ARTICLE11
 
 

mardi 4 mai 2010

Sur le terrain

posté à 15h02, par Anita
13 commentaires

Paris-Nice : une longue marche pour des papiers
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Les sans-papiers du MRTSP (Ministère de la Régularisation de Tous les Sans-Papiers) ont décidé de s’inviter au raout France-Afrique de Nice, les 31 mai et 1er juin prochains. Alors que des dizaines de chefs d’État y sont attendus, ils veulent dénoncer leur collaboration avec la politique néo-coloniale française. Pour marquer le coup, ils sont partis le 1er mai. À pied. Récit du départ.

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Ça y est. Ils sont partis ! Un départ (presque) en fanfare le samedi premier mai, depuis la rue Baudelique, dans le 18e, et le siège du MRTSP (Ministère de la Régularisation de Tous les Sans-Papiers). Un peu en retard sur l’horaire prévu, le temps de distribuer quelques paires de chaussures et des gilets fluo, de faire l’appel des marcheurs…
Les marcheurs sont principalement issus de la CSP75, mais aussi d’autres groupes de la région, du DAL ou encore du collectif Turcs et Kurdes. Ils se dirigent d’abord vers République pour le défilé, et puis lâchent la manif du premier mai. Direction : le Sud ! Accompagnés par leurs camarades et quelques policiers, ils longent les boulevards extérieurs en un cortège joyeux et bigarré, qui scande les refrains habituels - « Sarkozy a oublié, ses parents sont immigrés…  » - et interpelle les passants : « On est des travailleurs sans-papiers ! On va à Nice ! On va se taper mille kilomètres ! »
C’est une vraie marche à la mexicaine ou à la bolivienne qui démarre ainsi, la rage au cœur et les cors aux pieds, une petite marée noire hexagonale. C’est parti et c’est beau. Si la tradition est plutôt latino (quoique, remarque un ami bolivien : « C’est bizarre leur truc. Chez nous, on part plutôt de la province pour aller vers la capitale… »), la plupart des marcheurs sont Africains ; mais il y aussi des Kurdes, des Antillais et même des Chinois. Seul regret, la relative discrétion des sans-papières, qui ne sont que trois, dont une déléguée de la CSP75. Chez les Français qui accompagnent les sans-papiers, en revanche, plusieurs filles, dont deux vidéastes qui alimenterontle blog de la marche pendant un mois.
L’absence des médias « normaux » est d’ailleurs aussi remarquable que le nombre d’« alternatifs », avec deux personnes de Téléliberté et un représentant de FPP. On croise aussi un jeune homme qui donne des cours d’informatique rue Baudelique ou encore une poète errante s’étant déjà frottée aux marches mexicaines. En tout, les « avec-papiers » sont une petite dizaine, et ont pour point commun d’être des « électrons libres » (par opposition aux soutiens affiliés aux « orgas »).

Pour ceux qui n’auraient pas suivi, rappelons que depuis juillet dernier, la CSP75, violemment expulsée en juin de la bourse du travail par les camarades de la CGT – cf l’article Prends ta tarte, camarade ! – occupe un bâtiment parisien désaffecté de la CNAM, rue Baudelique. Ayant lancé un appel à la rejoindre dans ce lieu immense, elle impulse la création en septembre du Ministère de la Régularisation de tous les Sans-papiers (MRTSP), composé de plusieurs collectifs de sans-papiers d’Île-de-France et de plusieurs partis et associations de soutien, dont la plupart - gênés de soutenir l’occupation de la Bourse - sont ensuite revenus dans le combat. Depuis, tous se réunissent chaque semaine au « Ministère » pour décider d’actions communes, notamment des manifestations tournantes devant toutes les préfectures d’Île-de-France. Les ont rejoint de très nombreux sans-papiers isolés, attirés par la médiatisation de cet été.
Si seule la CSP75 occupe physiquement le bâtiment de la CNAM (rejointe par le collectif des Turcs et Kurdes), 3 000 occupants vivent dans cette Babel contemporaine, en une internationale métèque improbable et combative. On y croise des hommes et femmes de tous pays, un repas y est servi quotidiennement, et dans les étages surpeuplés, ça sent le maffé ou les lentilles à l’indienne. Lorsqu’un Malien rencontre un Bengladi, ça donne à peu près ça : « Hello camarade, where is ton délégué ? »

