lundi 22 décembre 2008
Entretiens
posté à 12h46, par
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Ils sont le cauchemar de l’administration pénitentiaire qui, avec une sombre régularité, interdit aux prisonniers de lire le journal qu’ils rédigent. Pas grave (enfin… pas trop) : les membres de « L’Envolée » animent aussi une émission de radio sur FPP et personne ne peut censurer la bande FM… Au micro, ceux qui militent sans relâche contre tous les enfermements s’adressent aux taulards et leur donnent la parole. Présentation.
Michel Foucault, dans Surveiller et punir.
Autour de la table, il y a Nadia, Jean-Luc, Hugo, Abdel-Hafed, Pierre, Sophie, d’autres encore. L’un a passé 29 ans en prison, une autre milite depuis presque aussi longtemps contre toutes les prisons, un troisième s’était fait une spécialité des braquages conduits sans armes et l’a payé de 14 ans d’emprisonnement… S’ils ont des itinéraires différents, tous partagent un même combat contre l’enfermement. Contre la société, aussi, puisqu’ils sont bien décidés à changer le monde pour en voir un nouveau se lever, qui ne mettrait personne derrière les barreaux. Ils le disent chaque vendredi, au micro de L’Envolée, émission destinée aux taulards de la région parisienne et à ceux qui les soutiennent. Et ils l’écrivent aussi dans le journal trimestriel du même nom1, sans doute l’une des publications les plus censurées de France.2
Des extrémistes ? Que nenni. Des jusqu’aux boutistes ? Même pas. Juste des hommes et des femmes qui ont compris - certains pour l’avoir vécu - combien la société faisait fausse route en enfermant, emprisonnant et embastillant, pis-aller répressif qui n’a d’autre effet que d’aggraver la souffrance et d’accroître les haines. Qui ont saisi, aussi, l’urgence d’une prise de conscience, celle que tout mouvement ou idéologie prétendant remettre en cause le monde tel qu’il va ne peut faire l’impasse d’une profonde réflexion sur la question des prisons.
« S’attaquer à l’enfermement, c’est forcément s’en prendre aussi à tout ce qui fabrique, réforme, perfectionne le contrôle social hors des murs des prisons : le formatage des ’citoyens’ dès le plus jeune âge, le salariat précarisé ou à perpète, l’urbanisme qui flique les villes et quadrille les espaces sont bien le pendant de la construction des prisons », peut-on lire sur sur Combat en Ligne, site de Jean-Luc, membre de l’équipe de L’Envolée qui reprend ici la présentation du journal.
« L’enfermement carcéral joue un rôle social de repoussoir, il produit une peur nécessaire au maintien de cette société. En ce sens, c’est bien plus qu’une simple répression, qu’un moment de contrôle, de sanction des actes ’délictueux’ : c’est un ciment nécessaire à l’État pour permettre au capitalisme de continuer à se développer dans ses nouvelles formes. »
Depuis plus de sept ans, donc, les membres de L’Envolée prennent chaque semaine la parole sur les ondes de la radio libre Fréquence paris Plurielle3, s’adressant d’abord aux prisonniers de la région parisienne - la radio n’est pas captée au-delà -, incarcérés dans les maisons d’arrêt du Bois d’Arcy, de Nanterre, de Fresnes, de Fleury-Mérogis, de la Santé, de Villepinte, de Versailles et d’Osny, ainsi qu’à la centrale de Poissy. En une heure trente, ils passent en revue l’actualité pénitentiaire, transmettent des messages aux prisonniers et reviennent utilement sur des points de droit. Avec en tête, cette double ambition de créer du lien social et d’informer réellement leurs auditeurs.
Ce vendredi 19 décembre, l’actualité pénitentiaire est riche. Au micro, les militants évoquent ce film réalisé en cachette par des prisonniers de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, lequel met en images les conditions de détention :
Nadia : « Ce qui est intéressant, c’est le courage de ces mecs qui ont réussi à faire entrer une caméra, à filmer puis à faire sortir les bandes. (…) Je voudrais juste dire chapeau à ces mecs-là : je ne sais pas si vous nous entendez, mais c’est vraiment du super boulot ! »
Hugo : « Je me souviens : quand je suis arrivé à Fleury-Mérogis, un gendarme m’a dit : ’bienvenue dans la plus grande poubelle d’Europe’. Ça n’a pas changé… »
Jean-Claude : « On le sait pourtant : un lieu d’enfermement est toujours dégueulasse. Ce n’est pas tant qu’une prison soit sale, mais qu’il s’agit toujours d’un sale endroit. De bonnes conditions de vie ne peuvent pas exister en un lieu d’enfermement. »
Abdel-Hafed : « A ceux qui ont fait sortir ce film : protégez-vous, la chasse va commencer ! »
Au micro, les membres de L’Envolée reviennent aussi sur les peines planchers, résumant un récent rapport parlementaire qui confirme ce qu’ils savaient déjà : « Moins le délit est grave, plus les peines-planchers sont prononcés : elles le sont surtout pour les vols ou les atteintes aux biens quand le dispositif était censé empêcher la récidive des actes les plus graves ». Font état de ce supposé suicide d’un détenu de Clairveaux, décès sur lequel les médias n’ont pas dit grand chose quand - selon le témoignage d’autres prisonniers - l’homme aurait été tabassé à mort par des matons. Commentent cette lettre ouverte d’un psychiatre s’insurgeant de la volonté de Nicolas Sarkozy de réformer l’hospitalisation en psychiatrie. Evoquent rapidement le deuxième opus que le cinéma consacre à Mesrine - « C’est de la merde ! » - avant que de regretterle déroulement et l’issue du procès Ferrara : « Le verdict est à l’image du procès. Ce sont des ânes bâtés qui ont prononcé un tel jugement à partir d’un dossier complètement vide ! » Enfin, ils abordent longuement la question des fichiers génétiques, dossier enrichi d’interventions pointues et précises.
