ARTICLE11
 
 

samedi 29 novembre 2008

Le Charançon Libéré

posté à 13h13, par JBB
18 commentaires

Face à la morgue policière, le cri du grand journaliste blessé. C’est toujours émouvant, un scribouillard qui découvre la réalité…
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c’est entendu : l’interpellation de Vittorio de Filippis, que Libération relate en long, large et travers, constitue autant une atteinte à la liberté de la presse qu’une jolie preuve du traitement indigne que la police réserve aux citoyens. Il est seulement un rien dommage que l’ancien PDG de Libération doive en faire les frais pour s’apercevoir que les forces de l’ordre se comportent de façon indigne.

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Dites, vous n’avez rien entendu ?

Si ?

Un drôle de beuglement ?

Que je vous explique : c’est le hurlement du grand fauve humilié.

Le feulement du maître de la savane médiatique acculé sous un acacia quelconque, la gueule en sang et l’ego douloureux d’avoir été maltraité.

C’est le cri de Vittorio de Filippis, ancien PDG et directeur de la publication de Libération, qui n’en peut mais d’avoir été traité comme le plus anonyme des petits délinquants.

Se trouve « pâle, fatigué, outré » après un passage au commissariat.

Découvre que les flics peuvent profiter de « son portail sans serrure pour pénétrer chez lui », lui « interdire de toucher à son portable », troubler son intimité familiale et traumatiser ses enfants par leur comportement, le rabaisser jusqu’à lui dire « devant (son) fils : ’Vous, vous êtes pire que la racaille !’ ».

Apprend ce qu’est l’ordinaire d’un commissariat, loin des grands principes et belles valeurs censés régir le comportement des forces de l’ordre envers les citoyens : « Je suis assis sur un banc, boulonné au sol, dont pendent plusieurs paires de menottes. Face à moi, affichée au mur, la Charte d’accueil du commissariat. »

S’aperçoit que les policiers ne font pas forcément droit à la plus élémentaire demande à être assisté par des avocats : « Ils ne seront pas là. »

Constate combien peuvent être humiliantes les fouilles à répétition, une première fois - « Je me retrouve en slip devant eux, ils refouillent mes vêtements, puis me demandent de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois » - puis une deuxième - « Je signale alors que j’ai déjà été fouillé d’une manière un peu humiliante deux heures plus tôt et je refuse de baisser mon slip à nouveau ».

Et se rend compte que la justice n’est ni aimable ni compréhensible quand elle s’exprime par la bouche d’une juge sûre d’elle, désagréable et peu amène : « Puis Vittorio de Filippis refuse de répondre à toute autre question. La juge s’énerve, hausse le ton. Mais, en l’absence de ses avocats, le journaliste refuse tout échange verbal avec elle. »

Voici ce grand cri : Vittorio de Filippis découvre ce qui est désormais tristement banal aux yeux de tous.

Et débarque de sa lune journalistique pour s’apercevoir que la police et la justice peuvent se montrer aussi inutilement agressives que méprisantes.

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Qu’on s’entende bien : il ne s’agit pas de se réjouir de la façon dont a été traité l’ancien PDG de Libération.

Ni de ne pas dire combien cette histoire est un symbole des multiples accrocs que le régime porte à la liberté de la presse.

Et au-delà, à toutes les libertés.

Mais il est quelque chose d’ironique dans cette réaction d’un journaliste expérimenté s’apercevant, parce qu’il vient d’y être personnellement confronté, qu’il y a quelque chose de profondément pourri dans notre société.

Chose qui se dit et se répète pourtant sans cesse depuis quelques années.

Y compris - en filigrane - dans cette infusion médiatique tiédasse qu’est devenu le quotidien qu’il a un temps dirigé.

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La triste réalité de la morgue policière ?

Elle se lit pourtant dans le rapport annuel de la Commission nationale de la Déontologie de la sécurité qui dénonçait récemment « la durée excessive des gardes à vue, la banalisation du menottage, mais aussi les nombreux manquements de l’administration pénitentiaire ».

Elle s’affiche aussi sans honte dans l’impunité de ces deux policiers de Montfermeil, poursuivis pour « violences volontaires par dépositaire de l’autorité publique, avec arme et en réunion » sur un jeune étudiant de la cité des Bosquets et qui ont été aussitôt réintégrés.

Elle s’affirme clairement dans le brouillard scandaleux qui entoure toujours, trois ans après le drame, les circonstances officielles de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un transformateur EDF après avoir tenté de fuir les policiers qui les poursuivaient.

En clair : cette réalité-là est une évidence.

