samedi 13 septembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 11h27, par
19 commentaires
On connaissait déjà le cas des députés absentéistes, plus soucieux de faire les beaux dans leur circonscription que de pointer à l’Assemblée nationale. Il faudra désormais aussi compter avec le député putatif, absent à l’assemblée comme sur sa terre d’élection. Renaud Dutreil, toujours élu de la Marne malgré son départ pour New-York, n’est en effet pas décidé à laisser sa place. Pourquoi se gêner ?
Dites…
Je me suis dit qu’après vous avoir parlé de la théorie de la vitre brisée hier, je pouvais tout aussi bien continuer dans la tarte à la crème doctrinaire.
Et vous entretenir d’autres vieux chevaux de retour continuant à nous braire indirectement dans les oreilles.
Bref, j’ai pensé à Marshall MacLuhan.
Communicant du futur qui, en 1962, énonça une théorie du « village global » promise à un brillant avenir.
Avec cette idée, posée dans l’ouvrage La Galaxie Gutemberg, que les nouveaux instruments médiatiques induits par les progrès de l’électronique allaient provoquer l’émergence d’une « tribu mondiale ».
Laquelle, passée à l’ère de « la galaxie Marconi », rendrait insignifiante tout notion de distance et d’éloignement, seul important le raccordement au réseau et aux flux de communication.
En un mot : le monde ne serait plus qu’un village, ses rues se nommant Paris, Madrid, Bonn, Moscou ou… New York.
New York ?
Justement : ça tombe bien.
Puisqu’il est un (nouvel) habitant de cette ville pour confirmer, plus de quarante ans après la publication de Marshall MacLuhan, toute sa justesse prophétique.
Ancien ministre français qui avait pourtant annoncé à grands frais, par le biais d’une tribune publiée dans Le Monde sous le titre « Pourquoi je quitte la vie politique », qu’il tirait un trait sur sa vie passée.
Abandonnait ses responsabilités politiques.
Et partait tenter humblement sa chance en Amérique : « Si aujourd’hui je pars à New York, pour présider la filiale américaine de LVMH, c’est, malgré les apparences, dans le prolongement de cette vie intense où le réel m’a donné l’impression de pouvoir s’améliorer et se transformer sous l’effet des volontés collectives et d’un dessein clair », sanglotait notamment Renaud Dutreil, député de la première circonscription de la Marne.
Ajoutant : « Je laisse mes compagnons d’engagement avec tristesse, dans l’Aisne, la Marne, partout en France : ils ont partagé ma vie. Mais je suis convaincu que la classe politique française a besoin d’aller voir ailleurs, dans d’autres pays, dans d’autres milieux professionnels. »
Ça semblait clair, non ?
Sauf que…
Pas du tout.
En fait : Renaud Dutreil ne quitte pas la vie politique.
En fait : il n’abandonne pas du tout l’ensemble de ses mandats.
En fait : il compte bien rester député de la première circonscription de Reims-Tinqueux.
Oui : depuis New-York…
« Il n’abandonne pas son mandat public malgré l’éloignement géographique. D’ailleurs il reviendra en France deux à trois jours tous les quinze jours », explique, en date du 29 août, le journalL’Union.
« Aujourd’hui avec les courriels et le téléphone, on peut faire avancer beaucoup de choses avec Salim Saoud qui assure toujours la représentation du député de la première circonscription », précise encore L’Union.
Ce qui change tout.
Tant quelques mails, deux-trois coups de téléphone et un visite aérienne occasionnelle constituent tout l’ordinaire du travail d’un député.
C’est MacLuhan qui doit être content…
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Heureusement, il s’est trouvé une voix pour dénoncer ce scandaleux arrangement avec l’éthique politique.
En la personne de Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale qui vient de faire connaître publiquement toute la gêne que pouvait lui inspirer le comportement de Renaud Dutreil.
Remarquant notamment qu’éloigné « de sa circonscription et du Palais Bourbon, Renaud Dutreil ne semble plus à même de remplir de façon acceptable les obligations d’un parlementaire ».
Avant d’annoncer que « dès sa prochaine réunion, le Bureau de l’Assemblée nationale devra se prononcer sur cette situation qui ne saurait durer ».
Renaud doit trembler…
En attendant cette réunion, on peut toujours s’esbaudir de cette phrase, toujours dans l’Union : entre deux visites de l’exilé new-yorkais, « c’est donc son suppléant le Rémois Salim Saoud, qui comme le permet la loi va le suppléer. »
Une affirmation reprise telle quelle dans un article d’Arrêt Sur Image.1
Et qui prouve combien le suppléant est un fantôche absolu.
Si inconnu au bataillon politique que les médias ne sont même pas capables d’écrire correctement son nom : le bougre se nomme en réalité Salim Daoud.
Une erreur anecdotique.
Mais révélatrice de la mascarade que constitue le comportement de Renaud Dutreil.
Député aux abonnés absents et businessman sans conscience qui contribue à décrédibiliser la politique.
Encore un peu plus.
1 Un article par ailleurs excellent et dans lequel je n’ai pas hésité à piocher pour produire ce modeste billet. Sa consultation est malheureusement réservée aux abonnés.