mercredi 1er avril 2009
Le Charançon Libéré
posté à 19h48, par
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L’épisode seul suffit à prouver combien notre démocratie n’en est plus une. Non content de décider que nous serions désormais vassaux des intérêts américains, Nicolas Sarkozy s’est aussi débrouillé pour enterrer tout débat sur la question. Une forfaiture démocratique que le président a tenté de justifier par des mensonges patents et d’évidentes injures à la réalité. La routine, en pire.
Il a beau dire. Expliquer, comme lors de ce discours donné lors du Colloque de la Fondation pour la recherche stratégique, le 11 mars dernier, qu’il n’a que « le souci d’éclairer l’opinion et d’en débattre ». Marteler que sa seule « rupture » est « celle de ce Gouvernement, dans la transparence des décisions qu’il assume ». Baratiner à grands renforts de mots ronflants : « La démocratie a son exigence et cette exigence c’est la vérité. »
C’est beau comme l’antique. Mais ça ne trompe personne.
Qu’il pare sa décision des vertus de la démocratie, de la « transparence » et de « l’information » ne change pas grand chose au schmilblick : le président de la République a coupé court au débat, l’a étouffé dans l’œuf, opérant en catimini et contournant l’obstacle d’une opinion qui ne lui était pas favorable. Qu’il se refuse à organiser un référendum sur ce retour de la France dans le commandement milliaire intégré de l’OTAN, passe encore. Qu’il use d’un subterfuge politicien, engageant la responsabilité de son gouvernement sur la question pour mieux garantir l’absence de contradiction, c’est beaucoup moins défendable. Et qu’il donne ce retour pour acquis dix jours avant le vote des députés relève - pour le coup - d’une réelle forfaiture1.
Que ce coup de force - décision d’un seul engageant la nation - se soit opéré en douceur, avec beaucoup de vaseline, n’est que détail. Seule importe cette volonté avouée de se passer de l’avis du peuple. Et aussi cette prétention à le faire au nom de la démocratie, in référendum de 2005 memoriam. En clair : un joli foutage de gueule.
Il serait pourtant injuste de n’avoir que reproches pour Nicolas Sarkozy. Comme pour le reste de sa politique, la décision du président de rejoindre le commandement militaire intégré de l’OTAN était clairement lisible dans les prises de position du candidat, avant l’élection de 2007. Il dit vrai : il « ne prend personne en traître ». Il ment, par contre, quand il prétend que ce retour ne va rien changer, que c’est pure formalité sans réelle conséquence. Et c’est une injure à l’histoire autant qu’une négation de la réalité.
Indépendance de la France, les racines historiques
La chose est connue. Mais il convient quand même de revenir rapidement sur les motivations de De Gaulle quand il décide du retrait de la France du commandement militaire intégré de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Ce 7 mars 1966, De Gaulle balance une bafouille au président américain Johnson. Il y explique que « la France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949, en Europe, en Asie et ailleurs, ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces ne justifient plus, pour ce qui la concerne, les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’Alliance ». Et claque joliment la porte du commandement militaire intégré. Une décision qui était dans l’air depuis que le président français avait exigé en 1958 - en vain - une « direction tripartite de l’Alliance » auprès des camarades américains et britanniques.
Dans le monde de la Guerre froide, alors que Soviétiques et Américains passent leur temps à se tirer la barbichette, la décision de De Gaulle est loin d’être anodine. La guerre fait rage au Vietnam, les non-alignés revendiquent à qui mieux-mieux leur droit à une troisième voix, les blocs se tirent la bourre… bref, c’est une véritable déclaration d’indépendance que de se dégager - même d’un chouïa - du camp atlantiste. Surtout si, comme le fait De Gaulle à la même époque, on célèbre « le Québec Libre », on invite Soviétiques et français à « se donner la main » ou on condamne la politique belliciste d’Israël.
Cela ne signifie pourtant pas que la France manque à la solidarité américaine. A preuve, elle ne sort pas de l’Alliance.
Les choses se délitent ensuite. Et peu à peu, progressivement, la France renoue avec l’OTAN, rapprochement qui se fait vraiment jour dans les années 1990. C’est ainsi que Chirac annonce en décembre 1995 son retour au conseil des ministres et au comité militaire de l’OTAN - la plus haute autorité militaire de l’Alliance, qui réunit les chefs d’état-major des pays membres -, s’abstenant néanmoins de revenir au sein du système militaire intégré2.
A l’époque déjà, le gouvernement tente de désamorcer les critiques en arguant de sa volonté de peser sur l’OTAN, de l’amener à évoluer. « Cette participation aux instances dirigeantes de l’organisation militaire atlantique a-t-elle, cependant, pour but et aura-t-elle pour effet de la réformer ? On le suggère officieusement : il serait plus facile de s’y faire entendre et la réflexion sur l’avenir de l’alliance dans l’après-guerre froide pourrait ainsi progresser », rapporte ainsi Paul-Marie de La Gorce en 1996 dans Le Monde Diplomatique.
