mardi 1er septembre 2009
Médias
posté à 08h49, par
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Les centaines de millions de dollars brassés chaque année par l’eldorado du X virtuel ont fort logiquement aiguisé les appétits. Et alimenté une manne fort rentable : le gonzo. Non-genre trash. Sans limites. Ultraviolent. Quitte à laisser les filles sur le carreau. Qui s’en soucie, au fond ? Tant compte l’ivresse du business d’un côté, de la branlette express de l’autre. A la tienne !
Que les jean-foutre du net, palucheurs de tout poil accros au cul pixellisé et autres hypertrophiés du poignet nous pardonnent à l’avance de leur gâcher un peu de leurs menus plaisirs solitaires : les lignes qui arrivent devraient pour un paquet de temps vous passer l’envie de vous flatter l’engin - concomitamment au mulot.
Allons ! Article XI en croisade contre le porno gratos et librement distribué ? Ouais, et pas qu’un peu. Et si la chose vous contrarie, prière de trouver le guichet des plaintes au 12, place de la Bourse, Paris II. Bureaux du Nouvel Observateur. Auteur dans son supplément Télé-Ciné en date du 16-22 juillet du deuxième volet d’une série estivale consacrée aux « films à scandale ». Cette semaine-là, le tour était venu de se pencher sur le cas de Gorge profonde (Deep throat), production mythique s’il en est, qui effectivement en son temps – au virage des années 70 - fit longuement scandale. Coupable de chatouiller là où il ne le souhaitait pas un troupeau états-unien à tout le moins coincé du col.
Le truc, c’est qu’à l’Obs on a bizarrement tourné l’affaire, évacuant à bons frais le destin de l’« héroïne » du bazar, miss Linda Boreman, alias Linda Lovelace1. « Pionnière ou victime ? » s’interroge le canard, sans pousser plus avant le questionnement. Il est vrai que le papier se borne à instruire le procès d’une Amérique plus que jamais campée sur un puritanisme surjoué - le journaleux, joyeux drille, ne se privant pas tout le long d’amuser la galerie avec de riches trouvailles stylistiques (« Un pitch en acier trempé » ; « Les queues devant les cinémas s’allongent » ; « Gorge profonde ébranla tout le système » – ah ! ah !).
Plus sérieusement : que connaît-on de Linda Lovelace ? « Enfant martyr », « prostituée »2, Linda doit sa carrière pornographique à la rencontre avec son futur mari, proxénète à ses heures. Jeune femme paumée en réalité, loin de l’image de « performeuse » véhiculée par Deep throat, production qui symbolise l’acmé de sa brève « ascension » et tombe le voile sur quelques versants à gerber. Comme lorsque, sur ordre de son époux, L.L. fut contrainte durant un tournage de se soumettre à une scène zoophile avec un chien.
Entre autres parcours, l’histoire de Linda Lovelace est évoquée dans la roborative enquête de Frédéric Joignot, Gang Bang3, publiée en 2007. Et c’est là qu’on veut en venir. Gang Bang ? Un long voyage à travers les enfers de la pornographie moderne, dont la propre destinée de L.L. contenait tous les germes. Voyage, surtout, à travers le business galopant d’une industrie qui aura considérablement muté durant les quinze dernières années. Le porno à papa (VHS élimées, play, rewind, arrêt sur image) disparaissant au profit du gonzo crade, accessible d’un simple clic.
Dèche généralisée et valeur refuge
Des chiffres ? En voilà : chaque seconde, sur le net, 89 dollars sont dépensés pour le X. Dans le même temps, 266 sites nouveaux fleurissent sur la Toile4. Mais aussi : chaque seconde, 28 258 internautes de par le monde s’injectent une dose de porno via leur PC. Du côté des sites : Hustler comptabilise 8 millions de visiteurs uniques chaque jour, quand Kara’s Adult Playground se fait fier de revendiquer 5,9 millions de clients enregistrés. Le marché américain spécialisé pèse 13 milliards de dollars. Autant le dire : en ces temps de dèche généralisée, le porno demeure une valeur refuge.
Et sans se ruiner par-dessus le marché. Ben oui : une piaule, une caméra, un logiciel de montage. Et des filles. Basta. Donc fastoche. « Pas de scène, pas de décor » , ainsi que le résume Sweet, une ancienne « actrice » de gonzo5. « Le gonzo, c’est très dur, poursuit-elle. La baise directe, de la double pénétration, de la triple, des godes énormes, les scènes qui s’enchaînent à toute blinde ». Plus loin : « Une D.P., c’est pas du tout évident à faire. Ça fait trop mal des fois ! Aucune fille n’y arrive du premier coup (…) C’est très différent de ce qu’on voit sur un écran. C’est très impressionnant, deux types qui enfoncent une femme, la bourrent. Des actrices ne le supportent pas. »
La question, c’est : jusqu’où ces filles sont-elles consentantes ? Que savent-elles des scènes qui les attendent ? Que savent-elles de la double pénétration, de la sodomie, du fist fucking ? Et que sait-on, nous, spectateurs, de ce qui se trame hors champ ? Caméra éteinte. Quand le tournage est interrompu.