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Depuis un mois, le Ministère prépare la marche sur Nice, tâchant de s’assurer du gîte et couvert pour chaque étape d’un périple passant par Melun, Auxerre, Châlon, Macon, Lyon, Valence, Avignon, Marseille, Cannes et enfin Nice. En ce samedi matin, l’organisation peut sembler approximative. Il manque ainsi un camion et un chauffeur pour transporter les affaires des marcheurs, mais le problème se règle en marchant, deux copains se proposant pour des allers-retours en voiture. Ce soir, première étape à Vitry, où le collectif des sans-papiers et leurs camarades s’activent depuis plusieurs jours pour l’accueil et le repas.
A l’issue de cette première et courte étape (15 kilomètres), tous les marcheurs se regardent, heureux : ils l’ont fait, ils sont en marche ! Un événement souligné dans les prises de parole : « Après l’occupation de Zapi, après Saint Bernard, vous êtes rentrés dans l’histoire ! Regardez comme vous êtes beaux ! » Ok, ils sont beaux, mais pour l’heure ils ont surtout faim et se bousculent autour du repas préparé par les militants de Vitry. Ceux-ci se désolent de l’hébergement : la mairie a refusé d’ouvrir un gymnase (pour des raisons de sécurité, of course) et n’a concédé qu’à contre-cœur le terrain vague octroyé aux cirques de passage. Cette première nuit se fera donc dans le froid et le crottin de chameau, sous les tentes qui prennent l’eau, réminiscence de cet hiver et des trois mois d’occupation du trottoir de l’Hôtel des impôts de Vitry par le collectif. À l’aube, beaucoup ont peu dormi. Leïla, la cinquantaine joyeuse, résume au réveil son état d’esprit en rigolant : « C’est la merde ! », faute au froid et à son manque d’habitude du camping… Heureusement, à 7 heures, café et croissant sont là, et quand les militants proposent de prendre des douches chez eux, le moral général remonte en flèche.

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La seconde étape est plus longue, et les marcheurs sont désormais seuls. Un arrêt était prévu devant le CRA de Choisy-le-roi, mais la police a dévié le trajet pour éviter tout « débordement  ». Sissoko Anzoumane, l’un des délégués de la CSP75, propose une halte pour un petit point historique face à la statue de Rouget de l’Isle : « C’est lui qui a écrit la Marseillaise ! On va lui chanter la version des Sans-papiers ! » Plus loin, après avoir franchi la Seine à Athis, le cortège fait un petit détour pour manifester devant le commissariat de Draveil, « le plus zélé du département, celui qui arrête le plus de sans-papiers ».
La troupe trouve son rythme, on discute et on blague : « Après Nice, on continue sur Rabat et Bamako ! ». Marchant depuis plusieurs heures d’un bon pas, elle croise peu de monde dans ces banlieues désertes. Bien encadrée par la bleusaille, elle gêne peu la circulation ; devant une voiture tentant pourtant de forcer le barrage, un flic s’énerve même : « Vous croyez que ça m’amuse de les suivre ? Ils ont le droit de manifester aussi, c’est tout ! ».
Au final, les marcheurs arrivent à Evry sur les genoux. Les trente kilomètres du jour se font sentir : certains ont fini en chaussettes, d’autres mettent de la pommade sur leurs ampoules. Tous posent leurs bagages dans un foyer pour immigrés habité par des Kurdes de Turquie, qui servent un thé noir et brûlant. Des chaussures neuves et des duvets arrivent, il faut réussir à s’installer à cent dans les locaux du foyer. De leur côté, les Kurdes s’activent pour le dîner ; plus tard, il ne faut pas les prier beaucoup pour qu’ils se lancent dans une danse du pays, avec une allégresse communicative.

