mercredi 1er juillet 2009
Le Charançon Libéré
posté à 07h45, par
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On s’émousse, on se lasse. A force de voir nos prétendus représentants se jouer des frontières de la décence et afficher leur mépris des règles éthiques, ce sont nos propres limites qui s’en trouvent repoussées. Et nous serons bientôt - si rien ne se passe - à l’image des Italiens, si habitués aux turpitudes de leur président qu’ils ne savent même plus ce que morale veut dire.
Il est un satrape - élu, puisque tout le sel de la démocratie est de permettre à ceux qu’on dit citoyen de choisir leurs despotes - qui a fait main basse sur une ville de la proche banlieue parisienne.
Et il prend ses aises en sa municipalité, tel un porcin en son auge.
Il en boulotte les meilleurs morceaux, fouillant du groin un peu partout pour ne rien rater - pas une miette ! - du festin de six ans que lui ont offert les électeurs.
Il use des moyens de sa commune comme des siens propres, méchante habitude prise dans les années 90, celle de considérer « sa » ville comme un royaume personnel, une féodalité qu’un vulgaire parvenu de son acabit peut régenter à sa guise.
Il foule aux pieds, avec une morgue indescriptible, les règles qui lui ont permis de se prétendre dépositaire d’intérêts collectifs, se moquant des us démocratiques et ne laissant pas parole à d’autres que ceux de son camp, manipulant les principes, violant les usages et se comportant, vis-à-vis du droit en général, comme un seigneur du Moyen-Âge face à une fille d’auberge, pauvre femme juste bonne à être renversée sur un table pour être prise sauvagement avant que d’être abandonnée exsangue.
Il reproduit, sans le moindre scrupule, les faits-mêmes qui lui ont valu d’être condamné, par le passé, à deux ans d’inéligibilité, quinze mois de prison avec sursis et 200 000 francs d’amende, sûr de pouvoir croquer et croquer encore dans ce plantureux gâteau chaque jour servi en son bureau, puisque son « meilleur ami » a mis le pays en coupe réglée, fait taire la justice et restauré le régime aristocratique.
Il fait tout cela en souriant, sûr de sa force, de sa puissance, de ses appuis et de la crétinerie aigüe de ceux qu’un vieil et imbécile usage nomme « concitoyens » afin de mieux dissimuler ce qu’ils ont de pathétiques soumis et d’imbéciles asservis.
Bref, il triomphe, littéralement.
Se goberge - même pas jusqu’à plus soif, tant son appétit sera aussi inextinguible que le peu d’empressement des autorités à mettre fin à ses vils agissements.
Et engloutit avidement chacun des morceaux de choix qu’il a arraché au peuple - ce n’en est que meilleur quand flotte sur chaque bouchée le parfum de l’imoralité.
Et ?
Rien.
Car voilà : ces choses là ont déjà été dites cent fois.
Redites mille fois.
Et tant et tant matraquées - à juste titre - qu’elles ne portent plus guère.
Comme si, à force, les accusations perdaient de leur puissance, l’indignation de sa hargne, le scandale de sa vigueur.
L’indécence devient la norme, comme rentrée dans les usages.
Et cet étonnant glissement - perte de sens, par la simple force de l’habitude, de l’éthique politique qu’est en droit d’exiger de ses dirigeants chacun des habitants de ce pays - n’est pas seulement fruit d’une quelconque impunité judiciaire, non plus que le seul fait de l’atmosphère de déliquescence morale instituée par les nouveaux gouvernants, ces affairistes sans scrupules, hommes de pouvoir dévoyés et autres opportunistes de bas-étage.
Non : juste, on s’y fait.
Et Balkany le sait.
Elle est peut-être là, notre défaite, celle qui est annoncée partout, presque déjà entérinée.
Ni dans un quelconque scrutin électoral - aux européennes il y a quelques semaines, à la présidentielle de 2012 ou quand il te plaira.
Ni dans une incapacité à imposer - par les manifs et par la rue - un autre rapport de force que celui fixé par les grands pontes du parti majoritaire, efficacement secondés par des syndicats conciliants et par une opposition sociale-démocrate lamentable.
Non, elle est dans cette trahison régulière, quotidienne et permanente des seules valeurs partagées des habitants de ce pays comme des seuls principes censés transcender les couleurs politiques.
Si régulière, quotidienne et permanente, depuis la commune de Levallois-Perret jusqu’aux plus hautes sphères de l’État, qu’elle efface l’indignation.
Gomme les frontières de ce qu’il te plaira de nommer - au choix - éthique, morale, honnêteté ou intégrité.
Et pousse la population à accepter ce qu’elle aurait rejeté, avec violence parfois, quelques mois ou années plus tôt.
Nous nous corrompons par la seule force de l’habitude.
Et nous suivons, en cet étrange domaine, l’incroyable exemple italien.
Transalpins dont on peut supposer qu’ils ne sont pas naturellement infâmes (pas plus que nous, je veux dire).
Et qui pourtant acceptent - avec une persévérance qui force l’admiration - de voir sans cesse repoussées les extensibles frontières de la décence.
Jusqu’à tolérer que leur président ne soit plus connu que pour ses borborygmes racistes, son malhonnête affairisme, ses tarifés rapports sexuels et les parties fines organisées régulièrement en ces palais financés en bonne part grâce à l’argent de ses électeurs.
Leur patience n’a pas de limite.
Et la nôtre commence seulement à déployer ses ailes.
Bientôt, nous serons - tout autant qu’eux - habitués, lessivés, usés et lassés.
Impuissants, donc.