Un argument de « la réforme de l’intérieur » qui a fait long feu, contredit par la réalité. Mais qu’on retrouve aujourd’hui dans la bouche de Nicolas Sarkozy : « la France doit codiriger plutôt que subir » et « ne pas attendre les notifications à l’extérieur. Il faut en finir avec l’illusion qu’en se mettant la tête dans le sable, nous nous protégerons de quoi que ce soit », affirme celui qui claironne que « les absents ont toujours tort ».
Il n’est pourtant guère de chances qu’il en aille différemment aujourd’hui que par le passé. Ce que rappelle l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine : « On ne peut pas citer de cas au cours des dernières décennies où un pays autre que les États-Unis ait eu une influence importante dans l’Alliance parce qu’il était intégré. » L’exemple britannique, allié de toujours et caniche parfaitement intégré au sein de l’OTAN, en est l’illustration parfaite.
Une réintégration de pure forme ?
Selon Nicolas Sarkozy, la retour de la France au sein du commandement militaire de l’Alliance ne serait que de pure forme, façon de tirer les conséquences d’un rapprochement initié dans les années 1990. Nous n’aurions rien à y perdre, puisque déjà investis de fait dans les opérations de l’OTAN, et tout à y gagner, puisque l’influence de la France s’en trouverait valorisée. Un double mensonge.
Rien à perdre ? Bien au contraire. Il faut se souvenir du discours de Dominique de Villepin, le 14 février 2003 au Conseil de sécurité de l’ONU. L’orateur chante la paix et le désarmement, s’oppose à l’intervention américaine en Irak. Sincère ou pas, son discours porte, autant parmi la population française - ravie de croire encore un peu au fantôme de cette indépendance que le Premier ministre a fait renaître d’un passé lointain - que dans tous les pays qui ne voient pas la politique de l’oncle Sam d’un bon œil. Un standing-ovation salue la fin de l’intervention, tandis que la France se reconstitue à bon compte une réputation enviable dans les pays arabes.
C’est d’abord cela que le pays perd avec son retour dans le commandement militaire intégré. L’illusion de son indépendance, un mirage exhumé du passé, à usage intérieur et extérieur.
Mais bien davantage : Sarkozy peut toujours prétendre que nous « conserverons notre liberté d’appréciation » et que notre retour « conforte notre indépendance nationale », ceux qui ont déjà été confrontés à la machinerie de l’Alliance n’y croient pas une seconde. C’est le cas d’Hubert Védrine, cité plus haut. De Paul Quiles aussi, ancien ministre de la Défense qui rappelle que « l’appartenance au commandement intégré introduit une présomption de disponibilité des forces françaises ’assignées’ à l’OTAN. Pour une mission militaire donnée, la participation française sera supposée. » De Dominique de Villepin, à nouveau : « Je sais que les décisions au sein de l’Otan se prennent à l’unanimité. Mais j’ai vécu la crise irakienne. Et je sais qu’il est extrêmement difficile de résister à la pression exercée par les Américains quand ils considèrent qu’il y va de leur propre sécurité. »
« Extrêmement difficile de résister à la pression » ? Autant dire impossible pour un Nicolas Sarkozy qui, sitôt élu, s’était empressé d’aller clamer son amour pour les Etats-Unis. C’était en novembre 2007, devant le Congrès américain. Le président français, des trémolos dans la voix, avait chanté ce « rêve américain » qui « dès le départ va mettre en pratique ce que le Vieux monde avait rêvé ». Avait rappelé « la gratitude définitive » et la « dette éternelle de la France » envers les soldats du Débarquement. Avait garanti que dans « la guerre contre le terrorisme (...) l’échec n’est pas une option [et] l’Amérique peut compter sur la France ». Avait promis qu’en Afghanistan, « la France restera engagé aussi longtemps qu’il le faudra ». Et s’était définitivement ridiculisé en assurant : « Jamais l’Amérique n’est apparu si forte, si grande » que depuis le 11 septembre 2001.
Lui aussi avait eu droit à sa standing-ovation, alors. Des applaudissements frénétiques en réponse à son serment d’allégeance et pour le remercier de n’avoir pas évoqué le désastreux échec américain en Irak. Le cadeau était de taille : en butte aux critiques du monde entier, l’Amérique s’était trouvé un nouveau caniche servile. Le retour dans l’OTAN n’était plus qu’une formalité.
Ps : ce billet se prolongera demain. Au menu : atlantisme sarkozyen et choc des civilisations. Hop !
Pps : Article11 entame une fin de semaine strasbourgeoise. Présents au contre-sommet, nous essayerons de vous proposer quelques billets sur l’OTAN et des compte-rendus des manifestations. Ou pas…
1 Au final, un seul député UMP, Franck Marlin, a voté contre la confiance ; neuf autres se sont abstenus.
2 Même si cela s’est joué à peu : en 1995, Chirac était disposé à revenir au sein du système militaire intégré. Mais sa bonne volonté achoppera sur le refus américain de céder le commandement sud de l’Otan à Naples, un poste jugé trop stratégique pour être confié à des Français.