mardi 21 décembre 2010
Textes et traductions
posté à 20h56, par
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C’est un témoignage qui circule sur le web italien (ici traduit et introduit par l’ami Quadruppani). Il décrit la journée d’action romaine du 14 décembre et moque les commentateurs affolés par les « violences ». Il souligne surtout que celles-ci ont été commises par toute une jeunesse, révoltée par l’incurie de ceux tenant le manche et décidée de passer à l’action. Saine résolution.
Ce texte a été publié à l’origine sur carmillaonline.com, site dédié à la contre-culture politique au sens large - en résumé : « littérature, imaginaire et culture d’opposition » - et animé par les auteurs du collectif Wu Ming, Giuseppe Genna, Girolamo de Michele et Valerio Evangelisti, son fondateur. Ce dernier présente le texte en ces termes : « Nous avons supprimé le nom de l’auteur, bien qu’il ne nous l’ait pas demandé, afin de lui éviter des conséquences judiciaires. La ratonnade (en français dans le texte – N.d.T.) a déjà commencé (…). »
En effet, aux voix de la droite appelant naturellement à la répression la plus sévère se sont jointes celles des degôche bêlants qui s’expriment dans les médias dominants (auxquels il faut, hélas, adjoindre Roberto Saviano1, particulièrement acharné contre les « casseurs imbéciles » qui ont dénaturé… gnagnagna) qui apportent leur paranoïa habituelle sur le mode : « Les casseurs étaient des black blocs infiltrés par la police ». Raison de plus pour écouter la voix d’un participant à ces troubles.
« Je suis rentré de Rome à trois heures du matin et maintenant, à tête froide (tiède, disons), devant les articles de la Repubblica, j’ai envie de dire : Y avait-il des infiltrés ? Des provocateurs ? Qu’étaient-ils censés faire ? Élever le niveau de tension ?
Si c’est le cas, je dis qu’ils ont travaillé pour rien : ils n’étaient pas utiles hier, parce que le niveau de tension et de colère était déjà élevé. Personnellement, j’ai d’abord fait partie du book bloc2. J’ai cherché Soyons tout, pour lequel j’avais même voté dans le sondage d’Uniriot3, mais je n’ai pas eu le plaisir de l’utiliser, je me suis contenté d’Alice au pays des merveilles. Dans l’après-midi, j’ai abandonné ce « livre », l’un de ceux avec lequel nous avions essayé de forcer le premier barrage de police (avec très peu de résultat, il faut le dire), parce que la tactique avait changé : il s’agissait désormais de courir, frapper et fuir.
L’interprétation selon laquelle il n’y avait le matin que de braves étudiants avec leurs jolis livres et l’après-midi des black blocs ne tient pas debout. Nous étions tous là, furieux et déterminés, parce qu’au-delà de la rhétorique, au-delà de toute espèce de vote de confiance au gouvernement, nous n’avons pas d’avenir, et cela nous rend le présent invivable. Nous étions là, et le vote de confiance à la Chambre nous a paru un énième foutage de gueule. Nous voulions agir avec détermination et nous l’avons fait.
Tout le monde n’a pas affronté la police pendant deux heures, en lançant tout ce qui tombait sous la main, mais beaucoup l’ont fait, et ceux qui ne se sentaient pas de le faire sont en tout cas restés sur place pour montrer à ceux qui affrontaient les forces de police que la manif était là, qu’elle n’abandonnait pas l’action. Personne n’est rentré à la maison avant la fin.
La clameur qui a envahi la Piazza del Popolo quand le blindé de la Finanza4 a pris feu et que la fumée noire a commencé à monter, je ne l’oublierai pas facilement. Toute la manif était là, et toute la manif a crié de joie chaque fois que la police reculait. Une telle radicalité, à ce point partagée, on n’en avait pas vu signe depuis longtemps.
Parler de black bloc revient, à mon sens, à séparer les bons des méchants - division qui, dans les faits, n’existait pas hier. Les étudiants à qui la Repubblica faisait la cour depuis plus d’un mois se sont transformés en violents insurrectionnalistes, et ceci est difficilement explicable pour les médias. Tout le monde cherche maintenant à comprendre qui était « l’homme avec une pelle à la main », celui avec le blouson beige, évitant ainsi le vrai problème. Et ils utilisent désormais les commentaires des étudiants qui rejettent la violence, dont l’UDU (syndicat étudiant – N.d.T.), qui n’a même pas participé à la manif d’hier, et les « jeunes démocrates », sur lesquels on ne s’étendra pas5.
Le fait est qu’il y a une génération qui n’a plus rien à perdre, et maintenant elle commence à faire peur... »
1 L’auteur de Gomorra s’est publiquement attaqué à ceux qui ont opté pour un mode de revendication violent, les accusant de faire le jeu du gouvernement.
2 Groupe de manifestants utilisant des boucliers en forme de livre avec un titre bien visible. Tout en symbolisant la culture menacée par le néo-libéralisme, ces « livres » sont bien utile pour pousser les flics et se protéger des coups.
Nos amis de Formes Vives en parlaient justement ICI.
3 Unriot est le « network des facultés rebelles » italiennes.
Soyons tout est le titre en français de Noi saremo tutti, magnifique roman de Valerio Evangelisti, traduit par bibi (Rivages).
4 Selon une charmante particularité italienne, les différentes forces de police spécialisées, dont la police financière (Finanza), peuvent être appelées à participer au maintien de l’ordre. C’était le cas ce jour-là.
5 N.d.T. : Jeunes du Parti démocratique, socio-libéral et encore plus à droite que le PS français.