Au visionnage de certaines séquences, Frédéric Joignot s’estime « témoin payant d’un viol ». « Le X n’est pas un genre à part entière, corrobore la réalisatrice Jacky Tyler. A cause de la manière dont il est pensé et fabriqué (…), il s’apparente plus à du snuff movie.6 » A preuve : l’évocation d’un tournage gonzo où un type « met la tête de la jeune femme dans la cuvette des toilettes pendant qu’il la baise.7 »
Leur métier : « Forcer les chairs »
Marc Dorcel et ses robes longues de soirée, cuivres endiablées, cravates de notaire et demeures à l’avenant, ont vécu. Exit le porno petit-bourgeois. Place au trash. A la défonce. Où l’acteur surmembré s’emploie à « forcer les chairs ». « Je les ai vus mettre un téléphone portable dans l’anus d’une actrice, puis ensuite le faire sonner, se souvient une actrice présente sur un tournage allemand. Je les ai vus enfoncer une pizza dans le vagin d’une actrice. Les yeux de la fille blanchissaient. Je suis intervenue pour interrompre le massacre, le réalisateur a voulu me gifler. La fille a refusé mon aide. Elle tenait trop à son cachet. Elle a pris son fric, et elle est partie sans rien dire.8 »
Comme d’autres, le porno prospère sur la merde ambiante. Google. Je tape « Défonce anale » : 528 000 réponses. « Destruction anale » : 2 300 000 réponses. Fenêtres pop-up à l’appui. Welcome sur la Toile. Visages déformés, images de la souffrance. L’ultra-violence de partout. Consentie ? Certes, la fille empoche les dollars, les euros. A l’exemple de ce qui se pratique sur le site Gang Bus9. Le pitch : un van sillonne les centre-villes de quelque bourgade américaine, ramasse en auto-stop ce que ses propriétaire trouvent de blondes dépoitraillées, les filles en prennent pour leur grade, s’en tirent avec la sempiternelle éjac’ faciale, les portes du véhicule s’ouvrent en grand, les filles jetées sur le bitume, des billets volent, le van reprend sa course sous les rires gras des types satisfaits. Bangbros, la boîte qui balance ça, détient 29 sites et présente un chiffre d’affaire annuel avoisinant les 2 millions de dollars.
Les filles ? Des « biatches ». Des « salopes ». Prêtes à tout pour un peu de fric. Des « big mouthes », « big asses », « big boobs », assoiffées, affamées, que sais-je encore ? Justement : on ne sait pas grand-chose d’elles. Elles non plus d’ailleurs. « Je sais que je suis une grosse pute. Mais je ne me rappelle pas comment ça a commencé » , racontait une actrice dézinguée à la réalisatrice suédoise Alexa Wolf, auteure du documentaire Shocking Truth, compilation de témoignages plus saisissants les uns que les autres. Shocking Truth retient que les « actrices » « sont très souvent d’anciennes victimes de viols ou d’incestes ». A la question « quand ça a commencé ? », toujours, une autre répond dans le film, le visage couvert de foutre : « Peut-être quand je me suis fait enculer par l’avocat de mon père. Enfin, je ne sais pas si c’était son avocat ou un de ses collègues. J’avais douze ans10 ».
« Une spirale de la violence »
D’autres enquêtes témoignent des séquelles physiques retenues contre ces filles usinées sans ménagement. L’une condamnée à la chaise roulante après un gang bang. Une autre séjournant six mois à l’hôpital au sortir d’un tournage. « J’ai vu beaucoup de filles saigner du nez, à cause des gifles, raconte Sweet, citée par Joignot11 J’ai vu des poignets cassés, des bleus, des contusions (...) Cela n’a rien à voir avec des accidents de tournage, pendant un film de karaté. Nous ne savons pas, avant, que ça va aller si loin. Ils voulaient m’enfoncer un tuyau dans l’anus pour me faire sortir de la merde (...) mais j’ai refusé. Nous sommes emportés dans une spirale de la violence. Il y a déjà des filles pas mal amochées, c’est certain, et je ne te dis pas psychologiquement. »
Au plus fort de sa notoriété, tournant le dos (sans jamais être parvenue à se délester de l’encombrant fardeau) à sa trajectoire X, Linda Lovelace avait l’habitude de répéter : « Les spectateurs de « Gorge profonde » assistent à mon viol ». Dans le fond, rien n’a bougé. Les salles dédiées ont depuis longtemps fermé boutique. Désormais, c’est depuis le confort de son bureau, sur son portable, joies du wi-fi, à toute heure, que se rend disponible le spectacle des corps.
A la chaîne.
1 « Lovelace » - Traduction littérale (quoique approximative) : « amour et dentelle ». Ce qui, compte tenu des motivations ayant conduit à la retenir au casting, confine au plus sordide des foutages de gueule.
2 Lire l’article de wikipédia la concernant.
3 Seuil, 202 p. 15 €. Le livre sert abondamment de trame à ce billet, que son auteur en soit remercié.
4 Statistique qu’il convient, en toute évidence, de pondérer étant donnée la proportion de sites qui parallèlement baissent le rideau – mais je n’ai rien trouvé de certain sur le sujet.
5 Gang Bang, p. 42.
6 Gang Bang, p. 51.
7 Gang Bang, p. 55.
8 Gang Bang, p. 86.
9 Adresse crapuleuse s’il en est dégotée par Lémi. Une multitude existe, en une course effrénée aux scénarios les plus cradingues.
10 Témoignages extraits d’un article publié par l’écrivain Isabelle Sorente disponible ici à la lecture
11 Gang Bang, p. 108.