Ce que répète notamment sans relâche Maurice Rajsfus, défenseur des libertés qui n’a eu de cesse d’alerter la france sur l’évolution de sa police, tient un compte précis des bavures et constate :

« Il faut bien comprendre que, dans la réflexion étroite du défenseur de l’ordre public il y a, d’un côté, le parti de l’ordre et, de l’autre, des fauteurs de désordre. L’ennemi de la société dominante n’est plus seulement le criminel que le policier est censé pourchasser, mais quiconque ose mettre en doute la nécessité d’un ordre public dont l’homme en uniforme serait seul en capacité de définir les limites. Dès lors, le policier devient le maître à penser, sinon le tuteur de la société. Le citoyen n’étant plus que l’encombrante pièce rapportée d’un passé de liberté révolu dans une société qui se doit de marcher droit. Sauf à être constamment verbalisé, réprimé, brutalisé, puis éventuellement considéré comme un hors-la-loi qu’il devient urgent de mettre à l’ombre, s’il n’est pas possible de le faire taire. »

Oui : il était temps que Vittorio de Filippis ouvre les yeux.


COMMENTAIRES

 


  • Tous cela ne donne pas envie de devenir PDG de libé, parce que si des postes haut placés ne protègent plus de la gadoue, où allons nous ?

    • samedi 29 novembre 2008 à 15h03, par JBB

      C’est la chienlit, je ne vous l’envoie pas dire…

       :-)

    • Ah non ! Ce n’est pas parcequ’il était PDG, mais directeur de la publication. Dans ce cas, c’est lui « l’éditeur », donc le « diffamateur présumé » (c’est pas jugé donc il est innocent), le journaliste ayant publié l’article n’étant « que » un complice présumé.

      En plus, la diffamation n’est pas à l’encontre de l’article lui-même, mais d’un des commentaires qui en a été fait sur Internet (l’Internaute a lui aussi été poursuivi... et a été relaxé !).

      Et pour finir, le délit (douteux vu la relaxe d’un des complices) n’est pas passible d’une peine de prison. Un mandat d’amener était un tant soit peu excessif, ex-PDG ou non ! À moins qu’il n’est été notifié par un ordre de comparution (porté par un policier et remis en main propre) auquel il n’aurait pas répondu et là, c’est pour sa pomme.

      C’est pas que j’adore les PDG ou lui en particulier, mais tout ça laisse quand même rêveur... on dirait qu’il y aurait eu un « bug » de la part du juge d’instruction qui aurait débouché sur un plus gros « bug » côté flics, ravis de « se faire » un journaliste (et comme ils ont ordre de l’arrêter, c’est que ça doit être grave ou très moche et qu’ils ont donc affaire à « pire qu’une racaille standard »).

      Notez aussi qu’il n’est plus que « simple » journaliste depuis 2006. Pas PDG.



  • samedi 29 novembre 2008 à 14h51, par totolezheros

    ... qui s’attaque à un journaliste de la presse de droite.



  • Vous souvenez-vous, qui disait dans un sketch du siècle précédent ?

    "...C’est vrai ! C’est ingrat la police, parce que par exemple... parce que j’vois, parce que les gens y nous aiment pas.
    - C’est con. Parce que nous on est là pour les protéger hein. Vous avez remarqué les gens ???
    - Plus y a de flics autour d’eux, plus ils ont peur. C’est flagrant,..."

    http://aubonsketch.ifrance.com/coluchecp.htm

    • dimanche 30 novembre 2008 à 09h08, par JBB

      « Vous souvenez-vous, qui disait dans un sketch du siècle précédent ? »

      Serait-ce le même que celui-ci :

      « On s’fend la gueule ! L’autre jour y a un beatnik qui vient pour changer sa carte d’identité. Alors Robert y lui dit... parce que Robert y déconne tout le temps. Alors Robert y dit, euh... : »Tu me donneras l’adresse de ton coiffeur !« On lui a cassé la gueule. On s’est marrés. Ah non, mais on fait gaffe hein. On tape avec le plat de la main. Comme ça, dans les côtes. Alors ça fait ach’ment mal mais, euh, ça fait pas de traces. Ah non. Parce que on n’a pas droit aux traces. Parce que les mecs quant ils ont des traces, y paraît qu’y peuvent porter plainte. Remarquez, heu, y faudrait qu’y viennent au commissariat pour porter plainte. J’les plains les mecs. Non, dans l’ensemble y viennent pas. On n’a pas à se plaindre. »



  • Mais,ils s’ennuient ces policiers !!

    Dans cette profession,il faut de la haine,de la violence,du racisme,il faut du défoulement libérateur.

    Ils manquent d’une rafle de Vel’ d’Hiv’,d’un métro Charonne,peut-être d’une petite ratonnade...

    Bien fait pour sa gueule à ce journaliste.
    Ils nous font chier ces plumitifs,prétendus experts,observateurs privilégiés,politologues et autres journaleux qui vont chercher leur pitance dans les chiottes du pouvoir,font copain-copain avec flics,juges, politicards.

