jeudi 6 novembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 09h38, par
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Combien sont-ils encore à nous parler d’Europe avec de grands yeux énamourés ? A nous vanter son idéal de solidarité et de paix ? A nous chanter les vertus d’un grand marché promettant un futur meilleur pour tous ? Oui : ils sont beaucoup. Loin de ces grands mots et belles phrases, c’est pourtant d’abord en matière d’immigration que l’Europe se réalise. Et qu’elle se construit, sur la peur et l’égoïsme.
Ah, l’Europe.
Quelle belle idée…
Tenez : j’en ai des frissons rien qu’à l’écrire.
Europe.
E-U-R-O-P-E.
Rêve de fraternité, d’amitié entre les peuples.
« Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes », fredonnait Jean Monnet.
Promesse de paix éternelle au service d’une cause universelle.
« Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde ! », chantonnait De Gaulle.
Solidarité des peuples et fin des égoïsmes nationaux.
« La solidarité humaine est désormais parvenue au stade de l’union entre les États qui, comme une loi naturelle nouvellement découverte, s’impose à nos diplomates et hommes d’Etat, en particulier pour les États européens », chantait à tue-tête Robert Schuman.
Y a pas à chier : ça déchire.
Grave.
Alors, évidemment…
Il y a les grandes envolées et la petite musique.
Les phrases ronflantes et l’administration ras-de-terre.
Les beaux idéaux et la gestion quotidienne.
Normal : quand il s’agit de construire un si ambitieux projet, tout ne peut être rose, petits oiseaux entonnant l’Hymne à la Joie et jolies fleurs aux couleurs jaunes-bleues de l’Europe.
Et il arrive même que la belle idée de Schuman et Monnet pue salement de la gueule, exhalant une haleine fétide faite de crainte et d’égoïsme.
Souvent.
Ce devrait pourtant être évident.
Le rêve européen n’en est plus un, dès lors qu’il traite mal les hommes et femmes qui rêvent d’y prendre part, fussent-ils originaires de l’autre côté de la planète.
Une aberration pointée dans un rapport récent d’Amnesty Internationale, La Loi des Jungles2.
Minutieux travail de fond qui a vu l’association se pencher sur le destin de ces migrants, partis d’Afghanistan, de Somalie, d’Irak ou du Soudan en quête du rêve européen.
Pauvres hères ayant tout abandonné.
Et qui viennent buter sur la législation européenne en matière d’asile.
Se cassant les dents sur le règlement de Dublin, dont le « principe est de lier (…) la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile au premier pays qui a permis ou signalé sa présence sur son territoire ».
Un texte qui a pour objectif réel d’empêcher toute demande d’asile.
Et pour basse ambition de transformer les migrants en exilés de toujours, renvoyés de pays en pays sans jamais être autorisés à poser leurs maigres balluchons.
« L’efficacité de Schengen et Dublin a été considérablement renforcée par la mise en place du fichier Eurodac, permettant d’enregistrer les empreintes digitales et de repérer les passages ou les demandes d’asile déjà introduites dans un autre Etat », constate le rapport d’Amnesty Internationale. « Il a permis la multiplication des renvois vers ces pays3 où, pour toutes sortes de raisons (xénophobie, accès aléatoire à l’asile, difficultés d’insertion), la plupart des exilés ne veulent pas demeurer. C’est ainsi que l’élargissement de l’Europe multiplie le nombre d’exilés et de réfugiés errants, dont une large proportion atteint le littoral nord-ouest de la France où ils n’ont le droit de solliciter ni autorisation de séjour, ni quelque titre que ce soit sans risquer un renvoi à la case départ. »
Un périple éternel.
Sans même plus l’espoir au bout de la route.
L’Europe s’est constituée en forteresse, donc.
Club très privé de riches pays qui ont décidé de fermer leurs portes à la misère et à la différence.
Et qui ne cessent de prendre des mesures pour en cadenasser davantage les verrous.
Ainsi du Pacte européen pour l’Immigration et l’asile, adopté à la mi-octobre et prônant l’immigration choisie.
En même temps qu’il interdit aux 27 Etats membres toute régularisation globale et qu’il prône un nombre d’expulsions accrues à l’encontre des clandestins.
Une vision de l’immigration que Catherine Wihtol De Wenden, directrice de recherche au Centre d’études et de recherches internationales, résumait ainsi dans une interview au Monde : « Ce pacte, de forte inspiration sécuritaire, s’inscrit dans la continuité des politiques actuelles, renforçant avant tout la solidarité dans le contrôle des frontières. »
« La solidarité dans le contrôle des frontières » : pas sûr que ce soit à ça que pensaient Schuman et Monet quand ils rêvaient d’Europe, des étoiles plein les yeux.
Hein…
Ces avancées européennes sur le front de l’égoïsme, avec pour dernier acte une Conférence sur l’intégration joliment tenue à Vichy, ne se jouent pas seulement dans les textes.
Sur le terrain aussi.
Ainsi de ce charter franco-britannique qui indigne la Cimade.
Jolie illustration de coopération transfrontalière, Français et Anglais main dans la main pour bouter ensemble les clandestins hors d’Europe.
Et nouvelle preuve d’inhumanité, ce projet d’expulsion commune concernant 57 Afghans à renvoyer dans leur pays d’origine.
Demandeurs d’asile qu’on expulse vers la peur, la mort et la misère.
C’est ainsi que l’Europe est grande ?
Mon cul…