À la nuit tombée, la malheureuse reporter doit quitter la bande pour revenir à Paris, émue de ce début d’aventure joyeusement bordélique, rageant de voir ce combat si peu couvert par les médias, et la tête pleine des vers du Cahier d’Aimé Césaire :

« …la négraille assise/inattendument debout/debout dans la cale/debout dans les cabines/debout sur le pont/debout dans le vent/debout sous le soleil/debout dans le sang/debout/et/libre… »

C’est parti pour un mois. Demain, Melun, puis Sens, la vallée du Rhône et le Midi… Vous qui cuisinez à l’abri et confortablement installés, renseignez-vous ! Peut-être que la troupe passe par chez vous, du côté des terrains vagues ou des foyers d’immigrés : n’hésitez pas à apporter votre grain de sel à l’aventure. Vous serez bien reçus, et apprendrez à pratiquer le turco-malien mieux que personne…


Le départ de la marche en images / photos by Anita

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COMMENTAIRES

 


  • mardi 4 mai 2010 à 20h25, par Christine

    Oui, le silence médiatique est désespérant :-((

    Reste à nous trouver des photos de chaque étape :-)

    • jeudi 6 mai 2010 à 13h53, par aureliano buendia

      le silence médiatique est désespérant

      mais pas seulement le silence médiatique. Il y a des autres billets sur Article 11 qui suscitent plus des réactions et commentaires, et sur celui-ci, silence presque absolut.
      c’est notre propre silence.
      c’est, pour le moins, inquiétant.

      • jeudi 6 mai 2010 à 18h50, par JBB

        Ouais, tu n’as pas tort. Et même : pas tort du tout.

        Le billet a quand même eu 600 visites. Et les gens peuvent aussi ne pas commenter parce qu’ils ne trouvent rien à ajouter à un très bon article - ce qui est le cas de celui-ci :-)
        Mais quand même, il y a un désintérêt relatif pour le sujet. Et c’est assez inquiétant.

        • vendredi 7 mai 2010 à 10h10, par dan

          « Et les gens peuvent aussi ne pas commenter parce qu’ils ne trouvent rien à ajouter à un très bon article - ce qui est le cas de celui-ci :-) »

          Et comme dit un peu plus loin : ce n’est pas parce que l’on ne commente pas que l’on n’apprécie pas.

          Merci pour cet article :-)

      • samedi 8 mai 2010 à 09h39, par Jac.

        Merci pour ce super article.Suis pas peu fier d’avoir transporté, du côté d’Auxerre, l’auteure, les muscles en compotes. Merci pour eux, les enfants de Césaire, qui venaient de faire plus de 80 kms en 2 jours pour qu’enfin ce pays les connaissent et les respectent. Merci à tous ces soutiens de l’Yonne, chaleureux, parfois débordés( les bords de l’Yonne à Appoigny, c’est pas que beau, c’est boueux, troueux, merdique), toujours présents.



  • mercredi 5 mai 2010 à 11h23, par un-e anonyme

    Pour suivre l’actualité de la marche en image et en son :

    http://www.bitin.fr/deux/tele-liberte.html

    http://www.dailymotion.com/ministeresp

    Soutenez les marcheurs, diffuser l’information.

    may

    • jeudi 6 mai 2010 à 19h25, par Karib

      JBB m’ôte les doigts du clavier... Ca n’est pas parce qu’on ne commente pas, qu’on ne lit pas.... et qu’on n’apprécie pas, voire... qu’on ne participe pas.



  • jeudi 6 mai 2010 à 20h41, par pablito

    ils sont fous !! et les vers de césaire tombent bien à propos ! merci de nous tenir au courant combien sont ils ? courage à eux !