Bref : ils parlent aux prisonniers et ils parlent des prisonniers. Ils le font avec autant de tendresse que de rage, soucieux de faire passer de la chaleur humaine comme de dire leur révolte. Et ils apportent aux embastillés un joli parfum de liberté, ouverture sur l’extérieur autant que solidarité à l’intérieur. Une belle Envolée, celle d’un journal que vous devriez lire4 et d’une émission que vous devriez écouter5.
Militante acharnée de la question pénitentiaire et membre de L’Envolée, Nadia a accepté de répondre à quelques questions :
Qui écoute L’Envolée ?
L’émission de radio est très écoutée par les prisonniers. Notamment parce que la radio est un espace d’expression non censuré en prison, ce qui n’est pas le cas de la presse - le journal L’Envolée est souvent interdit - ou des lettres écrites par les détenus, où ils n’ont pas le droit d’évoquer leurs conditions de détention. L’émission leur permet de s’informer, de se détendre - puisqu’il s’agit avant tout d’un moment chaleureux, on n’est pas là pour pleurer ni pour les juger - et de passer des messages. Pour nous, c’est un outil incontournable. C’est pour cela que nous redoutons énormément la réforme de la radio numérique : si la radio analogique disparaît, notre lien avec les prisons aussi.
Comment s’est composée l’équipe ?
A la base, il s’agissait de gens sortant de prison ou de proches de prisonniers. Ensuite s’y sont greffés des personnes sensibles à la question de l’emprisonnement et engagées politiquement. L’équipe de L’Envolée n’est pas constituée que de gens ayant connu la prison. Par contre, nous partageons tous cette idée que la prison ne doit pas être coupée du monde et que la lutte contre l’emprisonnement est un combat contre la société capitaliste. Et tous ceux qui veulent changer le monde devraient s’approprier cette question.
Ce n’est pas le cas ?
Pas du tout : le sujet n’est quasiment jamais abordé, comme si la loi, la justice et le droit étaient des institutions immuables. C’était déjà le cas lors des pourtant très actives années 1970, avec des intellectuels ou militants minoritaires à réfléchir à la question de l’emprisonnement. Aujourd’hui, c’est encore pire…
Pourtant, il y a périodiquement des gens qui entretiennent le débat. Cette lettre de psychiatre, par exemple…
Je suis toujours un peu sceptique vis-à-vis de ceux qui ont fermé leur gueule pendant 20 ans et qui commencent à l’ouvrir parce que Sarkozy a poussé l’ignominie un peu plus loin. C’est avant qu’il fallait s’insurger… Le vrai problème, c’est que les questions sociales et politiques sont prises en charge par des membres de la classe moyenne, par des gens intégrés, qui laissent complètement de côté les rejetés, les étrangers ou les précaires et qui n’ont pas compris combien la question de la prison fait partie de la vie. Pour reprendre l’exemple de cette lettre, elle émane de quelqu’un qui a cautionné par son silence le démantèlement du secteur psychiatrique depuis quinze ans : pourquoi se manifester seulement maintenant ?
Ça fait 20 ans que tu milites contre l’emprisonnement : la situation n’a fait qu’empirer ?
Malheureusement. Aujourd’hui, les mecs se retrouvent avec des peines infaisables, incroyablement longues. Dans les années 1970, quinze ans était déjà une peine très dure. Aujourd’hui, on va beaucoup plus loin…
Mais il n’y a pas que la longueur des peines : les autorités ont réussi à isoler les prisonniers, à casser une certaine solidarité qui régnait en prison. Il y a une dynamique qui est morte. C’est la même chose à l’extérieur d’ailleurs : les communautés d’intérêt disparaissent et les gens ont de plus en plus de mal à agir ensemble.
Et le regard de la société sur les prisonniers ?
C’est simple : le prisonnier a toujours suscité le rejet. Il y a un espèce de délire construit par la propagande d’état pour en faire des monstres, incarné un temps par le violeur, un autre par le jeune de banlieue, un autre encore par le toxicomane. Les gens ont l’impression que la prison ne compte que des monstres, que c’est un monde étranger où il ne faut surtout pas mettre le nez.
Tu ne sens pas venir d’amélioration ?
Je ne vois pas trop comment… Si tu prends l’exemple de ces dernières années, de toutes les lois liberticides qui ont été adoptées, tu te rends compte qu’il n’y a pas eu de vraie résistance, de mots à la hauteur de ce qui s’est passé. Et puis, tout va extrêmement vite, comme si les lois essayaient de suivre le rythme effréné de l’économie : un produit est obsolète en quelques années, une loi aussi désormais…
Tu sais, la prison n’est que l’aboutissement de la la logique de fichage et de contrôle qui est à l’œuvre dans la société. Elle vient en bout de course, réservée à ceux qui n’ont pas compris comment fonctionne l’ordre social, mais elle est à l’image de la vie elle-même. Au fond, notre monde ressemble de plus en plus à la prison.
2 Le journal L’Envolée ne passe que rarement la censure des autorités pénitentiaires, qui la plupart du temps en interdisent la lecture aux prisonniers.
3 Radio libre toujours en lutte contre la réforme de la radio numérique : voir cet article.
4 Le journal L’Envolée est en vente, au prix de 2 €, dans un certain nombre de librairies : en voir la liste ICI. Pour s’abonner, écrire au 43, rue de Stalingrad, 93100 Montreuil, en joignant un chèque de 15 euros annuels. Le journal est gratuit pour les prisonniers et les plus démunis.
5 Chaque vendredi, de 19 h à 20 h 30 sur Fréquence Paris Plurielle, 106.3.