jeudi 18 mars 2010
Le Charançon Libéré
posté à 15h28, par
32 commentaires
Certains - c’est un classique - s’y entendaient comme personne pour faire voter les morts (in Tiberi memoriam). Les actuels ténors de l’UMP font encore mieux, qui entendent mobiliser leurs électeurs grâce aux morts. En exploitant les décès (réels ou fictifs) de membres de forces de l’ordre, Fillon, Sarkozy ou Jégo se muent en croque-morts de l’insécurité. Un rôle qui leur va à merveille.
Je fais chaque jeudi une petite chronique sur la radio libre FPP, à 12 h 15. Comme d’habitude, je te la copie-colle ici. Pour peu que tu sois prêt à passer outre quelques bafouillages, tu peux même l’écouter en version audio, juste ci-dessous.
Tu as dû t’en rendre compte, Ami, l’époque est aux honneurs post-mortem.
Et je suis sûr que tu sais que ceux-ci autorisent les manipulations les plus grossières.
Si je ne veux pas inutilement manquer de respect aux morts, je ne peux m’empêcher de noter combien certains prétendus hommages tombent à pic, combien certains autres sont immérités.
Je gage que tu vas être d’accord avec moi.
Cela faisait quelques semaines.
Et il était temps que le (gros) mot revienne dans la course politique.
L’insécurité fait ainsi son grand retour, et il faudrait être un brin obtus pour ne pas voir dans quelle immense mesure quelques récentes agressions contre des membres des forces de l’ordre servent les intérêts de ceux du parti majoritaire.
Prêt à tout pour récupérer les voix du FN au 2e tour des élections régionales, François Fillon s’y collait hier, lors d’un meeting parisien de l’UMP.
D’une voix solennelle et d’un ton martial, le Premier ministre a lancé ce vibrant appel : « À tous ceux que la violence inquiète, à tous ceux qui veulent faire reculer la peur, je leur demande de nous juger sur nos actes et de ne pas se disperser dans leurs votes. »
Le même a ensuite évoqué le policier tué par un membre de l’ETA, agitant joyeusement le spectre du terrorisme.
Avant d’également revenir sur le cas d’un policier placé en coma artificiel après avoir été la cible d’une pierre lancée la semaine dernière à Epernay : « Des voyous ont violemment caillassé des policiers qui procédaient simplement à un contrôle routier. L’un d’entre eux vient de décéder. Caillasser, insulter, vandaliser, tirer, tuer : désormais il semble qu’il n’y ait plus aucune limite pour certains. »
Manque de pot, le flic évoqué par François Fillon se porte (presque) comme un charme : celui qu’il présente comme « venant de décéder » sort tout juste du coma.
Hier, donc, François Fillon, courageux soldat en guerre contre l’insécurité, n’a pas hésité à mentir pour les besoins de sa cause.
Grossière manipulation en laissant augurer d’autres, à commencer par les rodomontades présidentielles, ce matin à Dammarie-les-Lys, visite expresse pour vendre la camelote électorale,joyeux pari que la peur mobilisera les abstentionnistes.
Et pourquoi pas, tant cela a bienfonctionné les fois précédentes ?
Mais en matière de récupération post-mortem, c’est l’ineffable Yves Jego qui s’est montré le plus percutant.
Député de Seine-et Marne et guignol de haut-vol qui a réclamé l’instauration d’« une minute de silence » en souvenir du policier tué par le membre de l’ETA, minute de silence qui se tiendrait - ô surprise - à huit heures du matin, dimanche, dans les bureaux de vote des Régionales.
Dans les bureaux de vote : rien de moins…
Tant qu’on y est, je suis un peu surpris qu’Yves Jégo ne suggère pas aussi que la photo en gros plan du flic tué soit affichée dans chaque isoloir, pour rappeler aux électeurs combien les temps sont sanglants.
Que le même ne propose pas qu’un porte-clés en forme de petit cercueil soit remis à chaque citoyen se rendant aux urnes, façon de souligner que le terrorisme se combat aussi par le vote.
Et qu’Yves Jégo - toujours - n’organise pas des reconstitutions publiques du drame, petites saynètes qui pourraient être jouées, tout au long de la journée du 2e tour et devant les bureaux de vote, par des militants UMP et des membres des forces de l’ordre ; ça aurait une sacré gueule.
Bref, je trouve que le député de Seine-et-Marne la joue petit bras.
Et je note aussi qu’il fait preuve d’un optimisme confinant au délire.
Parce que dans les bureaux de vote du deuxième tour…
Un dimanche à huit heures du mat…
Et alors que l’abstention atteint des records…
Il risque bien de ne pas y avoir foule pour participer à cette minute de silence.
Rayon manipulation post-mortem toujours, je voudrais aussi te dire un petit mot de cet homme violemment tabassé fin février lors d’affrontements entre deux tribunes ennemies du PSG, Auteuil et Boulogne
Un gugusse - finalement décédé hier soir - que les médias n’ont eu de cesse de présenter comme « un supporter » du PSG.
Et qu’ils ont érigé en innocente « victime de la violence », pauvre bougre surpris à la sortie d’un bar et pris à partie sans raison
Les mêmes médias ont très généralement oublié - c’est quand même curieux, hein ? - de mentionner qu’il était l’une des figures de la Casual Firm, groupuscule hooligan du fascistoïde Kop de Boulogne (ce que rappelle un très bon billet de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue, à lire absolument).
Et ils ont tout aussi souvent omis d’expliquer que ladite victime innocente était à la pointe de l’attaque qu’une centaine de bas-du-front ont lancé ce soir-là contre les supporters d’Auteuil, charge ultra-violente menée aux cris de « Bleu, blanc, rouge, la France aux Français » et qui avait pour but de mettre au pas une tribune d’Auteuil jugée un peu trop colorée et à gauche.
L’agression fasciste a finalement tourné vinaigre.
Et l’un des crânes rasés - finalement décédé hier soir - s’est fait violemment bastonner.
Il serait logique de considérer qu’il l’a bien cherché.
Mais sans aller jusque là, je me contenterai de trouver surprenant que que cet agresseur abruti assoiffé de castagne soit devenu, après être tombé dans le coma, un banal « supporter du PSG ».
Et d’estimer scandaleux que Le Parisien en fasse une « victime », quand les supporters d’Auteuil sont nommés « agresseurs »1.
D’ici à ce que lui-aussi ait droit à une minute de silence lors du deuxième tour, il n’y a qu’un pas.
Et je pose solennellement la question : qu’attend Yves Jégo pour le proposer ?