ARTICLE11
 
 

mercredi 2 septembre 2009

Le Charançon Libéré

posté à 11h31, par JBB
12 commentaires

Modeler le monde à sa mesure, et puis se goinfrer, se goinfrer, se goinfrer…
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Hier, le paquet fiscal ; aujourd’hui, la suppression du juge d’instruction ; le régime a ceci de remarquable que jamais il ne rechigne aux plus culottées des combines pour améliorer son ordinaire, déjà si plantureux et abondant. Lui s’empiffre toujours plus, arrangeant le monde à sa sauce et se jouant de ces lois et règles qui te contraignent. Pour lui, la grande bouffe ; pour toi, régime minceur.

Pour nous autres, gens de peu et citoyens ordinaires, il est une chose un brin déprimante et horripilante, voire carrément chiante.

Et qui n’a d’autre but que de nous rappeler combien le monde est triste, gris et morne, et qu’il le restera toujours et à jamais.

Une porte fermée, une cage enclose, l’impossibilité de s’élancer et de s’envoler, les vicissitudes de la vie et toutes ces sortes de chose, la pesanteur partout et cette longue liste d’actions interdites, impossibles, illégales.

Toutes regroupées - appelons cela ainsi mais tu peux lui donner un autre nom si tu préfères - sous le vocable « principe de réalité ».

Celui-là même pour lequel tu acceptes de ratiboiser ta liberté, parce qu’il faut bien sacrifier au vivre-ensemble.

Celui-là aussi pour lequel tu consens à courber l’échine et à tolérer lois ou forces de l’ordre, puisque que tu n’as d’autre choix et qu’une prétendue majorité s’en accommode fort bien.

Celui-là enfin pour lequel tu ranges tes rêves et utopie au placard, puisque la société ne s’alimente que de tristesse et grisaille, de froid pragmatisme et de minuscules ambitions, d’un désespérant quotidien et d’une banalité si bien réglée que tu pourrais rentrer, encore et encore, dans toutes ces petites cases dessinées juste pour toi, une après l’autre, encore une, encore une, et toujours ce même carré en lequel te plier et te taire.

Tout cela, tu l’as intégré - plus ou moins, mais intégré quand même.

De ton indépendance et liberté, tu as fait ton deuil.

Au civisme, fier étendard agité dès l’école primaire, tu t’es plié.

Et toujours tu as gardé dans le coin de ton esprit - pas d’autre possibilité, c’est ce qu’on t’a toujours matraqué, enseigné et biberonné - que jamais le monde tu ne façonnerais à ta mesure, qu’il te faudrait en rabattre sur tes prétentions et illusions, que tu allais te plier dans le moule, vivre bêtement, et puis mourir.

Ça vaut pour toi, pour moi aussi.

Pour eux tous, enfin, mais à l’exception de quelques-uns.

Tant il en est, hommes dirigeant le navire, qui s’exonèrent de ces lois et règles prétendument imposées à tous.

Qui se jouent de ces convenances et usages, lesquels leur ont pourtant donné cet immense pouvoir qu’ils exercent sur nous.

Et qui changent les règles à leur convenance, modelant ce monde à leur guise pour en cueillir tous les fruits.

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Là est notre drame, finalement : alors même que ceux agitant le drapeau de l’utopie ne cessent d’être rappelés aux froids principes de la réalité, les quelques-uns au pouvoir qui les combattent le plus férocement s’arrogent ce plaisant destin de jouir de la vie sans répondre de nos lois.

Ils se goinfrent, sereinement.

Ils se goinfrent, littéralement.

Ils se goinfrent.

Et pis : pour peu que le couvert leur semble un poil mal dressé, la table - pourtant débordante de victuailles - pas assez abondante ou le festin trop chiche à l’aune de leur incroyable appétit, ces quelques-uns claquent du doigt, engueulent les serveurs, changent le menu, exigent le double de nourriture, l’obtiennent, ne payent pas l’addition, se déboutonnent et finissent leur repas - jamais vraiment terminé, pourtant - en nous rotant bruyamment au visage, à peine satisfaits et déjà pressés de remettre ça.

Et nous qui les regardons baffrer, nous silencieux et besognant, nous sans cesse encadrés par les flics et par les lois, nous qui avons consenti à rester moutons toute notre vie, nous les seuls à croire encore à quelque idéal ou joli principe, nous honnêtes gens et gentils rêveurs qui avons mis en cage notre liberté parce qu’on nous a répété sur tous les tons que la démocratie était le plus beau combat mené par nos ancêtres, nous, donc, faisons forces courbettes en passant une serviette chaude sur le visage de ces ventripotents convives, même humbles et désolés parce qu’ils n’ont pas l’air si joyeux que ça de s’être tant empiffrés.

Hier, ils ont dévoré leur plantureux repas habituel, puis commandé en sus un rab fiscal, s’envoyant derrière la cravate une dizaine de milliards d’euros d’exonérations, cadeau fait aux riches et aux puissants ; mais, ils n’étaient pas rassasiés encore.

Aujourd’hui, ils dévorent leur plantureux repas habituel, puis commandent en sus un supplément judiciaire, engloutissant les plus élémentaires règles de droit, détricotant la justice et supprimant les rares pouvoirs pouvant encore freiner leur appétit, à commencer par ce juge d’instruction aux enquêtes (quelquefois) si gênantes ; mais ils ne sont pas rassasiés encore.

