lundi 27 avril 2009
Le Cri du Gonze
posté à 14h53, par
9 commentaires
Pfff, encore un complot ? Il exagère… A force de fantasmer les sales coups de ses ennemis, il n’est plus crédible… Voilà le genre de réaction suscité par les déclarations d’un Morales se disant victime d’une tentative d’assassinat. Manque de pot : une télé hongroise a diffusé une vidéo de l’un des terroristes en question. Accréditant les « affabulations » de Morales sans que personne n’en parle. On s’en charge, du coup…
16 avril, Santa Cruz. Une fusillade éclate dans un hôtel du centre-ville. La police tue trois hommes (un Irlandais, un Croate, un Bolivien) en arrête deux autres. Dans leurs chambres, les forces de l’ordre affirment avoir retrouvé des armes à feu et des explosifs. Le lendemain, le président bolivien déclare publiquement que ces hommes avaient prévu de l’assassiner. Il demande même à Obama de condamner publiquement l’action des apprentis terroristes. En vain.
Problème : personne ne l’a pris au sérieux. Le pauvre Evo délirait encore une fois, incorrigible parano toujours prêt à voir des complots partout. Cette fois-ci, c’était vraiment mal foutu, peu crédible : les mercenaires rêvant de l’assassiner avaient aussi tenté d’éclatouiller un cardinal. Un beau bordel qui, même pour moi, evolâtre assumé, semblait un tantinet tarabiscoté. N’est pas Kennedy qui veut… Evo a un peu pété les plombs, me suis-je dit, sûrement un effet secondaire de sa grève de la faim. J’ai zappé l’histoire, notant toutefois qu’Irlandais et Hongrois réclamaient le droit d’enquêter eux-même sur ce qui s’était passé. En pure perte, le président bolivien ayant évidemment refusé.
Et puis, il y a deux à trois jours, une surprenante vidéo a fait surface. Un des hommes zigouillés par la police, un certain Eduardo Rozsa Flores, au pedigree de mercenaire atypique, y confessait post-mortem son implication dans une vague d’attentats minutieusement planifiés. Le but ? Faire sombrer la Bolivie dans le chaos afin de favoriser les velléités autonomistes de certaines régions.
Le document vidéo, difficilement réfutable, a été diffusé par la télévision hongroise. Les autorités boliviennes ont également annoncé être en possession d’un film dans lequel ce personnage trouble - oscillant entre Opus Dei et marxisme (?), il a participé à la guerre de Yougoslavie. Un film a même été tiré de ses diverses « aventures », bande annonce visible ici - discute des modalités de l’assassinat de Morales avec ses complices (il s’agissait apparemment de faire exploser son bateau lors d’une traversée du Lac Titicaca...). Le site Global Voices revient sur le passé de ce loustic très déplaisant et cite notamment un billet de blog résumant son étrange parcours :
Comme le souligne le quotidien espagnol La Razón, il était un « fanatique de toutes les causes ». Gauchiste dans sa jeunesse (son père s’était engagé contre le régime militaire de René Barrientos), il est ensuite devenu un ardent catholique de l’Opus Dei, avant de combattre les Serbes aux côtés des Croates. Il a ensuite abandonné le marxisme (bien qu’il admire toujours le Che), s’est reconverti à l’islam, est retourné en Bolivie et pourrait avoir tissé des liens avec l’Union des jeunesses de Santa Cruz, alors qu’il éditait toujours un site hongrois d’information consacré au monde musulman. Voilà pour un petit aperçu.
Au final, c’est étonnant : l’information n’a pas beaucoup été relayée de par chez nous. A part Le Courrier, journal Suisse qui y a consacré un article de bonne facture, il est difficile, voire impossible de trouver ces révélations ailleurs. Elles confirment pourtant que Morales ne balance pas que des stupidités quand il évoque des complots à son encontre (il est coutumier du fait, accusant généralement la CIA de n’avoir pas lâché l’affaire et de rêver de le renverser). Surtout, l’histoire rappelle que le processus politique enclenché par le président ne fait pas que des heureux en Bolivie et qu’ils sont nombreux - surtout dans les provinces de l’Est - à souhaiter voir Morales sombrer, au sens propre comme au sens figuré.
