vendredi 6 novembre 2009
Entretiens
posté à 15h14, par
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Alors que les auteurs d’un livre consacré aux « nouveaux militants » organisent un week-end de réflexion et de débat sur la question, un clown-activiste de la CIRCA - canal historique de l’action clownesque - a souhaité faire entendre sa voix. Une façon pour ce trouffion zélé de faire avancer les pendules et de s’assurer que les clowns ne sauraient être rangés dans une case.
Tu t’en es peut-être rendu compte : à A11, on aime la Brigade activiste des clowns (BAC). Tellement, même, qu’on t’en parle assez souvent. Par exemple quand les membres de la Brigade se piquent de brûler des livres dangereux à Beaubourg. Qu’ils décident de lancer une grande opération de tri des cerveaux pour soutenir la réforme universitaire de Valérie Pécresse. Ou encore qu’ils organisent leur propre célébrationdu 14 juillet, sur un mode joyeusement contestataire. Tu comprendras donc que dès qu’une occasion se présente d’évoquer à nouveau les actions aussi jubilatoires qu’efficaces de la BAC, on fonce. Comme ici, avec cette interview d’un clown-activiste de la CIRCA.
Un brin de contexte, d’abord. La CIRCA (Armée Clandestine des Clowns Insurgés et Rebelles) est née des manifestations anglaises contre la guerre en Irak, quand Blair et Bush marchaient main (sanglante) dans la main (sanglante), en 2003. Une armée de clowns imprévisibles, et pourtant très organisés (voir pour s’en convaincre ce bon article de John Jordan, alias Colonel Klepto, publié dans Vacarmes) a soudain envahi les manifestations contestataires, rivalisant d’imagination pour désarçonner les forces de l’ordre en semant la confusion. Dans No Logo, Naomi Klein décrit avec enthousiasme une action de ces joyeux clowns troublant l’ordre public, quand 10 000 militants prirent d’assaut une autoroute londonienne : « Deux personnes arborant des costumes de carnaval sophistiqués avaient pris place dix mètres au-dessus de la route, perchées sur des échafaudages recouverts d’immense jupes à cerceaux. La police, qui regardait sans intervenir, ignorait complètement que, sous les jupes, se trouvaient des guérilleros jardiniers équipés de marteaux-piqueurs et creusant des trous dans la chaussée pour planter des jeunes arbres dans l’asphalte. » Un tel mode opératoire ne pouvait qu’essaimer : la CIRCA a déclenché des vocations dans plusieurs pays. C’est ainsi qu’est née la BAC à Paris, en 2004.
Un brin de polémique, ensuite. Les clowns activistes sont souvent rangés dans la case « nouveaux militants », famille très vague réunissant tous ces collectifs qui prétendent dépasser le « militantisme à la papa », inventer de nouveaux modes d’action et (surtout) de médiatisation. Une classification où on retrouve notamment Jeudi Noir (contre le mal-logement), les Déboulonneurs (contre la pub), les Dégonflés (qui s’en prennent aux pneus des 4X4), Souriez vous êtes filmés, Génération Précaire, Sauvons les riches, la France qui se lève tôt, le Pavé en mousse ou l’Appel et la Pioche (contre les profits de la grande distribution). Des collectifs souvent accusés de faire passer l’efficacité médiatique avant l’efficacité tout court, quand ils ne sont pas soupçonnés de servir de plate-forme à des ambitions personnelles (voir cet article de CQFD, qui évoque notamment la création d’une « agence de conseil en mobilisation et communication pour ONG et organisations d’intérêt général » par deux dirigeants de Jeudi Noir).
Un livre très récemment publié, Un Nouvel Art de militer, bouquin consacré à ces « nouveaux » modes d’action1, remet l’accent sur le sujet. D’autant que ses auteurs organisent trois jours de débat et de réflexion, jusqu’à samedi au squat de La Petite Rockette. Les thèmes de l’un des ateliers prévus, Les collectifs : quelle place dans un combat pour un monde meilleur ?, a notamment fait réagir un clown activiste de la CIRCA (qui ne veut pas être pris pour un guignol). Il faut le comprendre : les questions - posées telles quelles dans le programme - le concernent directement. Il a donc souhaité donner son avis et répondre à quelques-unes d’entre elles.
L’humour, nouvelle arme de persuasion massive ?
L’humour peut être une arme de persuasion massive, mais elle n’est pas nouvelle. Je voudrais surtout faire remarquer que le clown activiste (en tous cas dans la lignée de la CIRCA) ne persuade pas, ni ne cherche à persuader. Il interpelle (ce qui lui évite de chercher) et tente de déconcerter. L’humour éventuel n’est alors pas une arme pour persuader, mais pour aller plus loin, faire plus dans l’action et éventuellement déstabiliser l’adversaire immédiat (forces de l’ordre) et non l’adversaire objectif (structure de pouvoir). On peut ainsi penser que nous n’aurions pas pu faire flotter notre drapeau sur l’école supérieure militaire de Saint-Cyr si nous n’étions pas clowns - c’est là un exemple parmi bien d’autres.
