mercredi 17 septembre 2008
Médias
posté à 10h04, par
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Quand l’ancienne première dame de France, tout chapelet dégainé, consent à faire récit de sa foi au micro d’Europe 1, le très disposé Marc-Olivier Fogiel communie étroitement avec l’invitée du jour, transformant l’interview du matin en réclame pro-cléricale. Ni vu ni connu. Un grand numéro de duettistes. « Merci Monsieur Fogiel », « merci Madame Chirac ». Applaudissements.
Les bonnes choses se reconnaissent à leur empreinte prégnante. Il en va ainsi de la (trop) courte visite de Benoît XVI en France qui donna lieu à un déluge d’enthousiasme politique et médiatique parfaitement raccord avec l’impact du déplacement. France 2 se fit fier, vendredi dernier, de bousculer sa grille de programmes afin d’assurer avec un maximum de soins un direct haletant consacré aux premiers pas du Saint-Père à Paris. Moins d’égards, c’eût été révoltant.1 Au diapason, ou donnant le tempo (allez savoir), Nicolas Sarkozy, au bras duquel était arrimée l’épouse, s’était quant à lui personnellement chargé de l’accueil, la plus élémentaire des attentions pour qui conçoit que l’éclat d’un pays se mesure aussi à l’aune de ses attributs hospitaliers. De ce point de vue, qu’on se rassure : la France en a dans le paquet.
On en était là de nos souvenirs papaux, le cœur empêtré après trois journées de prêches solides et sincères, quand l’oreille rencontra lundi matin ce petit supplément de bonheur qui prolongea de manière inattendue l’enchantement de l’événement qui prenait fin. L’oreille était posée sur Europe 1, où Marc-Olivier Fogiel, trois jours après avoir reçu le prêtre Guy Gilbert, embraya avec une digne interview de Bernadette Chirac, qui avait choisi la station, expliqua une speakerine, « pour raconter sa foi ». Au reste, l’échange s’effectua en duplex en Lourdes. Et l’affaire semblait d’importance : on apprit plus tard sur l’antenne que le courageux Fogiel s’était tout exprès transporté dimanche soir dans les studios d’Europe 1 pour recueillir la pieuse parole de l’ancienne première dame de France.
Autant vous le confier maintenant qu’il n’y a plus rien à craindre : nous avons redouté, sur l’instant, un dangereux dérapage, tant il est vrai que Marco est peu réputé pour ménager ses invité(e)s. Au lieu de quoi, divine surprise, la conversation prit immédiatement une tournure courtoise, les deux intervenants devisant avec grand respect, échangeant tout sourire (du sourire dans la voix) à grands coups de « madame Chirac » et de « monsieur Fogiel »2 Bref, on fit reculer toutes nos craintes. « Monsieur Fogiel » opéra avec une infinie correction.
Ce qui ne le dispensa pas, professionnalisme acéré, de conduire une interview charpentée, documentée, dont le point de départ tenait dans le témoignage décisif de Bernadette Chirac, suiveuse assidue des soubresauts papaux durant tout le week-end. « Il a l’air très doux, très bon, c’est ce que son visage reflète », commença par décrire Bernie l’embedded, un portrait dont on aurait tort de minorer l’authenticité : « madame Chirac » tient un pedigree recommandable.
« J’ai la chance d’appartenir à une famille chrétienne et d’avoir été élevée dans des écoles catholiques. Je suis très imprégnée par cette religion catholique qui m’habite et m’accompagne où que j’aille et quoi que je fasse », répondit-elle à « monsieur Fogiel », qui réussissait là un fameux tour de force en obtenant de « madame Chirac » des confidences jusqu’alors restées silencieuses. « Monsieur Fogiel » osa donc cette question, ou plutôt cette habile relance : « Il paraît que vous priez beaucoup, que vous êtes toujours en possession d’un chapelet. » A ce stade du ping-pong oral, on comprit que cette interview contribuerait pesamment à la connaissance du monde qui est le nôtre, phare dressé dans la nuit noire de nos tourments les plus violents. « Madame Chirac » ne se défila guère3 : « J’ai en effet un chapelet sur moi, dans mon sac à main, partout où je suis ».
[A titre personnel, on continue de s’étonner du peu d’ampleur donné à cette révélation brûlante, urgente. Comme je le pense je le dis : il serait temps que l’AFP se sorte les doigts du culte.]