L’envers du décor : Santa Cruz, nid de fachos
Le complot a été déjoué dans la ville de Santa Cruz, capitale de ce qu’on appelle communément l’Oriente. L’Est Bolivien, aussi appelé « Media Luna », diffère énormément des régions dites de l’altiplano. Géographiquement déjà, puisque toutes ces provinces (Pando, Beni, Tajira et Santa Cruz) sont situées à des altitudes modérées (entre 1 000 et 2 000 mètres) alors que les régions de La Paz, Potosi, Oruro ou Cochabamba se situent plutôt entre 3 000 et 4 000 mètres d’altitude. Ethniquement ensuite, puisque ces régions sont beaucoup plus « blanches », peuplées d’une population qui n’est pas à majorité indigène. Socialement, également, puisque ces régions ont longtemps détenu les richesses du pays - notamment les hydrocarbures - et sont beaucoup plus fortunées que celles de l’Altiplano. Et politiquement enfin, les habitants de l’Oriente étant en majorité hostiles aux politiques de Morales et du MAS, son parti. L’ensemble débouche sur des velléités d’autonomie récurrentes, la province de Santa Cruz rêvant de ce séparer de cette Bolivie andine un peu trop revendicatrice et égalitariste.
Comme le rappelle Marc Saint-Upéry dans son excellent Le Rêve de Bolivar (éditions La Découverte) : « La connotation ethnique de ce conflit est évidente : la prospère et industrieuse Santa Cruz se considère comme beaucoup plus blanche et métisse que l’Altiplano andin (même si la réalité est pour le moins plus nuancée). La bourgeoisie locale, regroupée autour de la Chambre d’industrie et de commerce et du Comité civique de Santa Cruz, est en majorité issue d’une immigration européenne ou moyen-orientale récente. Elle se veut aussi un bastion de l’iniative individuelle, de la libre entreprise et de la modernité économique contre ’l’étatisme’ et ’l’arriération’ des populations andines. Il y a longtemps que la capitale de l’Oriente se sent opprimée par la bureaucratie de La Paz, mais l’arrivée du MAS au pouvoir a exacerbé les tensions. »
Ces « tensions » n’ont pas été loin de déboucher sur une guerre civile en août et septembre 2008, avec des troubles très violents et des attaques contre les indigènes1. Les plus farouches opposants à la politique de Morales se trouvent regroupés sous la houlette de Ruben Costas, extrémiste connu pour ses déclarations outrancières. A Santa Cruz, capitale économique du pays, certains lieux sont encore marqués par une forte ségrégation et un très grand ressentiment contre Morales. Ce dernier y est souvent comparé à Hitler, car on l’accuse de mener une politique basée sur un racisme à l’envers, de vouloir se débarrasser des blancs pour favoriser les indiens. Absurde et paradoxal, ce que souligne Saint-Upéry : « La référence à Hitler est d’autant plus savoureuse que Santa Cruz est un des principaux nids latino-américains de réfugiés nazis et oustachis, avec lesquels nombre des bonnes familles de la ville ont eu des liens étroits (ainsi que certaines en ont aujourd’hui avec les réseaux ultranationalistes croates.) »
Des personnages comme Branko Marinkovic, fils d’oustachi, lui même très très très à droite sur l’échiquier politique, et deuxième homme fort de la région (il est notamment président du Comité Civique de Santa Cruz, instance essentielle dans la vie politique bolivienne) jouent un rôle clé dans la « résistance » au pouvoir incarné par Morales. A noter, l’existence de sympathiques organisations de jeunesse comme la Phalange socialiste bolivienne dont le salut, le bras tendu, est directement inspiré du salut franquiste. On se rappellera aussi avec émotion que c’est dans cette même ville de Santa Cruz que Klaus Barbie, le bourreau de Lyon, avait trouvé refuge dans les années 1980, faisant de son mieux pour aider le dictateur Hugo Banzer dans ses actions sanglantes (on lui octroya en récompense la nationalité bolivienne)…
Un complot anecdotique ?