    Heureusement,il y a ARTICLE XI pour relever le niveau,mais ça va être dur. ;-)



  • Comme le dit si bien, aussi, Maître Eolas :

    Cette affaire, frappant un journaliste, uniquement parce qu’il a été pendant six mois directeur de la publication d’un quotidien ayant publié un article qui a déplu et qui si ça se trouve n’était même pas diffamatoire, et qui s’il l’était l’expose au pire à une amende de 12.000 euros, va attirer un temps l’attention des médias sur ce scandale quotidien qui ne provoque qu’indifférence parce que d’habitude, le monsieur qui tousse avec son slip autour des chevilles, il s’appelle Mohamed, ou il a une sale tête. À quelque chose malheur est bon : cela rappelle que ces lois qu’on ne trouve jamais assez dures quand elles frappent autrui, elles s’appliquent à tout le monde. Et un jour, elles peuvent aussi s’appliquer à vous. Vous verrez comme elles vous protègent, ce jour là.

    http://www.maitre-eolas.fr/2008/11/...

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/

    • Il ne s’agissait même pas d’un article, mais d’un commentaire d’internaute suite à un article, comme cela peut se lire à la fin de presque chaque article (et on remarquera que Libé ferme pour tout le dossier de ce jour l’accès à la fonction commentaire, contrairement à ses habitudes). Cet ancien directeur de la rédaction se trouve dans la même situation qu’un internaute qui ouvre un blogue ou un forum, il est l’accusé principal du fait de diffamation, le commentateur n’étant que complice (et dans le cas de la presse papier, c’est un journaliste qui est le complice). Cela pose des questions sur ces forums ouverts par une certaine presse qui passe son temps à conchier les blogues tenus par des individus, où tout serait permis et où on jouirait d’une totale impunité derrière son écran (n’est-ce pas mon petit Joffrin ?) L’indignation du barbichu me fait doublement plaisir. Il découvre à la fois la réalité des gardes à vue et la réalité de la situation juridique des blogues (qui ne sont pas tenus en majorité par des irresponsables). On a voulu faire Web 2.0 afin d’attirer de l’argent, mais on ne veut pas assumer les mêmes responsabilités que les blogueurs ?

      Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

      • @ Françoise : il dit très bien ces choses-là. Et toutes les autres aussi, d’ailleurs.

        @ Dominique : à ce propos, je n’ai pas trop compris pourquoi ils avaient fermé cet article aux commentaires. Il sont peur que l’on se fiche de leur trombine ?

        • Ce n’est pas seulement cet article qui est fermé aux commentaires, mais tout le dossier (une interview, les réactions de la rédaction, l’édito du barbichu qui était moins indigné lorsque la « maréchaussée » débarquait à Tarnac aux petites heures dans des conditions bien pires). Avant-hier soir, le récit de la garde à vue était ouvert aux commentaires, il y en avait deux en attente. Mais je suppose que les avocats sont passés par là et ont dit que c’était dangereux, du fait des accusations portées contre la magistrate et les policiers, plus le fait que la plainte portait déjà sur un commentaire d’article au sujet de la condamnation de Xavier Niel. Il ne faut pas se retrouver avec une nouvelle plainte de la part d’un richissime habitant de la Villa Montmorency du fait d’un commentaire qui aurait échappé à la modération ! En outre, comme l’affaire est encore instruite, cela pourrait être interprété comme une pression envers les juges.

          Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com



  • Debout devant mon ordinateur (très étonné de me voir dans cet état, mais ça lui passera...) j’applaudis ton billet !

    Il faudrait que les éditorialistes de la presse tiédasse en prennent de la graine : ça c’est du commentaire...

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • dimanche 30 novembre 2008 à 09h17, par JBB

      Tu es trop gentil.

      « Il faudrait que les éditorialistes de la presse tiédasse en prennent de la graine »

      Joffrin a appelé hier pour me proposer d’écrire ses éditos à sa place, j’hésite un brin à dire oui… :-)



  • Et oui, tous les flics ne sont pas gentils, ils font même parfois trembler le bourgeois....

    J’ai trouvé cette image, qui n’a qu’un faible rapport (de police ?), avec ton article qui illustre très bien ma pensée ;-)

    Mais bon, je l’ai trouvé intéressante, non ?

    Private Ps :
    Ben, maintenant que je suis surveillé, je ne vais pas pouvoir m’échapper ; les mots vont devoir s’aligner via le clavier et être publiés ; j’ai la pression, et peu d’expressions propres, alors pour commencer je vais tricher, le mercredi c’est ciné, donc si(g)né...

    Voir en ligne : Kprodukt, blog actif et militant(?)

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