vendredi 16 juillet 2010
Vers le papier ?
posté à 20h48, par
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Finis les grands mots et les déclarations d’intention : aujourd’hui, on parle gros sous. C’est que, derrière un vernis alternatif et une apparence d’intégrité, on ne compte pas stagner en terre désargentée. Objectif ? Cac 40… Même si, en attendant, nous allons devoir faire face à quelques banales questions de trésorerie. Le point sur nos finances, en toute transparence.
Notre toute dernière étude de marché est formelle : il y aurait encore des naïfs pour croire qu’on lance une version papier sans arrière-pensées financières. Pour s’imaginer qu’on est guidés par autre chose que par la soif de l’or et du pouvoir. Des petits saints dévoués à la cause, des besogneux déphasés, voilà ce qu’on serait. C’te blague…
En un sens, c’est presque injurieux : ça nous bécassinise. Comme si on n’était pas capables de se mouler dans l’époque. D’adopter les mœurs néolibérales en vigueur pour grignoter notre part de paillettes et de Fauchon spirit. Erreur. L’avenir ne tardera pas à vous détromper et à montrer largement de quel diamant on se chauffe. Horizon 2013, nous aurons nous aussi notre île d’Arros et fréquenterons les salons Bettencourt/Woerth en suçotant des sorbets au champagne. C’est écrit. Notre plan ? Simple : la jouer désintéressés, profiter de la naïveté des lecteurs1. Et puis, quand on sera au top, bankable, vendre. À Lagardère, si possible. Destin doré. Ceci dit, en attendant l’opulence comme d’autres attendent Godot, il faut bien avouer que nous sommes un tantinet tributaires de quelques considérations financières. Revue de détails, entre off-shore systématique et caisses noires en goguette.
Comptes secrets et délits d’initiés : le Système A.11
On en rêvait, fantasmes sauce Picsou, c’est désormais chose faite : l’association Article112 possède son propre compte bancaire depuis une semaine. Bon, c’est vrai que nos coffres au Crédit Coopératif sont pour l’instant plus vides qu’un édito de Joffrin. Pas un kopeck. Mais quand même, ça en jette et ça nous booste, cette incursion bancaire. L’odeur du grisbi humectant l’air estival, quoi de plus motivant ?
Au moment de lancer le premier numéro, ce compte devrait renfermer peu ou prou 10 000 euros. La somme correspond à ce qu’on aura réussi à accumuler chacun de notre côté, avec des boulots d’été, des restes de chômage, des traductions, ainsi que quelques contributions familiales3 ou amicales. Rien de fou (surtout au regard de notre immense Fortune à venir). Voire : plutôt le minimum pour tout inconscient ayant l’idiote prétention de se lancer dans le grand bain de la distribution en kiosques. En fait, juste de quoi voir venir le temps de quelques numéros, trois au moins, à raison de 3 000 euros de dépense pour chaque nouvelle banderille A.11.
Trois numéros assurés, dans l’optique d’un mensuel, c’est vraiment le minimum syndical. Pas parce qu’on serait prévoyant - c’est plutôt tout le contraire… Mais parce que le distributeur (Prestalis ou les Nouvelles messageries lyonnaises, le choix n’a pas encore été fait) ne reverse les éventuelles recettes que selon la formule « M+2 » - M étant le mois de sortie du numéro et des ventes afférentes, et +2 le nombre de mois à attendre avant de toucher les hypothétiques pépètes. En clair, si on sort le premier numéro début octobre, il faudra patienter jusqu’aux environs de la mi-décembre pour récupérer le montant des ventes de ce numéro (montant bien évidemment amputé des 35 % de commission du distributeur, pourcentage auquel s’ajoute un fixe plus ou moins important). Et il faudra attendre le même laps de temps pour pouvoir réinvestir ces éventuelles recettes dans l’impression des numéros suivants. Oui : pas de pitié.
Ce système se double en sus d’une très perfide disposition : si les ventes se révèlent vraiment réduites, le distributeur garde la cagnotte d’icelles et… exige davantage. Pour prendre un exemple pratique : si le premier numéro d’A.11 ne se vend (à 2 €) qu’à 1 200 exemplaires sur 12 000 qui seraient placés en kiosque4, le distributeur garderait l’ensemble des recettes (soit 2 400 €) et nous devrions encore lui faire un chèque supplémentaire de 1 700 €. Autant dire : la mort du petit journal…
Cette valse de chiffres (importants dans l’absolu, faut pas croire qu’on a l’habitude de jongler avec les milliers d’euros…) pourrait laisser croire qu’on a choppé la fièvre des grandeurs. Que nenni, nos dépenses se ramènent quasiment intégralement à un seul poste : l’impression et le papier. Pour tout le reste, on fonctionnera à l’arrache. Les rédacteurs et illustrateurs peuvent toujours se brosser pour toucher une rémunération autre qu’éthylique, la force des choses. Quand aux graphistes, ceusses de l’atelier Formes Vives (dont on te reparlera) savent que, sauf miracle - ventes pas trop minables, auquel cas ils seraient les premiers concernés par une (petite) redistribution - , ils travailleront pour la gloire et l’amour de l’art(icle11).
