Depuis que Berlusconi s’est fait refaire la tonsure, a investi dans l’implant, c’est devenu une évidence : la coiffure est une arme politique de première bourre. Sans cheveux foisonnants, sans coquetterie capillaire, un homme politique n’est rien. Ça n’a pas toujours été le cas. Retour sur une évolution que symbolise à la perfection le porte-parole de l’UMP et de l’Oréal, le très BHLien Frederic Lefebvre.
« Il faut faire quelque chose avec tes cheveux », recommanda le Premier ministre d’alors au conseiller de son rival. Lui : « Mon coiffeur est mort. » Villepin, amical : « Je suis sérieux, Frédéric. » Lefebvre résistait. « Mes cheveux, c’est une manière, dans ce monde politique qui me ressemble si peu, d’affirmer ma personnalité ».
C’est un triomphe capillaire comme on n’en a plus connu depuis Barthez. A l’époque de ce dernier, les chauves (ou assimilés) tenaient le haut du panier, ne semblaient pas prêt de quitter les avant-postes. Alors que ledit Barthez s’affichait dans tous les Mc-Do de France et de Navarre, embrassant du hamburger, Obispo triomphait, Bruce Willis sauvait l’Amérique tous les deux mois, Johnny remplissait des stades d’un claquement de doigt et Zidane étalait son corps musculeux de cobaye créatiné sur les pubs Danone avec une lascivité capillairement vierge qui ne cessait de nous épater. La non-chevelure avait le beau rôle alors, à droite : moins, c’était mieux. Rien, c’était encore mieux. Ils voulaient du lisse, des crânes étincelants, luisants. Ça semblait parti pour durer. Jusqu’à Chirac qui dégarnissait à qui mieux mieux et mon père ce héros qui suivait le mouvement, par pure solidarité.
Nous autres, racailles gauchistes, on avait le monopole du poil et du cheveu, on débordait de partout, rebelles capillaires devant l’éternel. C’était plus fort que nous. La tradition remontait à Marx : les extrémistes se devaient d’être broussailleux, jusqu’aux sourcils. La ligne de démarcation était tranchée, et bien tranchée. A nous Jim Morrison, le Che et les Freak Brothers, à eux Nixon, Yul Brynner, Guy Montagné et M. Propre (le pire de tous). Par le cheveu (ou son absence), on reconnaissait l’ennemi, on savait à quoi s’en tenir. Même les Skins montraient la voie.
Et puis, sans prévenir, tout a déconné. Nos valeurs esthético-capillaires ont commencé à s’écrouler. Doucereusement. Certains commençaient à troubler le jeu, à ne pas respecter les codes en vigueur. On n’avait pas vu ça depuis Charles le Chauve. Des impostures tombaient, le cheveu se faisait ambivalent. Britney Spears, tondeuse à la main, avouait enfin l’horrible vérité, s’octroyant une tonsure des plus seyantes : elle n’était pas de gauche. Avec elle, c’est toute la culture MTV qui embrassait le versant dégarni et réac de la vie. Le choc fut rude.
Et très vite, un renversement s’est opéré. Pas de manière soudaine, mais plutôt insidieusement, en profondeur. Dans notre dos. On était inconscient, on frimait avec nos mèches rebelles en singeant le Tomasi du Péril Jeune, et, pendant ce temps, l’ennemi faisait de même, grignotait notre terrain. Au fond, tout était planifié : il s’agissait de nous spolier de nos derniers attributs contestataires. Ainsi, à Neuilly, un certain N. S. affichait fièrement ce que nous ignorions encore : le cheveu virait à droite. La croisade avait commencé.
En guise de nouvel avertissement, il y eut BHL. Sa mèche virevoltait de ci de là tandis qu’il squattait les médias en prenant des poses de grand guignol, de plus en plus repoussoir. Nous autres, gauchistes, on fit semblant de rien. Sa mèche, après tout, était très ordonnée, lissée, presque chauve finalement, de droite ; la nôtre était batailleuse et grasse, populo.
Avec Luc Ferry, le danger s’est précisé. La caste des bellâtres adhérant au club « Hair in the wind for the right » (Copyright Wuwei1) ne cessait de s’élargir. Ils grouillaient dans les cercles du pouvoir, se multipliaient comme des petits pains. Quelque chose se fomentait, c’est sûr : comme expliquer cette floraison de mèches folles réactionnaires ?
Ensuite, Berlusconi a continué dans la même voie. Allant jusqu’à se payer une nouvelle chevelure médicalement assistée. On a commencé à se poser des questions. Si même lui, le plus horrible des conservateurs européens au pouvoir, se mettait à chercher l’allongement de chevelure, cela remettait pas mal de choses en cause. « Si lui veut plus de cheveux, alors moi j’en veux moins », me confia ainsi un vieux babos de mes amis un soir de détresse. Je ne pouvais qu’opiner.
Les choses en étaient là, au point mort. On ne savait plus trop à quel saint se vouer, on tergiversait : le cheveu avait-il vraiment passé l’arme à droite ?
Et puis Frederic Lefebvre est arrivé, triste comme un jour sans pain. De ce jour (sans pain, donc), plus rien ne fut jamais pareil. L’ouragan Lefebvre déferla sur nous, rognant nos idéaux contestataires et spoliant nos poses esthétiques.
Il est là depuis peu, le porte-parole de l’UMP, mais on dirait qu’il est là depuis toujours. Cheveux gras, houppe hirsute. Il a tout dynamité. Dès qu’il s’est engagé aux côtés de Sarkozy, il a fait si fort dans l’ignoble que l’Internationale du Cheveu Long ne s’en remettra probablement jamais.
Ainsi, comme il l’a immédiatement claironné, il souhaitait, aux côtés de son mentor ex-chevelu Neuilly Style, remporter « la troisième guerre mondiale » (pas moins, il faut savoir être ambitieux dans la vie). Puis il y eut cette phrase sibylline qu’il assuma sans complexe : « la dénonciation est un devoir républicain. » Puis d’autres saloperies monumentales que même Martinon il osait pas. Un torrent de nullités au service de la nullité. Pantalonnades sans fin, dont la toute dernière, très récente : l’accusation envers Rue 89, ce repère de médisants qui n’auraient pas su comprendre qu’un narcotrafiquant n’est pas forcément un mauvais bougre...
En l’observant évoluer dans l’arène politique, moi qui fus longtemps fermement convaincu de la supériorité politique et esthétique de la longue chevelure, j’ai finalement fait machine arrière. Plan Barbarossa capillaire. Ce n’était plus tenable. Adieu veaux, vaches, cochons, cheveux, je me raccroche désormais à ce proverbe algérien : « Le crâne du chauve est proche de Dieu. »
Je vous invite à faire de même. Tous à vos tondeuses !