dimanche 21 septembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 12h49, par
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Le suspense était à son comble, la tension insoutenable. A force de s’interroger sur l’identité des deux auteurs censés signer, selon la patronne de Flammarion, le grand succès de la rentrée littéraire, le landerneau finissait par imaginer les attelages les plus improbables et par échafauder les combinaisons les plus surprenantes. Et ? Ben… finalement, ce sera encore pire.
Je n’en dormais plus.
Littéralement.
Tant je ne cessais de m’interroger, de retourner avec angoisse la question dans ma tête, de me demander encore et encore qui - mais, qui ? - enfanterait cet immense succès annoncé.
Littérairement.
Il faut me comprendre : le 17 juin, quand Teresa Cremisi, PDG des éditions Flammarion, avait effectué son annonce aux libraires.
Et qu’elle avait promis à 300 d’entre eux la parution pour octobre d’un livre secret, écrit à quatre mains et modestement tiré à un minimum de 100 000 à 150 000 exemplaires.
Ma curiosité avait été titillée.
Comme tout le monde.
Et j’attendais depuis avec impatience le fin mot de la rumeur, la proclamation sensationnelle du patronyme des deux auteurs dont on nous rabattrait ensuite les oreilles pendant des semaines, ad nauseum.
Et bien… ça y est.
Le Journal du Dimanche a vendu aujourd’hui la mèche.
Enfin !
Proclamant en ses pages que le livre que toute la France attendait, pays entier sur des charbons ardents, serait signé de Michel Houellebecq et de Bernard Henri-Levy.
Soit la glorieuse réunion des Laurel et Hardy de la littérature.
« Ennemis publics, Correspondance de Michel Houellebecq et de Bernard-Henri Lévy, sera en librairie le 8 octobre », avance l’article.
Avant de faire monter la sauce avec gourmandise : « On possède déjà quelques éléments sur ce qui s’annonce comme un événement. Ils y parlent de la littérature, de l’intime, de l’humour, de leurs parents, de l’amour, de leur réputation. Michel Houellebecq y rend hommage à Blaise Pascal. Bernard-Henri Lévy s’y confronte à ses souvenirs. Ils évoquent aussi ceux qu’ils aiment et ceux qu’ils n’aiment pas. Grosses polémiques en vue. »
« Comme un événement. »
« Grosses polémiques en vue. »
Oui : ça s’annonce chaud et vibrant, on en tirera des articles et des contre-articles, des chroniques et des critiques enflammés, du papier et encore du papier jusqu’à ce que l’objet lui-même, ce livre, soit complètement enseveli sous le bruit médiatique qu’il aura soulevé.
Chouette…
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Alors.
Plutôt que de ne voir dans cet attelage marketing qu’un rapprochement des plus logiques, Houellebecq et BHL étant deux des plus gros vendeurs de livre français.
De n’y lire que la confirmation de ce que Pierre Jourde affirmait céant voilà quelques jours : « Gracq le disait déjà en 1950, le monde culturel fonctionne à la valeur acquise. Vous pouvez entasser les cochonneries, dès lors que vous êtes célèbre, ça n’a plus d’importance, on ne regardera pas à ça, il faut en parler. La lecture, quand il y a lecture, n’est pas faite en fonction du texte, mais de l’image qui le précède et vient s’interposer entre le regard et les mots. »
D’y déceler une énième confirmation de la justesse de la grille de lecture de Bourdieu, qui dénonçait la parodie de ces « intellectuels médiatiques » nous inondant sans cesse, dans tous les domaines, de leurs écrits sans envergure.
Et de faire le gros dos en attendant la pub, tant il est évident que BHL va truster tous les médias, habituelle rengaine de la rentrée, justement démontrée il y a un an par Acrimed : « C’est un classique. Bernard-Henri Lévy est en tournée… dans les médias. À chaque opus publié, la presse est unanime et les mêmes superlatifs reviennent en boucle : son essai est une réussite. Tant sur le fond que sur la forme. Point. Notre philosophe des médias est accueilli par une armée de micros serviles, de caméras complaisantes et de stylos attentionnés. Il est chez lui, comme dans son salon, à son aise. »
Plutôt que de céder à toutes ces vaines critiques, donc…
Je vais me féliciter.
Me réjouir.
Et m’enthousiasmer.
Tant je sais que l’ouvrage de BHL et Houellebecq ne fait qu’ouvrir la voie à de très prometteuses associations.
Enièmes avatars d’un même foutage de gueule et vivantes extensions du domaine de la connerie.
Qui devraient bientôt voir les tandems Angot-Finkielkraut, Delerm-Glucksmann ou Beigbeder-Minc prendre la plume de concert.
En clair : on n’a pas fini de se poiler.
C’est déjà ça.