Bref, contrairement à plusieurs actions de Sauvons les Riches ou aux « manifestations de droite », les actions de la CIRCA sont rarement humoristiques, même si elles sont facétieuses. Et le clown activisme n’est pas de l’humour militant, mais plus sûrement de l’amour militant.
Peut-on sérieusement se battre en faisant le clown ?
Je ne fais pas le clown, je suis clown lors d’actions spécifiques. La nuance est importante.
Quand je suis clown activiste, participant d’une armée qui enfonce la Busherie au plus profond des fondements, je me bats pour notre suprématie mondiale et le fais avec le plus grand sérieux du monde.
Un clown peut-il faire rire et réfléchir à la fois ?
Sans doute comme saltimbanque, artiste de rue ou artiviste2, mais le clown activiste n’a vocation ni à faire rire (sinon les forces du désordre pour les désarmer), ni à faire réfléchir. Nous interpellons et laissons au public, adversaire ou autre, le soin de réfléchir par lui-même. Nous ne participons pas d’une pédagogie transmissive - comme lorsqu’on donne un tract ou mène une campagne d’information - mais d’une pseudo-pédagogie de l’interpellation (ou cognitive). En cela, nous sommes très différents des artivistes, qui vont tenter de faire réfléchir le spectateur en passant par l’art, lequel contiendra souvent le message.
Le rire est-il un aiguillon ou un écran pour la pensée ?
Quand il est provoqué par le clown activiste, le rire chez l’adversaire politique est souvent le signe d’une gêne vis-à-vis de sa position (rire jaune). Le rire entre nous nous soude mais nous déconcentre (rire rouge : lorsque nous devenons spectateurs et spectatrices de certainEs d’entre nous). Le rire du public est souvent un échec.
Il est donc un écran pour l’adversaire politique, une tentative dérisoire de bouclier brandi trop tard. Il ne reste plus, au public ou à une campagne militante, qu’à l’achever !
Les clowns ont-ils une idéologie ?
Les clowns sont des idéologues-nez !
Jusqu’où peut-on aller dans la désobéissance aux règles ?
Jusqu’où la justesse (faute d’une justice injuste) le nécessite. Je ne me positionne aucunement dans un cadre.
La violence envers des objets matériels est-elle déjà une violence ?
La réponse est dans la question !
Plus sérieusement : est-ce que la question a lieu d’être ? Non. D’abord parce que la violence est une manière d’agir, elle ne dépend donc pas de la cible mais du tireur. Et ensuite parce que la violence est perçue différemment selon les acteurs, d’où l’importance de se positionner collectivement sur le sujet.
Pour ma part, je ne considère pas violent de poinçonner les pneus d’un 4X4, d’un véhicule militaire ou d’un convoi nucléaire, mais de percer ledit pneu d’une balle. Je ne juge pas que ce soit faire preuve de violence que de détruire un cockpit d’avion à la masse (avec des précautions prises quant aux débris éventuels), alors que je pense que ça l’est d’exploser le même cockpit au bazooka. Surtout, j’estime qu’il est plus violent de couvrir les villes de panneaux publicitaires que de les démonter.
Peut-on être violent sur certaines actions et non-violent dans d’autres, désobéissant le week-end et respectueux de l’ordre établi le reste de la semaine ?
Les deux parties de la question se contredisent. Je vais donc y répondre de manière séparée.
Lorsque le choix de la non-violence est stratégique et non philosophique, l’utilisation de celle-ci dépend de son efficacité (ou non) et du choix assumé par le groupe. L’illustre bien la « déclaration de guerre » d’organisations mapuches au Chili, après l’échec de la non-violence dans les négociations pour la terre avec le gouvernement.
Par ailleurs, si la désobéissance porte sur un point particulier qui dérange dans la société, rien n’empêche de ne désobéir qu’en action. C’est par exemple le cas de nombreux faucheurs d’OGM. Beaucoup de gens séparent ainsi leurs vie professionnelle et familiale de leurs vies militantes ; En Grande-Bretagne, après la publication par le Guardian de fiches photos policières d’activistes, les protestations ont été nombreuses parce que les gens concernés craignaient d’apparaître comme des casseurs.
La désobéissance civile non-violente peut-elle se pratiquer à la carte ?
Il faut toujours avoir une carte et bien avoir fait des repérages avant de s’engager dans toute action directe non-violente, de désobéissance civile ou non… La carte UMP est même nécessaire pour approcher un ministre de nos jours, et la carte d’identité est plus que conseillée pour raccourcir le temps passé sur la case commissariat.
