jeudi 1er octobre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 16h47, par
27 commentaires
À France Télécom, on sait prendre les problèmes à bras-le-corps ! Confrontée à la « mode » des suicides, l’entreprise a eu une idée lumineusement ignoble : équiper son prochain bâtiment de dispositifs anti-défenestration et en bloquer les fenêtres… La preuve qu’il faut - sans attendre - profiter des ouvertures pas encore condamnées pour y faire passer la direction. Hop !
Je fais une petite chronique hebdomadaire sur la radio libre FPP, le jeudi à 12 h 30. Comme je ne recule devant rien, je te la copie-colle ici. Et si vraiment t’es courageux, tu peux même l’écouter ci-dessous :
Il m’est arrivé un drôle de trucs, les aminches.
Et je ne pouvais guère ne pas vous en parler.
Figurez-vous…
Je me lève ce matin, le cerveau dans les chaussettes et l’esprit embrumé.
Normal.
Je me gratouille la fesse droite, me caresse la joue gauche et lance un café.
Normal
Je me dirige vers la salle de bain, me balance un peu d’eau vers le visage, évite de me regarder dans le miroir et crache mon haleine fétide vers le plafond.
Normal.
Puis, je vais jusqu’à la fenêtre, pousse les volets pour goûter au chaud soleil d’une nouvelle journée enthousiasmante et… et… et découvre trois grandes planches de bois clouées en travers, lesquelles barrent l’horizon et la vue.
Pas normal.
Et même : paranormal du tout.
Ça peut sembler incroyable.
Voire complètement fou.
Mais c’est ainsi : un abruti quelconque a profité de la nuit pour escalader la façade de mon immeuble - jusqu’au deuxième étage, quand même… - et pour condamner toutes mes fenêtres avec de gros madriers - calibre trente sur douze pour ceux qui s’y connaissent, autant dire que c’est pas de la petite planchounette de merisier que tu choppes à Leroy-Merlin, c’est du gros, du lourd, du costaud.
Impossible à enlever, j’ai essayé.
Et j’étais même en train de bander désespérément mes muscles de sportif pas vraiment d’élite pour tenter de bouger le truc d’un petit millimètre quand ça a sonné à ma porte.
J’ouvre.
Je dis bonjour au facteur.
Je prends le recommandé qu’il me tend, paraphe la petite feuille à signer, retourne dans mon antre d’où le soleil est désormais exclu et - à la lueur d’une lampe de chevet - ouvre et lit ce courrier.
Ça vient du syndic de mon immeuble.
Et ça éclaire pas mal - façon de parler… - la condamnation de mes fenêtres.
Je vous lis la lettre :
« Cher Monsieur Machin », m’écrit monsieur syndic
« Vous avez peut-être constaté un léger changement apporté cette nuit à vos fenêtres. C’est tout à fait normal », me rassure t-il.
« Notre cabinet a en effet décidé de condamner toutes les fenêtres des immeubles dont il a charge de syndic. Une décision qui fait suite à une défenestration opérée depuis l’une d’entre elle, il y a trois jours. Un acte tragique, suicide effectué depuis le cinquième étage, qui n’a pas manqué de nous faire prendre conscience de nos responsabilités. Nous avons donc décidé qu’il valait mieux supprimer tout accès aux fenêtres pour les 500 appartements dont nous nous occupons plutôt que de prendre le risque de voir un tel geste se renouveler. »
Formule de politesse, blablablabla, et la signature : « Monsieur Syndic ».
Voilà.
Tout s’explique.
J’écris cette chronique dans l’obscurité la plus complète mais mon âme est joyeuse et mon cœur frétillant, parce que je sais que c’est pour la bonne cause que je suis plongé dans de sombres ténèbres.
On vit une époque formidable…
Et bien, les aminches, figurez-vous que le crétin congénital, abruti désespérant et imbécile ultime qui a décidé de condamner mes fenêtres n’est pas vraiment un modèle unique.
Et que c’est le même à l’évidence (ou les mêmes, tant ce genre de débile désolant se clone à l’infini en notre époque épique) qui œuvre à la direction de France Télécom.
L’entreprise envisageant - en accord avec le CHSCT, soit le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, il faut le préciser parce que ce n’est jamais anodin quand ce sont des prétendus représentants des salariés qui devancent les rêves les plus doux de ceux qui tiennent la laisse - l’entreprise envisageant, disais-je, d’agrémenter l’immeuble qu’elle est en train de terminer à Saint-Denis de dispositions « anti-suicides ».
C’est authentique - je précise parce qu’à force de m’écouter raconter des conneries, on pourrait se poser la question : le prochain bâtiment de France Télécom fera donc huit étages pour 32 000 m2 de bureaux, rapportent la presse et Rue-Affre, et il est prévu que ses fenêtres ne puissent être ouvertes, que ses terrasses soient inaccessibles, tandis que les rambardes devraient être spécialement rehaussées pour éviter qu’un salarié ayant décidé de s’écraser lamentablement sur le trottoir ne puisse le faire depuis son lieu de travail.
Le progrès est vraiment chose magnifique.
Je suis quand même un peu surpris - puisqu’on en parle - que les dirigeants de France Télécom n’aient pas poussé la logique jusqu’au bout : pourquoi s’emmerder avec des fenêtres et des terrasses ? Autant construire un gros cube sans ouvertures, ça coûtera moins cher ; on enchaîne les salariés à leur ordinateur, histoire d’être sûr qu’ils ne puissent tenter de se suicider dans l’escalier, on les empêche de sortir dans la rue pour qu’ils n’aillent respirer le dangereux air du dehors, on leur interdit l’accès au toilette pour être certain qu’ils n’essayent pas de se noyer dans la cuvette, et hop : le problème est réglé, tout le monde bosse, personne ne se tue, c’est fantastique.
Je gage, les aminches, qu’on ne devrait pas tarder à en venir là.
Et je constate, en attendant, que le libéralisme est vraiment renversant, lui qui résout le mal-être et le désespoir des travailleurs en rehaussant des rambardes et en condamnant des fenêtres.
Pour terminer, et tant que toutes les fenêtres ne sont pas encore définitivement fermées dans toutes les entreprises, je ne peux que vous inciter - amis salariés - à en faire bon usage.
En clair : plutôt que de sauter vous-mêmes, défenestrez vos patrons !