Demain, ils dévoreront leur plantureux repas habituel, puis commanderont en sus le peu qu’il restera et tout ce qu’il leur plaira, la vie n’est qu’un immense banquet et rien ne s’oppose à la plus indécente des gloutonneries ; mais tu verras qu’ils ne seront pas rassasiés, encore.

Eux mangent, nous servons.

Eux modèlent le monde, nous le subissons.

Et je ne voudrais pas paraître pessimiste, mais tu sais quoi ?

Ton régime minceur ne fait que commencer.


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 2 septembre 2009 à 11h53, par yelrah

    Prédateurs déséquilibrés, qui ne peuvent plus comme au bon temps des colonies dévorer à l’extérieur se retournent sur leurs propres populations...

    Socièté autophage, intenable à terme, comme si un groupe électrogène fournissait plus d’énergie qu’il n’en consomme ...



  • mercredi 2 septembre 2009 à 16h01, par Le Joker

    Alors qu’il suffirait de ne plus utiliser leur monnaie pour qu’ils n’aient plus prise sur nos vies...
    Jetez un coup d’oeuil par là : http://www.flowplace.org/

    • mercredi 2 septembre 2009 à 18h10, par JBB

      Oui, ça serait chouette.

      Malheureusement, je ne crois guère à la généralisation de cette bonne idée, trop de gens n’en ont cure. A moins d’un écroulement massif de l’économie et de la finance, qui remettrait sur le devant de la scène d’autres façons d’échanger et de vivre ; à l’image de ce qui s’est passé en Argentine après la faillite de 2001.



  • mercredi 2 septembre 2009 à 17h33, par jediraismêmeplus

    Merci, c’est exactement ça. On peut ajouter-mais la liste est longue- les délits de refus de fichage ADN qui se présentent comme ça :

    « En l’espace de 6 ans un arsenal de lois à permis d’étendre le fichage, non seulement aux violeurs et aux terroristes, mais également à la petite et moyenne délinquance, aux militants politique et syndicaux, le fichage ADN. La seule exception notoire concerne l’ensemble des délits financiers (fraude fiscale, abus de bien public). »

    Mais bon, tout ça reste le résultat d’un rapport de force devenu complètement déséquilibré, dont le camp vainqueur profite à fond.

    • Oui, tout est question de rapports de force. Pour l’instant, ils ont les mains libres et peuvent faire passer ce qu’ils veulent, en dépit des protestations. Je pensais que septembre allait voir ce rapport changer, je n’en suis plus aussi sûr…

      • mercredi 2 septembre 2009 à 20h23, par jediraismêmeplus

        « Xavier Mathieu, délégué CGT de Continental à Clairoix s’en est violemment pris au leader de son organisation, lundi matin (17 aout), sur France Info. »La CGT, on les a pas vus. Les Thibault et compagnie, c’est juste bon qu’à frayer avec le gouvernement, à calmer les bases. Ils servent juste qu’à ça, toute cette racaille« , a déclaré Xavier Mathieu. »

        « Le leader cégétiste de Clairoix avait ensuite maintenu ses propos, retirant le terme de »racaille« , »trop sarkozyste« selon lui, au profit de celui de »parasites".
        Dans leurs interventions, les membres du CCN - le parlement de la CGT - ont « condamné unanimement » ces propos, estimant notamment qu’ils s’adressaient « à toute la direction de la CGT », "

        C’est une bonne partie du problème....



  • mercredi 2 septembre 2009 à 19h04, par wuwei

    « Pour nous autres, gens de peu et citoyens ordinaires »

    Pourquoi Article XI n’est pas invité à l’université d’été du MEDEF avec les 15 ministres croupions du roitelet et Chery Blair ?

    Goinfre : mot obscur (normal nous vivons des temps d’une rare noirceur) croisement de gouin, « débauchée » puis « homosexuelle » et d’un mot exprimant la gourmandise tel que bâfrer. Le Robert étymologique

    J’en connais qui ont eu un procès de Morano et du Kosy pour bien moins que ça !



  • jeudi 10 septembre 2009 à 11h19, par pièce détachée

    @ wuwei :

    Eh ? Des gouinefresses ? Qu’on me corrige si je me trompe, mais ’étymologie de goinfre semble vraiment très, très incertaine. Le Grand Robert en papier donne comme première attestation gouinfre, « gueux affamé » (1596), et ne se prononce pas sur l’origine du mot. Le CNTRL donne : goinfre, gouinfre, « joyeux compagnon, libertin, gros mangeur » (1611). Rien de certain ni de catégorique non plus. Quant à gouin, Littré le définit par « matelot de mauvaise tenue ». L’hypothèse gouin + fre sous l’influence de « bâfrer » — pourquoi pas goinffe < gouin + ffe sous l’influence de « bouffer » ? — fait penser à ces assemblages arbitraires, ni chair ni poisson, que font les lexicographes quand ils ne savent pas en quel sens agencer les pièces de leur Lego (je ne leur jette pas la pierre ; la lexicographie, c’est comme une drogue : une fois qu’on y a touché...)

    Morano + Carlier ? Vision d’enfer ! L’horreur pornographique absolue ! Pitié, je vais vomir !

    Le billet de JBB est tellement bien qu’il est à lui-même son propre commentaire le plus adéquat. C’est bien reposant, ma foi.

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