mardi 10 novembre 2009
Sur le terrain
posté à 08h10, par
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A l’appel de l’ARPPI (Association pour le respect des proches de personnes incarcérées), on a battu le pavé parisien, dimanche, sous l’œil concupiscent des journaleux et des flics, tous très déçus d’avoir raté la manif anticarcérale de Poitiers quelques semaines plus tôt. Du coup, ils étaient là en force, prêts à intervenir à la moindre incartade. Et Article 11 aussi…
(Pour accompagner ta lecture, Antimollusques a confectionné un très classe reportage audio sur la manif. Savoure !)
De 200 personnes présentes selon la police à un bon millier selon les organisateurs, ça dépend en fait si l’on compte le nombre de flics en civil qui encadraient littéralement le cortège et ceux à l’intérieur même de la dite manifestation. Ce qui nous fait, en appliquant une toute bête soustraction, un nombre proche de 800 civils, ce qui semble tout à fait probable vu les moyens répressifs mis en œuvre ce dimanche 8 novembre.
Ne pas se voiler la face, première « grosse » manif parisienne depuis… Depuis ?
Depuis Poitiers en fait, présente dans tous les esprits. Ceux de la meute RTL-France 2-BFM. Pas vu TF1, qui devait pourtant bien être dans le coin mais qui a dû sans doute préférer ne pas arborer trop haut l’étendard tricolore. Toujours ça de pris… Ceux des flics, évidemment, qui ont cerné le parcours : Bastille, Gare de Lyon, Place d’Italie ; même pas la peine d’espérer approcher la prison de la Santé, objectif initial du parcours. Les flics qui, consciencieusement depuis trois jours, ont épluché tous les halls d’immeuble, toutes les plaques d’égout, toutes les planques potentielles du trajet - sans doute des fois que la menace anarcho-autonome ne sorte des AK-47 maquillés en sapins de Noël de chez Truffaut. Ceux des organisateurs de la manif, rappelant le contexte et appelant à a responsabilité de chacun. Ceux des manifestants, pour beaucoup en pleine période de réflexions, sinon de polémiques internes, quant à l’intérêt stratégique de l’action poitevine.
Du coup, l’ambiance est pesante. Ça se regarde beaucoup, ça regarde de partout, premières rumeurs sur des gens qui se seraient faits interpeller avant même de rejoindre Bastille ou à la sortie du métro1. Les familles de détenus prennent à tour de rôle la parole. Dignes, émues, résolues. Contentes de voir ce monde pour les soutenir. Ce monde qui pourtant, n’écoute pas trop les discours2 et continue à jauger l’ambiance et les possibilités éventuelles d’action.
On commence à s’ébrouer. Vu le froid et le nombre de civils, il y a bien plus de bonnets que de capuches de sortie. Dès lors, il ne faut pas trop de temps pour se rendre compte qu’il ne va strictement rien se passer. Dix civils fondent sur quelques colleurs d’affiches, histoire de bien montrer que ce sont bien des flics au cas où on aurait été assez stupide pour pas remarquer, certains, comme toujours, viennent prêter main forte à leurs collègues depuis le cœur du cortège. La bonne vieille éternelle tactique policière : mettre des civils gros comme des maisons sur les bords, comme ça t’es bien content de les griller tellement ils sont visibles et du coup tu fais moins gaffe aux autres, beaucoup plus insidieux dans la manif elle-même.
Et puis plus rien, sinon le vent, le froid, et toujours ces regards méfiants, en tension, de tous les côtés. Petite pause devant l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière où une taule médicalisée est aménagée à l’intérieur, et toujours les discours de Catherine Charles, présidente de l’ARPPI et mère de Christophe Khider3.
Arrivée à Place d’Italie, terme de la petite ballade dominicale. Catherine étale ses états de service, les endroits où il est possible de l’entendre et de la lire. Dont le Monde Libertaire. Une voix derrière : « De toute façon, en ce moment, si on veut apprendre des trucs sur ce qui se passe, vaut mieux lire le Monde tout court que le Libertaire… » Allusion même pas voilée à l’interview de Coupat, à la revendication des Coucous de Potiers ainsi qu’à l’enquête sur l’archipel des autonomes parue dans la semaine avec la complicité active de témoins dont prénom a été changé4. Ça rigole un peu. Catherine continue. En guise de bilan de la manif, elle remercie les gens qui ont bien su se tenir et qui ont été « assez intelligents pour pas casser ». Quelques rires et une petite bronca saluent son propos. Elle se justifie. « Ben oui, intelligents, adultes, vous mettez le mot que vous voulez… » Une voix hurle « Ou simplement stratégiques ! »
Le temps d’une version plus qu’engagée et néanmoins apocalyptique de la Semaine Sanglante5 et tout le monde rentre.
Moralité : flics payés à rien foutre et mobilisés en masse pendant une journée, ce qui a peut-être permis qu’ils ne renversent pas un gamin quelque part ailleurs, journaleux dépités de ne rien avoir eu à se mettre sous la caméra, TF1 qui se planque, familles de détenus qui se sont senties, de leurs propres mots, soutenues et touchées, aucune arrestation durant la manif, allez, on se motive et on se dit qu’on a passé un super chouette dimanche et que les mauvais jours finiront !
1 Dix personnes interpellées et libérées vers 17 heures, alors que la manif venait de se disperser. Comme quoi, à la Préfecture de police aussi, on a des Rolex qui marchent bien…
2 Ce que la glorieuse Antimollusques te propose d’écouter bien au chaud…
3 Pour rappel de l’histoire du fameux évadé, on peut consulter avec intérêt son blog.
4 Pas la force, pas le courage, pas envie de taper tous les liens… T’as qu’à googliser. En revanche, voici une hilarante et salutaire déconstruction journalistique pour me faire pardonner.
5 In extenso sur le glorieux reportage sonore, à bien écouter jusqu’au bout, donc !