jeudi 14 mai 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h04, par
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La crise ? Elle n’a rien changé. Comme si l’écroulement de l’économie financiarisée et l’indécence des cosmocrates n’invalidaient pas le discours d’une certaine gauche, qui prône l’acceptation du marché et de ses lois néo-libérales… Pour Laurent Joffrin, éternel chantre de la « modernisation » de la gauche, il est toujours aussi urgent de dénoncer la gauche « dogmatique ». Ridicule.
La radio libre FPP m’a gentiment proposé de faire une petite chronique hebdomadaire, le jeudi à 12 h 30. Comme je ne recule devant rien, je vous la copie-colle ici. Hop !
Il m’est arrivé un drôle de truc ce matin, il faut que je vous le raconte.
Je me lève, l’esprit embrumé, encore un brin alcoolisé.
Je baille à répétition.
Je me dirige vers la cuisine.
J’ouvre la porte.
Je rentre dans la pièce sans trop faire attention.
Je sens une présence.
Je tourne le regard, étonné et surpris.
Et je vois un mec, installé dans ma poubelle.
Un gars portant une redingote et une grande barbe blanche, affichant un visage qui me dit quelque chose et l’air pas trop content d’être là, avec les genoux dépassant à moitié de la poubelle et assis sur un fond d’épluchure de pommes de terre.
Je me frotte les yeux.
Me dis qu’il faut vraiment que j’arrête de boire, il est encore temps.
Détourne le regard avant de le ramener sur ce coin de la pièce.
Mais rien à faire : le mec est toujours là, barbe blanche, poubelle, redingote, allure mécontente, genoux en carafe.
On se regarde sans rien dire.
Et puis, il me sort : tu veux pas m’aider, camarade ?
Je lui tends la main, l’aide à sortir de là.
Et lui fait comme si de rien n’était, comme si c’était normal de débarquer dans la cuisine de quelqu’un et de s’installer dans sa poubelle, faut pas s’étonner, ce sont des choses qui arrivent…
J’ai fini par retrouver l’usage de la parole et il m’a tout expliqué autour d’un café, pourquoi la poubelle, comment ma cuisine, etc.
Accrochez-vous, parce que ça ne va pas vraiment être facile à suivre.
De un, le gus n’en est pas un. C’est un grand monsieur. Enfin… c’était. Pour être clair, même si ça va pas l’être tout à fait, c’est l’esprit de Karl Marx, son ectoplasme. Un revenant, quoi, et pas n’importe lequel : l’auteur du Capital et du Manifeste du Parti communiste. Dans ma poubelle à moi ! J’étais flatté.
De deux, ce bon vieux Karl a débarqué chez moi par inadvertance, après avoir été sorti de son grand sommeil réparateur et bien mérité par une main funeste venu lui chatouiller les petons et le tirer par les pieds. En clair : une force invisible l’a contraint à venir passer quelques heures sur terre. Il m’a confié que ça arrivait souvent.
De trois, il y a eu une erreur d’aiguillage quelque part, les forces occultes qui président ce monde peuvent aussi se tromper. Ce n’est pas dans ma poubelle que le barbu communiste devait atterrir, mais dans celle d’un autre grand barbu devant l’éternel, Laurent Joffrin, le grand chef ridicule et si imbus de lui-même de Libération.
De quatre, le plan a raté pour cette fois, mais ce n’est que partie remise. Le plan ? C’était que Laurent Joffrin, social-traître d’élite qui ne cesse de vanter les mérites du marché et de fustiger tout ce qui ne relève pas de la gauche molle et de la droite réformiste, débarque dans sa cuisine au petit matin, tombe sur Marx assis dans sa poubelle, ne résiste pas à cette vision dont l’horreur pour lui serait encore accrue par quelques mots négligemment lâchés par ce bon vieux Karl, Prolétaires de tous les pays, unissez-vous, et en fasse une attaque.
De cinq, l’idée n’était pas que Laurent Joffrin en meure, mais simplement que sa santé mentale s’en trouve encore plus entamée qu’aujourd’hui.
De six, le plan ne reposait pas seulement sur les épaules de Marx. Après Karl dans la poubelle de sa cuisine, Laurent aurait dû tomber sur Bakounine dans ses chiottes demain, Jaurès dans son débarras samedi et Kropotkine sous son paillasson dimanche.
De sept, il s’agissait de faire payer à Joffrin vingt ans de braillements en faveur du marché, et autant de temps passés à vagir pour que la gauche se modernise, abdiquant ses pseudos archaïsme façon lutte des classes ou nécessité de la révolution.
De huit, c’est un énième papier du sieur Joffrin, article intitulé « La grande intox de la gauche doctrinaire » et paru il y a quelques jours, recension d’un livre tout juste publié, La Gauche devant l’histoire, qui a mis le feu aux poudres.
De neuf, ce papier commençait sur ces mots très inspirés - « Saint Jaurès, délivrez-nous de la gauche doctrinaire ! » - et prenait prétexte du livre pour dévider sur une demi-page les hantises du barbichu Joffrin, celles d’une politique réellement ancrée à gauche qui ne reconnaisse pas le pouvoir des actionnaires, n’accepte pas la richesse exubérante de quelques privilégiés et ne souhaite pas libérer l’entreprise pour la mettre au cœur de la société.
De dix, il faut insister sur le contexte : l’économie financiarisée s’écroule, le système néo-libéral se casse la binette à force d’avidité et d’irresponsabilité, les grands patrons se comportent comme des loufiats de bas-étage pressés d’engranger encore davantage de menu monnaie avant que les ruines ne s’enflamment définitivement, et surtout - surtout - l’échec absolu d’un marché qui a été porté aux nues pendant trente ans est désormais évident aux yeux de tous.
De onze, on en est là, une économie en ruine et une lutte des classes qui n’a jamais été autant d’actualité, et Laurent Joffrin, big boss d’un journal qui se prétend de gauche mais porte ses testicules à droite, Laurent Joffrin, donc, commet une demi-page d’insanité pour dire combien il est important de ne pas tomber dans la tentation de la gauche dure ou radicale : on croit rêver…
Voilà toute l’histoire.
Je ne sais pas si vous avez suivi, moi-même j’ai eu un peu de mal au début1.
Mais une fois que ça s’est éclairci, j’ai souri à Karl.
Je lui ai donné une tape sur l’épaule.
Et je lui ai filé l’adresse de Laurent Joffrin.
La bonne.
1 A ma décharge, Lémi me signale que« je ne suis pas le seul à m’embarquer dans des histoires bizarres prenant pour thème la résurrection de Marx ». Et m’indique que le grand Howard Zinn en personne l’a fait - avec cent mille fois plus de classe, bien entendu - en publiant une pièce de théâtre, Marx in Soho (Traduite et publiée en français, sous le nom de Karl Marx le retour aux éditions Agone). Voici ce que Zinn en disait : « Je voulais montrer Marx furieux que ses conceptions eussent été déformées jusqu’à s’identifier aux cruautés staliniennes. Je pensais nécessaire de sauver Marx non seulement de ces pseudo-communistes qui avaient installé l’empire de la répression, mais aussi de ces écrivains et politiciens de l’Ouest qui s’extasiaient désormais sur le triomphe du capitalisme. Je souhaite que cette pièce n’éclaire pas seulement Marx et son temps, mais également notre époque et la place que nous y tenons. »