jeudi 16 avril 2009
Le Cri du Gonze
posté à 15h49, par
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C’est ce matin que l’Elysée a annoncé la nouvelle. En quelques mots bien choisis, taillés au cordeau, balancés d’une voix blanche par le porte-parole de l’Oréal, Frédéric Lefebvre, la France est entrée dans une période de doute : « Nicolas Sarkozy, mécontent, entame un grève de la faim. Vous l’avez bien cherché. » Il est 11 h 23, la France tremble. Retour sur un séisme politique qui fera date.
« Le rejet d’Hadopi, ça a été la cerise sur le gâteau, la preuve que je ne pouvais plus gouverner la France comme je le voulais. Je veux dire, ce n’est pas normal, ce genre de choses ne devrait pas arriver dans une démocratie. L’opposition me malmène, on me traite comme un moins que rien. Jusqu’à Obama qui me met des vents. J’en ai marre, c’est tout. Ma décision est irrévocable, je me mets en grève. De la faim. »
Jeudi 16 avril, 10 h 23, le président s’allonge devant la caméra de TF1. L’air grave, les sourcils froncés, il prend place sur le grand canapé en cuir de son bureau élyséen après avoir soigneusement plié sa veste de smoking. Le marathon commence.
Comment en est-on arrivé là ? Nul ne le sait exactement. Il se murmure dans les cercles proches du pouvoir que l’exemple récent du président bolivien Evo Morales, jeûnant 6 jours afin de mettre le parlement face à ses responsabilités et sortant triomphant de l’épreuve, aurait pesé dans la balance à l’heure de prendre la décision.
Il se dit également que le président chercherait à renouveler son action politique, exaspéré par son manque de popularité actuelle (le récent sondage Ipsos plaçant Chirac en tête de liste des personnalités politiques préférées des Français, et le reléguant lui-même à une peu reluisante 33e place, ne l’aurait pas non plus laissé indifférent). Après avoir essuyé rebuffade sur rebuffade, Sarkozy aurait décidé de revenir aux fondamentaux, à savoir la bouderie médiatisée. Ce qui pourrait passer pour un caprice de président au bord de la crise de nerfs correspondrait en fait à une stratégie de communication élaborée en vue de faire passer un message fédérateur : en temps de crise, le président se serre la ceinture comme les autres.
C’est Ivan Rioufol qui, comme à son habitude, résume le mieux l’événement dans Le Figaro : « Encore une fois, le président ne fait pas les choses à moitié. Il lance un message fort aux Français : vous ne me suivez pas, vous refusez de cautionner ma politique ? Très bien, je vais vous montrer qui est le chef, et qui est prêt à se sacrifier. C’est très habile. Et, sous réserve d’une couverture médiatique compatissante (qui oserait frapper un homme à terre, amaigri ?), ce sera une bonne manière pour souder les Français autour de sa personne : plus il maigrira, plus il montera dans les sondages. La France va redécouvrir celui qu’elle a tant aimé. »
Le candidat au martyr hexagonal n’a pas fait les choses à moitié. Sa préparatrice physique et muscleuse d’éjaculation, Julie Imperiali, annonce ainsi sur son site Internet que « le jeûne lui permettra de perdre définitivement ces quelques kilos en trop qui s’accrochaient jusque là, c’est une très bonne nouvelle pour ses fessiers. » Des proches ont confié que mêler entraînement physique personnel et coup médiatique ne déplairaient pas au président. Qui irait le lui reprocher ?
Dimanche, c’est Michel Drucker qui le recevra, alité, sur le plateau de Vivement Dimanche. Pour une émission qui devrait pulvériser des records d’audience (Le président aurait déclaré à ce sujet : « Désormais, en France, quand il y a une grève de la faim, personne ne s’en aperçoit. Alors il faut bien que je me donne un petit coup de pouce »), avec Carla Bruni interprétant son dernier morceau, « Quelqu’un m’a dit que t’étais amaigri ». Le reste de la semaine devrait être consacré à une tournée des popotes médiatiques, en pyjama tricolore, Paris Match annonçant déjà un dossier de 24 pages intitulés « Le calvaire héroïque d’un Président Courage ». Nul doute que le symbole touchera des Français en pleine crise morale.
En attendant, c’est tout l’hexagone qui s’interroge : tiendra, tiendra pas ? Le pays, déjà, se soude autour du martyre national devenu cause prioritaire. L’objectif étant en premier lieu de dépasser les 6 jours de Morales, ce « gagne-petit », ceci sans avoir recours à la Coca comme son homologue à poncho (Sarkozy ayant déclaré : « J’ai pas besoin de me doper, moi, je fais ça dans les règles, à la française »). Un regain de patriotisme est attendu, c’est bien naturel.
Une bien belle leçon de politique, en tout cas, que ne viendra pas ternir, espérons-le, cette Une désastreuse d’un journal d’extrême gauche dont nous tairons le nom, pour ne pas lui faire de pub : « Et l’immolation par le feu, c’est pour les chiens ? »