    • jeudi 6 mai 2010 à 21h36, par un-e anonyme

      Zut, j’aurais pas écrit le chiffre ? Je croyais pourtant, bref ils sont quatre-vingt marcheurs dont 40 de la CSP75 et les autres d’autres collectifs, Turcs et Kurdes, Dal, et les CSP des départements autour, 93, etc. Très motivés, il y en aurait eu plus si leur nombre n’avait pas été fixé à quatre-vingt, pour des raisons logistiques... Il y avait aussi au départ une petite dizaine de « blancos », comme dirait Manuel Valls, dont certains continueront à vous parler de la marche sur les sites indiqués dans l’article, et je vous renvoie aussi à celui de la « poète errante » qui débusque parfois un ordi pour son blog (excellent, avis aux littéraires) :

      http://www.over-blog.com/profil/blo...

      Concernant l’intérêt à la chose et les médias, il paraît que mardi l’accueil à Sens fut superbe, avec le maire et les élus, une fanfare et la presse locale, dont l’Yonne républicaine, FR3 régionale et une radio du coin... On envoie les Parisiens faire un stage dans l’Yonne ?

      Amitiés
      Anita

      • jeudi 6 mai 2010 à 22h41, par Marc

        Depuis la première étape, cette ambassade itinérante des sans papiers parisiens semble prendre de l’ampleur. J’espère qu’il n’y aura pas seulement des « blancos » pour nous parler de cette marche. C e serait bien que les marcheurs nous fassent part de leurs motivations, et aussi que s’expriment ceux qui les accueillent fraternellement (et en musique !) lors de leurs étapes ... Pouvons nous leur envoyer du courrier, des messages électroniques ou d’autres marques de solidarité ?
        Bravo à tous ceux qui marchent et bon courage !

      • vendredi 7 mai 2010 à 02h07, par PPellicer

        Un mouvement important prévu à Nice à leur arrivée ?

        Je serai tout juste de retour de l’étranger...mais même fatigué du trajet ce sera surement un moment à ne pas manquer.



  • vendredi 7 mai 2010 à 13h39, par pablito

    mais qu est ce qui font dans l yonne les pauvres ! sinon l attitude du maire d auxerre est tout à son honneur. surtout que le ministere de l interieur essaie de le remettre à sa place.



  • lundi 17 mai 2010 à 00h57, par aeite

    Je me défends : je suis le jeune homme qui donne des cours d’informatique
    et c’est un ALIBI !!!
    pour ,et seulement pour, être un soutien permanent à la lutte la moins médiatisé de sans-papiers
    c’est une marche pour la régularisation de TOUT les « sans-papiers » (ils les sement sur la route je finit par trouvé ça poétique) et pas seulement des travailleurs petite précision à cette article que je lis en diagonale ...

    Nous sommes ce soir dans un gymnase à péage de roussillon dégoutté après le compte-rendu de notre journée OFF à Lyon par « le progres » (dont on attendais rien au demeurant : ils n’étaientpas présent) après la fameuse « pantalonnade » de ce négationniste de préfet de l’yonne qui oublie que dans sa région aussi des migrants se cachent des chiens galeux de la république

    le mépris et la désinformation médiatique n’a rien d’anodin... comprennes qui pourra

    j’entends par là fait circulé qui pourra et idouté vous que des rumeurs de directives à l’égards des médias bourgeois nous ont échues

    la route est encore longue et nous allons traversé des zones sensibles
    à rappelé qu’à villefranche des projectiles ont été jeté d’une voiture et une des fameuses cinéastes à été blessée (je ne détaillerai pas ici mais cette attaque pernicieuse à des relents d’avertissements)

    on entends plus parlé de la jungle que des 3000 personnes qui passent à baudelique chaque jour...

    merci de relayé notre combat il n’est pas terminé

    notre libre circulation est plus légitime que celle de leurs foutus marchandises !

    et surtout comme je le portes fièrement :
    Notre identité n’est pas nationale !

    je finirais par une bref communiqué à tous les migrants : étrangers, NE NOUS LAISSEZ PAS TOUT SEUL AVEC LES FRANCAIS

    ou sinon j’vais venir vous cherchez par la peau du ... :)

    Merci à tout les soutiens que nous avons croisés et à ceux qui nous attendent

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