mardi 22 février 2011
Le Charançon Libéré
posté à 01h12, par
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Cela fait huit ans que ce lieu parisien vit sans temps morts, accueillant concerts, soirées de soutien, AG, permanences et autres prises de parole. À force, le bâtiment de la Coordination des intermittents et précaires est devenu passage (presque) obligé, endroit connu et fréquenté par tous. Plus pour longtemps ? Dans l’air depuis un bail, l’expulsion - voulue par la Ville de Paris - semble imminente.
Pour peu que tu habites Paris, tu y as sans doute traîné tes guêtres. L’endroit fait partie du paysage, et tu y a sûrement commencé des soirées, terminé d’autres - peut-être même qu’à la fin de certaines, tu titubais un brin, la tête lourde et les jambes flageolantes, sourire aux lèvres. Là-bas, tu as dansé, assisté à des concerts, éclusé des bières ou du rosé (à prix libre), dragué une fille ou une garçon, ou les deux, et puis discuté avec tous les autres. Tu as fait la fête, simplement, et tu étais un peu comme chez toi, lieu où tu rentrais sans qu’on ne te demande de comptes, sans qu’on ne te fasse payer de prix d’entrée, sans qu’on ne t’emmerde. Précieux.
Mais tu n’as pas fait qu’y descendre des godets ou agiter tes gambettes ; encore heureux. Là-bas, tu as maté des films, entendu des conférences, assisté à des prises de parole, soutenu de justes combats, choppé des tracts et brochures. Tu as participé à des assemblées générales - au départ d’une manif ou au retour d’une autre. Loin des organisations, encore plus éloigné des institutions, l’endroit était refuge parfait pour nombre de collectifs et passage obligé d’un certain activisme - celui qui ne se reconnaît ni dans les partis ni dans les syndicats, place les gens au centre de toutes choses, prône l’auto-organisation et le partage des ressources1. Bref, un lieu de luttes. Vivant, dynamique et accueillant. Ses membres réclament des lieux pour habiter le monde, et c’était naturel et agréable d’occuper le leur, à l’occasion.
Parler du lieu au passé fait par trop avis de décès. Et puis, la CIP-IDF - pour Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France - est toujours là, en ses murs du 14-16 quai de Charente (occupés depuis 2003, au plus fort du mouvement des Intermittents). Toujours là, soit. Mais en sursis : malgré une longue bataille, ses membres viennent de recevoir « le commandement à quitter les lieux », qui ouvre la voie à l’intervention policière. Longues discussions (entamées en 2008), pétition, manifestations et actions diverses n’y ont rien changé, tant la Ville de Paris - ou plutôt, son bras armé, en l’occurrence la Société d’économie mixte d’aménagement de la ville de Paris (SEMAVIP), propriétaire du bâtiment - est résolue à expulser au plus vite ces agitateurs trop radicaux à son goût, pas assez socialo-compatibles. Si décidée à les virer, même, qu’elle a refusé la proposition de conciliation de la Cour d’Appel. C’était là la dernière chance de la CIP-IDF, après la décision du tribunal d’instance du 19e arrondissement, le 17 septembre dernier, de l’expulser de ses bâtiments et de la condamner à de lourdes astreintes financières (5 500 euros par mois à compter de décembre 2009, je te laisse faire le calcul...2). Un refus de la conciliation s’expliquant notamment par le fait que la coordination se retrouve, bien malgré elle, au centre d’un ambitieux projet immobilier : « Le 14-16 quai de Charente n’est qu’une petite partie d’une vaste opération d’urbanisme, la ZAC Claude Bernard. Celle-ci comporte essentiellement des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux et des installations « d’excellence », détaille - par mail - Boris3, de la CIP. Il s’agit de l’une des concrétisations du « Grand Paris » puisque le projet enjambe les maréchaux et le périph. La parcelle où nous sommes est la partie qui légitime ce projet : il est prévu d’y construire une crèche et des logements « sociaux » (en fait des logements pas si bon marché, réservés à des revenus conséquents). »
