lundi 11 janvier 2010
Le Charançon Libéré
posté à 10h23, par
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Pour faire barrage à ces hordes mahométanes cachant leur figure et leur soif de mettre à bas le monde libre sous d’opaques tissus, un homme, un seul : Jean-François Copé. Courageux, téméraire voire intrépide, vive incarnation de l’esprit des Lumières aussi, l’homme n’a pas hésité à affronter une porteuse de burqa sous l’œil des caméras. Un combat épique, comme l’époque.
D’ordinaire (déjà), les voies de la communication politique sont très pénétrables.
Mais en nos temps de trouble médiocrité, lesdites voies se muent carrément en autoroutes.
Et il faut voir les ténors de la majorité emprunter gaillardement ces vastes rubans d’asphalte, accélérateur en coin et sur fond de grossiers roulements de tambour, pour comprendre combien le culot des hommes de pouvoir a désormais atteint des hauteurs stratosphériques, tout autant que leur mépris pour ceux dont ils se prétendent les représentants.
Je te l’accorde, rien de très neuf en cela - la communication n’a jamais été autre chose que la capacité à prendre (plus ou moins subtilement) ses interlocuteurs pour des cons.
Mais le phénomène a pris de telles proportions que le défunt Joseph Goebbels, publicitaire prospère s’il en fut, en resterait muet, transi d’admiration et même un peu jaloux.
Et il faut rendre gré à l’époque d’avoir donné de nouvelles lettres de noblesse au terme « propagande ».
C’est déjà ça.
Au petit jeu du « je-prends-les-gens-pour-des-cons-en-leur-montrant-qu’ils-le-sont », plusieurs participants se haussent du col pour s’attirer les faveurs des crétins.
Et cette âpre et rude compétition les voit se passer le relais, défilant à la tribune en un ballet parfaitement déréglé et ne se reconnaissant qu’une seule loi, sinon celle des egos : pas de temps mort.
En sorte que si le spectacle ne cesse jamais, il varie en qualité et intensité, au gré des coups d’éclat et inspirations personnelles, des baisses de rythme et inégalités de talent.
Pis que la météo…
Au baromètre du jour, le très ambitieux Jean-François Copé se trouve ces temps-ci en pleine grâce, voire carrément en lévitation.
Multipliant les prises de position et coups médiatiques gagnants.
Et surfant sur un contexte très favorable, entre l’usure de ceux au pouvoir (camarades de parti et pourtant adversaires), la sortie d’un livre consacré à sa présidentielle ambition, Copé, l’homme pressé, et les justes bénéfices d’une brillante stratégie politique mêlant surenchère et contre-feux, tactique consistant à souffler dans le sens du vent tout en se l’appropriant à son profit.
C’est un art.
Cette tactique qu’il maîtrise à la perfection, Jean-François l’a mise en branle à propos de la burqa.
Et le Rastignac de l’UMP - Élysée, à nous deux ! - n’a jamais été aussi bon que depuis qu’il a repris à son compte l’hystérie identitaire sur le sujet, feignant de poser les questions dans les médias pour mieux donner les réponses à l’Assemblée nationale, super VRP d’une loi qui sera examinée en avril et de laquelle il compte bien tirer de très durables et savoureux marrons.
Copé est partout, donc.
Agite sans cesse le rouge chiffon de l’habit noir, jusqu’à dire sa crainte que « la burqa devienne du dernier chic », comme si les boutiques de l’avenue Montaigne attendaient la première occasion pour inonder la mode occidentale de prêt-à-porter salafisto-compatible…
Et s’ingénie à apparaître comme le dernier rempart législatif face au déferlement islamiste, ultime sauveur apte « à apporter une réponse très rapide à une situation extrêmement grave ».
Il est notre Charles Martel parlementaire, enfin.
Après lui, le déluge, les ténèbres et l’obscurantisme, pour les siècles des siècles.
En cette médiatique guerre, sécuritaire autant que fratricide, le bouillant Jean-François, épée au côté et cor prêt à sonner, vient de marquer un point décisif, réussissant l’un de ces coup de communication indécents dont Nicolas Sarkozy s’était fait le spécialiste.
La chose s’est - comme de juste - jouée à la télévision, samedi soir, dans Salut les terriens !, sur Canal +.
Et il n’est sûrement pas anodin que ce soit dans une émission de Thierry Ardisson, qui se pique de faire parler les acteurs de la supposée grande histoire de leurs petites affaires.
Lequel animateur n’a pas dû se poser trop de questions quand s’est faite jour l’idée de personnifier l’affrontement entre les lumières et l’obscurantisme.
De mettre en scène l’ultime combat entre le bien (occidental) et le mal (mahométan).
De symboliser, enfin, le sanglant corps-à-corps que le monde libre livre aux musulmanes forces du Mordor.
Adonques : à ma droite (forcément…), Jean-François Copé ; à ma gauche, Dalila, jeune femme de 22 ans venue revendiquer le port de la burqa.
Entre les deux, une autoroute.
Celle des plans serrés de la caméra sur le regard enserré en la burqa de la jeune femme et sur celui faussement désolé - visage qui n’a jamais eu autant d’aisance à se faire passer pour franc et honnête - de son interlocuteur.
Celle d’un faux débat où l’homme politique se voit offrir sur un plateau cette image de preux combattant de la République qu’il a tant besoin d’incarner.
Celle d’un prétendu antagonisme où une question faussement polémique1 se donne l’allure d’un conflit de civilisation.
Juge donc :
Ardisson a offert un très joli cadeau à Copé.
Tout autant qu’il se l’est donné à lui-même : « Salut les terriens ! a obtenu lors de cette émission sa plus forte audience depuis son lancement, voilà trois ans. Plus de 1,3 million de téléspectateurs, soit 6,5 % de part de marché, ont suivi ce face-à-face. Preuve que ce débat passionne les Français », écrit France Soir.
Bingo !
L’animateur-publicitaire et le politique-publicitaire ont tout à gagner - évidemment - d’une telle mise en scène.
Et ce n’est qu’une maigre consolation que de savoir qu’un jour, peut-être, ces incendiaires de l’esprit public seront punis comme ils le méritent.
« C’est très difficile de parler avec quelqu’un dont on ne voit pas le visage », déclare Jean-François Copé à la fin de la vidéo.
Il faut avouer que le meneur des députés UMP a cet avantage sur Dalila : il avance à visage découvert.