mercredi 23 février 2011
Sur le terrain
posté à 22h17, par
4 commentaires
Sans-papier et chômeur d’un côté, flics et juge de l’autre. L’ensemble forme le triste ordinaire du quotidien des tribunaux correctionnels de France et de Navarre - où l’on condamne aussi la pauvreté et l’exclusion. Dans le cadre d’une chronique judiciaire (à épisodes) publiée dans la version papier d’A11, Antimollusques a suivi une audience du tribunal correctionnel de Paris. Compte-rendu.
Tribunal de grande instance de Paris. Les gendarmes ont le crâne ras et la tenue noire. Dans le box à demi-vitré, devant les gendarmes, les prévenus, jugés en comparution immédiate. Ils sortent tout juste de garde à vue et doivent dire au juge s’ils souhaitent bénéficier d’un délai pour préparer leur défense. Un coup d’œil rapide à leur avocat et le filtre de l’interprète pour ceux qui veulent être sûrs de bien comprendre. Tous acceptent d’être jugés le jour même. Les avocats sont satisfaits ; de leurs bancs, les robes noires savent bien que, d’ici peu, elles prendront aussi cher que les prévenus aux noms desquels elles prétendent parler.
Ils sont deux ; l’un est sans-papiers, il bosse dans le bâtiment. L’autre est sans emploi. Selon le président du tribunal, « les policiers ont repéré leur manège […]. Ils avaient un comportement suspect dans le XVIe arrondissement ». On les accuse d’avoir piqué « une série de produits cosmétiques » dans un Casino. Il y en a pour 138 euros de flacons à récurer, laver les cheveux, les ongles, pour parfumer aisselles et poignets, 138 euros dans deux sacs plastique destinés à être « envoyés au bled, monsieur le Président ». La « marchandise » – c’est ainsi que l’institution judiciaire nomme les gels douches et les anti-pue – a été rendue au gérant. À l’heure qu’il est, ladite marchandise de supérette doit glouglouter tranquille dans une baignoire à ouverture latérale de l’Ouest parisien. Le juge prononce une interdiction de territoire français – trois ans – pour le sans-pap’ et envoie le second en taule le soir même pour trois mois. Dans sa clairvoyance, il a dû estimer que les conditions sanitaires étaient plus favorables en Étranger, et encore plus douces dans les prisons de chez nous, où le savon ne se vole pas mais se cantine.
Puis deux autres gars, tous les deux sans-papiers et mariés en France. L’un d’entre eux est « démolisseur ». Le juge ne comprend pas très bien et demande des précisions : cela veut dire que le prévenu « travaille dans le bâtiment » ; l’autre est plaquiste. Ils sont accusés de vol « en réunion ». Les flics du XVIIIe les ont trouvés avec quarante euros – à eux deux – en poche. Cette nuit-là, la caisse enregistreuse d’une brasserie du coin a été volée. Après avoir descendu quelques bouteilles, les deux gars seraient tombés sur ladite caisse, dans la rue, à trois heures du mat’. Du contenu de la caisse, il ne reste pas grand chose quand ils se se font serrer par les flics. Le juge, le triomphe mou, annonce que la police a retrouvé « un limonadier en leur possession » ; s’adressant aux prévenus : « Vous avez dit que vous l’avez trouvé dans la caisse ; or le gérant a déclaré que le limonadier était sur le comptoir ». « J’te jure sur la tête de mon père que la caisse elle était par terre ; j’ai arrêté les conneries », répond l’un d’eux. Dans son délibéré, il les envoie en taule dans la soirée : cinq mois pour le premier et huit mois assortis d’une interdiction de territoire de trois ans pour le second. Au pays des bouchons, c’est au décapsuleur que s’ouvrent les portes de prison.
Vol de sac dans le métro. L’affaire s’ouvre sur un joli malentendu. Le juge dit au prévenu : « Vous habitez au 115 rue … », qui rectifie illico : « Non, j’habite au 115 » – dans un foyer donc, au gré des places que les services d’urgence lui trouvent. Le gars est sans-papiers, il vend des cigarettes métro Barbès pour « payer [ses] médicaments ». Ses mains sont effectivement aussi jaunes que la CGT un soir de négociations. « Heureusement que la police patrouille en ville » – le président du tribunal dixit – car elle a repéré ce soir-là « deux individus au drôle de manège » (marchant sans tourner autour d’un axe et sans tonfa ?). Un type qui franchissait un tourniquet s’est fait tirer son sac. Le prévenu affirme que c’est l’autre gars repéré par les flics qui lui a refilé le sac trouvé sur lui. Dans le PV du civil qui a arrêté le prévenu, on lit : au moment de l‘interpellation, « la foule commençait à être hostile, elle encerclait [le flic] avec des intentions belliqueuses ». L’avocat du flic – absent à l’audience – dit à son sujet : « Il crie sa qualité pour figer la situation » car « le métro Barbès est une véritable poudrière pour les policiers ». Comme le précise l’avocate du prévenu, au moment de l’interpellation, le flic étant « revêtu de sa tenue bourgeoise », le prévenu s’est débattu. Dans la poche de l’homme aux multiples qualités, deux cents euros au titre du préjudice moral ; pour l’homme sans brassard, quatre mois ferme. Et un traitement au fer pour ses mains, au coucher.