mercredi 24 septembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 11h20, par
19 commentaires
Il est très proche de Nicolas. Il l’a accompagné pendant les trois jours que le président français a passé à New-York. Et il est celui qui présidait le repas donné par la fondation Appel de la Conscience pour célébrer la remise du titre d’Homme d’état de l’année à Sarkozy. Serge Dassault, compagnon de route de toujours, s’est confié au Charançon Libéré. Voici son récit :
Je m’attendais à tout.
A tout hein, tant je commence à connaître Nicolas.
Mais je n’aurais jamais pensé qu’il puisse aller aussi loin.
Et qu’il oserait s’en prendre à mes amis, à mes semblables, à mes frères…
A moi, même !
Le coup fut rude.
Quand il a remonté l’allée centrale du Waldorf Astoria, saluant au passage les nobles invités présents, j’étais encore plongé dans mon carpaccio de homard et je tentais de rattraper mon retard sur les autres convives à grand coups de fourchette.
Bref, j’avais la tête ailleurs.
Mais j’ai vite cessé de m’intéresser à mon plat quand j’ai entendu le petit Nico -je l’appelle toujours ainsi, on s’en claque cinq et on se tutoie - entamer son discours de remerciement pour le prix de l’Homme d’état de l’année, décerné par la fondation Appel de la conscience.
Il faut dire qu’il a attaqué sur les chapeaux de roue.
« Quand les affaires vont bien, il est normal que beaucoup de gens gagnent beaucoup d’argent. Mais quand les affaires vont mal, il est normal que ceux qui se sont si lourdement trompés en assument les conséquences et les responsabilités », a tonné le président dans un silence de plomb.
Je suis resté immobile, la fourchette en l’air, avec la désagréable impression d’être visé.
« C’est sans doute une faiblesse, mais moi, Carla, je n’ai jamais été de gauche, a poursuivi sur le même ton inquisitoire le petit Nico. Mais j’aime la justice et ce n’est pas juste que ceux qui nous ont conduits où ils nous ont conduits n’assument pas les responsabilités qui sont les leurs. La liberté ce n’est pas la loi de la jungle. »
J’ai cessé de mastiquer, mandibules au repos, en me demandant comment j’avais pu faire confiance, depuis si longtemps, à un homme capable de poignarder ainsi à la fois le monde de la finance et sa famille politique dans le dos.
Le traître…
Epreuve supplémentaire, c’est moi qui présidait la cérémonie de remise des prix.
Et j’ai dû, à la fin du présidentiel discours, me lever comme si de rien n’était pour rejoindre les autres pingouins sur l’estrade et remettre au fourbe Nicolas sa distinction.
Calme en apparence, je fulminais intérieurement contre le discours injuste et injurieux qui avait été donné à entendre à cette auguste assemblée.
Et le président s’en est vite rendu compte.
A tel point qu’il m’a pris à l’écart à la fin de la cérémonie pour me rassurer un brin, comme on le ferait avec un enfant inquiet de l’achat d’un martinet.
« Ben… Serge, fait pas la gueule ! Tu me connais, non ? Tu sais très bien que c’était du vent, tout ça. Que je ne vais pas vraiment moraliser le monde de la finance. Que je ne vais pas m’en prendre à ceux qui s’en sont mis plein les poches. Comme si c’était mon genre, d’appeler à la justice sociale… Ne t’inquiète pas. »
Déjà là, je me sentais un peu mieux.
Il a poursuivi, toujours entre quatre yeux : "Tout le monde ne cessait de critiquer mon silence sur la crise financière, de me reprocher de ne rien proposer pour résoudre le quintal de problèmes qui est en train de nous tomber sur le coin de la gueule. Comme si j’en avais, des solutions… Sans déconner, je suis pas Majax…
Il fallait que je fasse semblant, alors j’ai fait semblant. Ici, mais aussi à l’ONU ou lors de la remise du prix de la fondation Elie Wiesel, j’ai tonné contre les requins de la finance et j’ai appelé à la moralisation de leur comportement. Ça ne mange pas de pain, non ?"
J’ai commencé à bomber le torse à nouveau, déjà rassuré.
Il a repris, décidément en verve : "C’était juste du baratin de première. Souviens-toi : il y a un peu plus d’un an, juste avant mon élection, je m’en étais pris aux bénéficiaires de parachutes dorés, promettant d’interdire cette pratique au nom de la moralisation du monde financier. Est-ce que je l’ai fait ? Bien sûr que non… Mais les Français avaient apprécié que je pousse un coup de gueule sur la question. Le reste, ils s’en fichent…
Tu crois que ces mêmes Français vont s’étonner que j’ai à nouveau invité à interdire les parachutes dorés aujourd’hui à l’ONU, expliquant que « je ne suis pas contre les fortes rémunérations, mais j’ai toujours été opposé à un système économique où, quel que soit le résultat, on ne prend pas de risque » ? Des nèfles, ils n’ont pas de mémoire…"
J’ai sourit : je retrouvais ce petit Nico que j’avais fait sauter sur mes genoux, il y a une cinquantaine d’années.
Lui ne s’arrêtait plus : « J’ai juste fait ce que je fais à chaque fois qu’un problème se présente, adopter un ton incantatoire pour masquer mon immobilité. Le seul truc concret que j’ai proposé, au fond, c’est la tenue de cette réunion en novembre pour que les pays du G8 réfléchissent à »un capitalisme régulé« . Comme si une réunion allait changer quoi que ce soit… C’était juste une façon supplémentaire de botter en touche. »
Je respirais à pleins poumons, définitivement rassuré.
Nicolas s’en est aperçu, qui a conclu ainsi notre entretien : « Je vois que tu commences à saisir. Ça m’étonne d’ailleurs que tu sois tombé dans le piège, tu me connais depuis si longtemps. Et puis… Juste une coïncidence rigolote, pour te prouver combien il ne faut pas attacher d’importance à mes mots : alors même que je réclamais à l’ONU une moralisation du capitalisme, ma ministre Christine Lagarde était auditionnée par la Commission des finances de l’assemblée à propos des indemnités allouées à Bernard Tapie. Elle y a admis que le montant incroyable des dommages et intérêts alloués à Nanar avait été fixé avant même que le principe de l’arbitrage ne soit retenu. Est-ce que ça te semble correspondre à une quelconque exigence de moralité, ça ? Bien sûr que non ! Je te le répète : tu n’as aucune inquiétude à avoir. »
Et il a tourné les talons sur ces mots.
Mais tandis qu’il s’éloignait, je l’entendais rigoler, parlant tout seul : « Moralisation, mes fesses… Qu’est-ce qu’il faut pas entendre… »