Un bon militant doit-il passer par la case commissariat ?
Non, mais le risque d’y passer croit tous les jours et la question va bientôt être : est-il possible de militer sans passer par la case commissariat ?
Une action où les flics se tiennent coi vaut-elle mieux qu’une action qui dégénère ?
L’attitude des flics n’a que rarement à voir avec l’action, mais le plus souvent avec des décisions de personnes absentes des lieux. C’est justement ce que perturbent parfois les clowns activistes avec leurs réactions imprévisibles. En tous les cas, je considère que je n’ai pas vocation, comme militant libertaire et clown activiste, à devenir martyr de la cause. Sans doute un moment de distraction au catéchisme qui m’empêche de tendre la joue…
Pourquoi cette vieille animosité envers les représentants des forces d’ordre ?
Quelle animosité ? Chez le clown activiste, il n’y en a pas. Nous sommes des adjuvants et adjudants des forces de l’ordre comme du désordre. Le clown est même une protection pour pas mal d’entre nous qui, en dehors de ces actions clownesques, auraient une fâcheuse tendance à se frotter à ces dites forces.
Les collectifs sont-ils réellement exempts de toute forme d’autorité ?
Tous les collectifs sont différents et nombreux sont ceux qui sont aussi hiérarchisés qu’une institution pyramidale classique. Certains sont menés d’une main ferme et dictatoriale, d’autres sont plus exempts d’autorité qu’ils ne le paraissent, ou tendent à une organisation horizontale pouvant être perturbée par l’implication variée des personnes le composant, ou évitent cet écueil en permettant à chacunE de s’impliquer selon ses possibilités. Bref : il y a autant de réponses à cette question que de collectifs.
Les collectifs, avant-garde ou garde-fou de la révolution ?
Ce n’est pas un collectif qui mène à la révolution mais l’ensemble des mouvements du mouvement des mouvements.
Commentez cette citation d’un militant autonome : « Les milieux militants sont le mouroir où viennent traditionnellement s’échouer tous les désirs de révolution. »3
Ce militant du milieu militant autonome serait-il en train de mourir ? N’a-t-il plus de désir de révolution ?
Les hommes politiques ont-ils leur place aux côtés des collectifs ?
Non. No comment…
Sert-il encore à quelque chose de marcher et s’égosiller dans les manifs ?
Tout sert tant qu’on s’y retrouve. Ce qui permet de gagner, c’est la diversité des tactiques.
Les collectifs font-ils trembler le pouvoir ?
Certains font reculer des pouvoirs et c’est ce qui importe à mon sens. Le but n’est pas de faire peur au pouvoir mais d’amoindrir celui-ci. On y arrivera d’autant plus que celui-ci n’en a pas peur.
Les collectifs font-ils partie de la société du spectacle ?
La société est spectacle et donc à moins de se mettre en marge de la société, c’est le cas. Même un ermite pourrait en faire partie.
Comment fédérer les luttes ? Et qui veut les fédérer vraiment ?
Elle sont fédérées, cela s’appelle le mouvement des mouvements qu’on inclut souvent dans l’altermondialisme. La seconde question renvoie souvent à des luttes internes entre mouvements, pas forcément de leur fait, d’ailleurs. Par exemple, malgré la mort de Carlo Giuliani au sommet de Gênes en 2001, la police italienne a très bien su monter les groupes en noir contre la manif déambulatoire alors que ces groupes (ainsi que les autres, avec des stratégies souvent intermédiaires) avaient bien fonctionné ensemble les années précédentes. De la même manière, des officines privées à la solde de marchands d’arme (dont British Aerospace devenu BAES) ont très bien su séparer les collectifs activistes et pacifistes des structures institutionnelles des droits de l’homme, en brandissant de probables violences auprès des secondes et infiltrant les premiers pour éviter une expansion de la contestation contre les salons d’armement en France (Eurosatory, Bourget et Milipol principalement). Il faut noter que les dissensions et des peurs au sein des collectifs, des intérêts personnels et sans doutes quelques autres paramètres les rendent souvent très vulnérables aux stratégies contrecarrant les convergences des luttes.
De toute façon, il apparaît souvent plus compliqué de fédérer des luttes que de les gagner. Pourquoi ne pas d’abord gagner les luttes avec des solidarités transversales ? On aura toujours le loisir de se fédérer dans la victoire : santé !
1 Aux éditions alternatives.

2 L’artiviste est l’artiste engagé qui inclut l’engagement dans son art ou l’activiste qui utilise l’art pour faire passer son message. Bref, il fait réfléchir. Et s’il le fait avec humour, ça peut faire rire et réfléchir à la fois.
3 Cette citation est en fait tirée de L’Insurrection qui vient.