé » déjeunant avec sa compagne et qui prend la fuite quand elle s’étouffe avec un morceau de viande, pour se réfugier dans un « débit de boisson » voisin où il sera interpellé (mail du 9 février). Ainsi de ces trois hommes qui braquent une banque, partent avec une douzaine de cartes de retrait et se font arrêter alors qu’ils tentaient de les utiliser sur les distributeurs de l’agence même qu’ils avaient braquée (mail du 20 février). Ainsi - enfin - de ces deux cambrioleurs que les policiers, après avoir été prévenus par le propriétaire du pavillon, retrouvent cachés sous une couette (mail du 14 février). À chaque fois, ces faits ne sont retenus que dans une optique : faire sourire celui qui en lit la recension, lui arracher une petite remarque in petto sur le mode « Ah, les cons... ». Rire avec la police, sourire à son initiative n’est jamais innocent : sous l’amusement perce forcément la légitimation et un inconscient embrigadement. L’autorité te range sous son drapeau sans même que tu n’en aies conscience. Malin.
La sélection de ces faits divers n’a donc rien d’innocente, qu’il s’agisse de souligner l’efficacité des uniformes, de mettre un accent très politique sur certains auteurs d’infraction (avec encore une fois une préférence pour les jeunes mineurs ou les personnes d’origine roumaine), de pointer des délits (rassemblements dans un hall d’immeuble ou fraude aux allocations sociales) idéologiquement instrumentalisés par le pouvoir en place, d’insister sur la très grande vulnérabilité de victimes âgées ou de mettre en exergue la bêtise des malfaiteurs. Une même conclusion toujours : dormez tranquille, braves gens, la police veille. On y croirait presque...
1 Pour ne rien manquer de cette trépidante activité policière, il suffit de s’inscrire ICI.
2 Quand les mineurs sont en sus d’origine roumaine, c’est le gros lot. Le 3 février, un mail relate l’arrestation de cinq adolescents accusés d’avoir agressé une touriste japonaise. Et souligne : « Quatre sont âgés de 13 et 14 ans, le cinquième a 19 ans, tous de nationalité roumaine et installés dans un camp situé dans l’arrondissement. » À la préfecture de police, on se frotte les mains...
3 Quand ladite fraude nourrit censément le deal, double banco again. Ainsi de ce mail du 24 janvier, intitulé « Les dealers achetaient leur marchandise avec le RSA ». À la préfecture de police, on se frotte à nouveau les mains...
4 Exemple parfait, ce mail du 15 mars titré « Les deux voleuses de 13 ans s’en prennent à une octogénaire ».
5 Voir ce billet publié sur le site Bug Brother, qui rapporte notamment que « l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée par la police nationale à Lyon est de l’ordre de 1 % ».
6 Sic...