Partant, « monsieur Fogiel » avait manœuvré si adroitement que « madame Chirac » consentit à baisser définitivement la garde en livrant « un petit scoop », tandis qu’on lui demandait si son mari, « monsieur le président de la République », faisait assaut d’autant de foi. Le « petit scoop », donc : « Il n’était pas confirmé lorsqu’on s’est rencontré, ce qui fit scandale dans ma famille. On a réparé ça très vite avant le mariage. » Plus loin, cette autre « bombe » : « Son grand-père paternel, que je n’ai pas connu, était anticlérical, franc-maçon : tout cela n’était pas très souriant dans ma famille. »
« Monsieur Fogiel » eut alors l’air satisfait. C’est en tout cas ce qu’on s’accorda à déduire de ses petits rires complices, spontanés, qui résonnaient dans l’auto-radio. Tacticien avisé, il glissa à cet instant précis la question piège, l’enjeu de cette interview.
La laïcité positive, telle que prononcée par Nicolas Sarkozy.
Qu’en pensait-elle ?
« Il a eu raison de dire ce qu’il a dit », se débarrassa « madame Chirac ». Vous pensez bien que « monsieur Fogiel » ne sut s’en contenter. Il ralluma une mèche, et quelle mèche ! Comprenait-elle la polémique née après l’intervention du président ? (Formulé ainsi, convenons-en, voilà qui risquait de compromettre le ton aimable dont nous étions témoins). « Madame Chirac » répliqua avec force argument : « Devant l’ONU, Benoît XVI a rappelé que les droits de l’homme incluent le droit à la liberté religieuse. Ça, c’est très, très, très (sic) important. Ce pape a indiqué fermement que l’Europe ne peut et ne doit pas renier ses racines chrétiennes. C’est une vérité historique qu’on ne peut pas ignorer. »
Voilà, « monsieur Fogiel » ne pouvait plus l’ignorer. Qui retrouva pourtant tout son mordant aux abords de la dernière ligne droite pour solliciter bille en tête « madame Chirac » sur les sujets sensibles réclamant d’épaisses expertises.
On vous le livre tel quel – ça ne manquait pas d’audace.
Carla Sarkozy devait-elle accompagner son mari à la descente de l’avion ? « C’est la place de l’épouse du chef de l’Etat d’être à côté de l’appareil pour accueillir le souverain pontife. »
Quelle est son regard, justement, sur Carla (oui, on se demandait) ? « Elle représente très bien la France, elle fait très bien tout ce qu’elle fait. »
[ L’auditeur envoûté se trouve dès lors saisi d’applaudissements frénétiques, pris d’admiration par la qualité de l’échange présenté à lui. D’un côté, un intervieweur de renom, tout talent dehors, contradicteur inflexible ; de l’autre, une ancienne première dame ne lésinant pas sur d’étroites analyses, répliquant du tac au tac, inspirée, éclairée - exaltée. ]
Il fallait une conclusion.
« Monsieur Fogiel » joua son va-tout.
Est-il exact, questionna-t-il avec une fébrile émotion au coin des lèvres, est-il exact que « madame Chirac » aurait pu rentrer dans les ordres ? « Mon père avait un frère prêtre et une sœur religieuse », esquissa subtilement « madame », comme en répondant oui. « D’ailleurs, poursuivit-elle aussitôt, le pape a prié pour les vocations. Je pense que ça reviendra. Quand on voit tous ces jeunes qui prient avec ferveur… »
« Au revoir et merci madame Chirac. »
« Au revoir et merci monsieur Fogiel. »
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A mon tour : je vous salue, marri.4
1 Mais bon, allez comprendre, il s’est trouvé quelques syndicalistes agités pour manifester du désaccord.
2 Pour mémoire, rappelons que la charité de « madame Chirac » à l’égard des journalistes qui la sollicitent est régie par de biens légitimes limites. En témoignent ces quelques vidéos passées à la postérité, à visionner ici, là, et encore là.
3 Au contraire de sa suivante, Carla, qui elle défila beaucoup. Fermez la parenthèse.
4 Mise à jour. Histoire de dépassionner quelque peu les débats (quoique), une petite vidéo qui nous réconcilera avec les papes.