L’imprimerie est donc notre principal poste de dépense. Après de nombreux tâtonnements, des hésitations, des discussions à rallonge (pas encore toutes réglées), on a fini par revoir certaines de nos exigences de départ. Pour rentrer dans une économie d’échelle minime tout en sauvegardant la possibilité de faire un journal qui nous plaise, on a longtemps bataillé, ergoté dans tous les sens. Torticolis rhétorique. Aujourd’hui, il semble acquis qu’on fonctionnera avec Ravin Bleu, dont l’ami Sergio Caceres affirmait récemment sur A11 (ici) que son fondateur Michel - une crème - était « le garant de la liberté d’impression dans ce pays ». Sergio a raison : tarifs tirés au plus bas, classieuse liste de publications imprimées par ses soins (dont Le Monde Libertaire, Z, Chéri-Bibi, Rebetiko, Barricata, certains des livres des éditions Attila, ceux des éditions Libertalia etc.) et très intègre discours politique… bref, Michel a tout pour plaire. Sans lui, jamais nous ne pourrions envisager de tirer 15 000 exemplaires de notre journal en bichromie pour une somme totale tournant autour de 3 000 noisettes. Une broutille, comparée à ce que certains de ses concurrents nous ont annoncé - par choix, nous avons de toute façon exclu les gros imprimeurs, ceux qui proposent des prix bas en rotativant à tout-va (notamment pour la presse quotidienne régionale) et qui se fichent comme d’une guigne de ce qui passe sur leurs machines.
Claudiquer hors des sentiers de la banqueroute
Rapidement, on le sait, il faudra tomber sur un équilibre financier, ne pas perdre d’argent à chaque numéro. Ou alors, l’expérience ne durera pas longtemps, nos comptes off-shore étant pour l’instant aussi vides qu’une ritournelle de Mireille Mathieu chantée un soir de sarkozie triomphante. Plus tard, une fois la gloire arrivée, on pourra se permettre des investissements à haut risques, style Kiervel ; mais pour l’instant, on reste prudents…
On va évidemment lancer une (petite) campagne d’abonnement quand la sortie du premier numéro sera fixée précisément (fin septembre ou fin octobre, ce n’est pas encore tranché). Mais on se fait pas trop d’illusions, cela ne débouchera pas sur une cascade de souscriptions. Et puis, la chose nous pose un problème éthique : comment proposer des abonnements alors que nous ignorons si nous dépasserons quelques numéros ? Et quand nous savons qu’en cas de rapide banqueroute, nous ne pourrons pas rembourser ceux qui auront casqué plein pot ? Dilemme. Solution envisagée : proposer des abonnements pour six mois. Sans doute le plus raisonnable.
La question de la viabilité économique du titre passe aussi - c’est logique - par le prix de vente. On a longtemps tortillé des neurones à ce sujet. Certains parmi nous étaient partisans d’un tarif à l’exemplaire plus élevé, jouant sur le fait que ceux qui achètent la presse dite « alternative » ou « militante » sont souvent prêts à débourser un peu plus, solidarité entre compadres de lucha oblige, ce genre. Sauf que : non. Pas question. D’abord, même si c’est un peu utopique, on aimerait bien ne pas être lu que par des partisans, des gens qui pensent comme nous et sont d’autant plus enclins à mettre la main au porte-monnaie. Et puis, malgré tout, on n’apprécie pas l’idée de faire payer un journal plus qu’il ne le mérite. Notre canard fera à priori 16 pages dans un format pas gigantesque, ne comportera aucun bon de réduction (le partenariat avec La Villageoise a capoté) et aucun gadget gratuit type bob pastis 51… bref, il n’y a pas de raisons qu’on le fasse payer plus de deux euros cinquante. Et encore, c’est le maximum : pour l’instant, nous penchons plutôt pour deux euros.
Pour éviter la faillite, il nous faudra aussi être un tantinet gestionnaires. Sans un soupçon de pragmatisme, la dégringolade sera rapide et assurée. Dura Lex Sed Economico Lex. Évidemment, on aimerait proposer un beau-grand-et-en-couleur journal pour le prix le plus bas possible ; pour un peu, on le braderait à 10 centimes et on le distribuerait gratuitement à la sortie des écoles privées, dans les casernes et dans les salles d’attentes des gynéco du 16e, pour la beauté du geste. Mais… As said Groucho Marx : « Il y a tellement de choses plus importantes dans la vie que l’argent, mais il faut tellement d’argent pour les acquérir. » En clair : on se fiche de l’argent et il n’est pas question d’en gagner avec ce projet mais, si l’on veut atteindre notre Graal, à savoir un journal qui nous/vous plaît et qui ne capote pas après deux numéros, il va falloir se révéler un peu dégourdis question gestion. Elle est libre, la comptable de Bettencourt ?
La glorieuse incertitude du shaker
À bien réfléchir, question grisbi, on reste solidement arrimés à la seule approche qui vaille. À savoir le cocktail « ça passe ou ça casse » : deux tiers de joyeuse inconscience caractérisée, une dose de conviction que l’intégrité perfide est toujours récompensée, une lichette de rationalité, le tout flambé au grand Marnier de la lutte sociale. Ça devrait le faire, non ? Au moins, jusqu’à ce que Lagardère ou Dassault se manifeste…
1 Louis Ferdinand Céline : « Toujours aller à l’adversaire où il vous croit en faiblesse, et là bien lui tarter la gueule. »
2 Portée sur les fronts baptismaux du très officiel Journal du même nom voilà un mois, l’association Article11 compte même un président. C’est vous dire si on joue le jeu, hein…
3 Spéciale dédicace to Carotte.
4 Les chiffres sont là indicatifs : ce sera finalement 15 000 exemplaires, et pas forcément un prix de vente de 2 €.