Au vu de l’efficacité des mercenaires, cueillis en slip dans leur hôtel et descendus sans trop de difficultés, on pourrait douter de l’importance de l’affaire. De même, les affirmations du Hongrois Eduardo Rozsa Flores, confiant sur la vidéo que Morales était loin d’être la seule cible et qu’il s’agissait également de s’attaquer à des personnalités de l’opposition (dont Ruben Costas), poussent à s’interroger : c’est quoi, ce complot visant autant l’opposition que le gouvernement ? Pourquoi zigouiller Costas si l’objectif est de favoriser l’autonomie ? On ne le saura sans doute jamais. Reste que d’importants moyens financiers ont forcément été apportés au projet, et que le caractère international de la conspiration - un seul Bolivien compte au nombre des comploteurs tués - implique un minimum de préparation.
La logique à l’œuvre ? Simple : déstabiliser le pouvoir et semer le bordel, pour mieux en récolter les fruits. Montrer que les deux Bolivie, celle de l’Oriente et celle de l’Atiplano, ne pourront jamais s’entendre. Pas une nouveauté : « En 1971 déjà, c’est de la région de Santa Cruz que démarra le coup d’Etat militaire du gorille Hugo Banzer contre le gouvernement progressiste du général Juan José Torrès », rappelle ainsi un article d’Alternatives International.
Enfin, ce n’est pas la première fois que Morales dénonce des complots le visant. La réaction des médias étrangers est généralement de tirer à boulets rouges sur le président aymara, l’accusant de jouer au martyr. Ce qui s’était passé, par exemple, quand Evo avait expulsé l’ambassadeur américain - qui soutenait ouvertement l’opposition et dînait régulièrement avec Ruben Costas - et les officiels yankees de la DEA, accusés de manigances louches. Le président bolivien s’en expliquait en 2007 dans un journal italien, Il Manifesto. Extraits, tirés de la traduction disponible sur Alternatives International :
Il y a une forte opposition des milieux conservateurs, qui ne veulent pas perdre leurs privilèges. Ils n’acceptent pas que la nationalisation des hydrocarbures ait été effectuée et soit garantie par de nombreux mécanismes légaux et constitutionnels ; ils n’acceptent pas que le pouvoir ait été transmis au peuple et ne soit plus le privilège de quelques familles, d’une oligarchie. Je veux dire : le pouvoir économique et le pouvoir politique. Parmi eux, il y a des racistes, des fascistes. (…)
L’extrême-droite n’est pas disposée, effectivement, à accepter l’Indien, et est donc littéralement dégoûtée. Et elle réagit. Je le dis en pesant mes mots, mais j’ai des informations selon lesquelles elle ne se situerait plus sur le plan de l’opposition politique, elle parle de coup d’État, de coup militaire. (…) On va jusqu’à parler d’attentats contra la vie des personnes. (…)
Nous avons une photographie de l’ambassadeur des États-Unis avec un paramilitaire colombien, prise récemment ici en Bolivie. Heureusement, le paramilitaire a été arrêté et se trouve en ce moment en prison. Nous avons des informations sur la présence, dans notre pays, de forces paramilitaires armées et organisées, formées par des éléments de droite et des délinquants. Lorsque la droite ne peut plus mobiliser comme elle le faisait auparavant, elle passe à l’extrême : le paramilitarisme.
Les positions de Morales sont peut-être exagérées. Mais elles sont loin d’être absurdes. Les révélations de Flores, le mercenaire hongrois, ont au moins ce mérite : elles rétablissent une certaine forme de vérité.
1 A Tajira, par exemple, les partisans du comité civique conservateur ont attaqué avec pierres et dynamite le marché indigène. Dans le Pando, c’est plusieurs dizaines d’indiens qui ont été assassinés par les hommes du préfet.
2 Je ne peux pas confirmer que cette photo n’est pas un montage. Mais elle reflète assez fidèlement le personnage, de toute manière.