Le maire de Paris, triste sire, s’était bien engagé - par exemple, le 5 novembre 2009 - à faire de « sérieuses » « propositions pour reloger la coordination, non seulement pour que [ses membres] puissent travailler, mais aussi pour qu’ils puissent accueillir du public ». Vague promesse, jamais respectée : pour tout « sérieux », les membres de la CIP-IDF n’ont eu droit qu’à de fumeuses suggestions de relogement, en des bâtiments adaptés ni à leurs besoins, ni à leurs activités. Ultime provocation, le vote en novembre dernier, par le Conseil de Paris, d’une proposition de déménagement cité Curial, dans le 19e arrondissement : les locaux,explique un communiqué de la Coordination, « ne seraient disponibles qu’après une phase de travaux et pour une période des plus brèves : la parcelle concernée doit être rapidement transformée en espace vert. Nous devrions l’évacuer au printemps ou à l’automne prochains ». Un « leurre » grossier, à l’exact mesure de la politique - toute en sournois mensonges et brutales expulsions - menée depuis quelques années à l’encontre des lieux de vie alternatifs et communautés dissidentes, à Paris et ailleurs. Les squats prennent cher, et les socialistes sont bien souvent à la manœuvre4. Même si tout n’est pas encore mort : « De nouveaux lieux sont occupés depuis peu à Paris, qui n’est pas encore une ville morte totalement dévolue au tourisme, au prestige et à l’entreprise, tempère Boris. Tout le monde l’oublie mais il y a dans cette ville 250 000 titulaires de la CMU, des dizaines de milliers de RSAstes, des sous-smicards et stagiaires, des précaires et des pauvres de toutes sortes. La ville est immensément riche, mais ce n’est pas encore une ville totalement réservée aux riches. »
Pour la CIP, la fin d’une belle histoire ? Pas sûr : ses membres n’ont pas dit leur dernier mot. Ils savent leur situation plus que compromise, mais sont bien décidés à ne rien lâcher : « Nous résistons déjà, nous continuerons à le faire et nous préparons des actions afin d’obtenir le relogement auquel la mairie s’est publiquement engagée. » Les membres de la Coordination, précise Boris, n’ont donc pas encore abandonné tout espoir. « Pour que la police intervienne, il faut d’abord que la Mairie requière l’intervention de la force publique. Il semblerait que cela ne soit pas encore le cas. Dans tous les cas et si possible avant cette intervention, nous comptons de nouveau prendre l’initiative : nous pensons que - pression et crainte du scandale aidant - la ville de Paris peut redevenir raisonnable et nous proposer un relogement acceptable et rapide. » Pour y parvenir, la CIP espère la mobilisation de tous et la solidarité de chacun. « Ce qu’il est possible de faire pour nous soutenir et préserver cet espace d’auto-organisation ? D’abord, signer en ligne la pétition "Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde« , et la faire connaître. Et ensuite, envoyer à l’adresse-mail »accueil@cip-idf.org" un numéro de téléphone, afin de recevoir un SMS en cas de besoin (expulsion ou action pour le relogement). » Voilà, tu sais ce qu’il te reste à faire.
1 À l’image du site internet de la CIP-IDF, à la fois portail d’informations militantes, webzine politique et mine d’infos pratiques pour les chômeurs et les intermittents.
2 Mais si tu n’as pas réussi : cela fait déjà 82 500 euros. « C’est une pénalité qui sert de moyen de pression pour que l’on parte de nous-mêmes », résume Boris, de la CIP.
3 Le prénom a été modifié.
4 Ce qui n’empêche pas les membres du PS de se la jouer défenseur des squats, en de médiatiques occasions. Lors de la récente expulsion du collectif Jeudi Noir d’un bâtiment occupé avenue Matignon, le Parti socialiste a ainsi regretté par communiqué « que les pouvoirs publics aient fait le choix de recourir à l’expulsion par la force de l’immeuble squatté dans le VIIIe arrondissement de Paris, plutôt que de trouver une solution durable de relogement », avant d’y lire « un très mauvais signal adressé aux plus de 3 millions de Français mal logés et plus particulièrement aux jeunes ». Faudrait savoir...