mercredi 9 février 2011
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posté à 22h00, par
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Pour qui cherche à décrypter les évolutions urbaines d’une société à deux vitesses, Grenoble est une très bonne cliente. C’est que la dame à la cuvette ne fait pas les choses à moitié : la ville se transforme à vitesse grand V en exemple type de technopole déshumanisée et investit à grand bruit dans les nouvelles technologies en délaissant sans scrupules les plus démunis. Analyse.
Il y a bientôt un demi-siècle, Grenoble apparaissait aux yeux des urbanistes, des architectes, des sociologues et de nombre de militants de gauche ralliés aux thèses autogestionnaires comme le berceau prometteur d’un « socialisme à visage urbain1 ». Hubert Dubedout, le maire, et les membres de son équipe, issus pour la plupart des Groupes d’action municipaux et formés par l’Adels2, avaient entrepris de faire de la ville un modèle alternatif à l’urbanisme technocratique et fonctionnaliste. Celui-ci constituait alors la règle dans les agglomérations que l’État, relayé par les DDE3, s’employait à « aménager » sous le signe de la modernité. Soit la réhabilitation de Très Cloître, un vieux quartier du centre, avec maintien de la population sur place, la promotion des Unions de quartier pour favoriser la participation des habitants à l’élaboration et la mise en œuvre de la politique urbaine, la création à la périphérie de Grenoble et d’Échirolles de La Villeneuve, avec son quartier emblématique, l’Arlequin, où seraient appliqués les principes cardinaux d’un urbanisme qualifié alors de progressiste - voire révolutionnaire : mixité sociale, équipements intégrés, priorité aux espaces publics.
Les années ont passé. La municipalité socialiste de Hubert Dubedout a laissé la place à celle de droite, nettement affairiste, dirigée par Alain Carignon, un pur produit de la Chambre de commerce. Lequel cédera à son tour le fauteuil à un maire inscrit au PS, l’ingénieur nucléaire Michel Destot. Qu’est devenue aujourd’hui la ville ? Qu’adviendra-t-il d’elle demain ? À entendre les discours des édiles, à lire les brochures et les plaquettes publicitaires émanant de l’Hôtel de Ville, auxquelles font écho les articles publiés dans la presse locale, Le Dauphiné libéré en tête, Grenoble serait plus que jamais un laboratoire urbain. Mais ce qui y est maintenant testé in vivo, le monde futur dont il serait la préfiguration, n’a plus grand chose à voir avec l’utopie urbaine en gestation de l’ère Dubedout. Les opérations phares, réalisées ou en projet, dont s’enorgueillit la municipalité s’inscrivent dans une tout autre perspective, même si les forces sociales en constituant le socle sociologique n’ont, elles, guère changé : celles que l’on appelait jadis les nouvelles couches moyennes (ingénieurs, cadres, techniciens, enseignants, chercheurs…) et que l’on pourrait regrouper aujourd’hui sous le label d’une petite bourgeoisie intellectuelle résolument décidée, désormais, à faire fructifier ses capitaux scolaires et culturels au service de l’ordre établi. À Grenoble comme ailleurs, l’abandon par cette dernière des idéaux contestataires d’antan et son ralliement à une vision gestionnaire de l’ordre des choses existant, mâtinée ici et là de préoccupations écologiques, ont eu pour effet d’imprimer un tour nouveau à la politique de développement et d’aménagement.
À l’instar de ce que l’on peut observer dans les villes rivales de l’hexagone (Lille, Strasbourg, Nantes, Toulouse, Montpellier…), deux termes reviennent comme une antienne dans les discours des acteurs locaux chargés de la promotion de Grenoble et de sa région urbaine : « technopole » et « métropole ». Mais à Grenoble, peut-être plus qu’ailleurs, leur signification est imprégnée d’une idéologie techno-scientiste, qui se matérialise dans des équipements, des installations, des bâtiments totalement décontextualisés au regard de l’histoire sociale de la ville et de son environnement naturel. Hautes technologies, hautes qualifications, hauts revenus, équipements haut de gamme, haute qualité environnementale : ces appellations valorisantes, à fort rendement publicitaire, indiquent bien le caractère élitiste de la politique urbaine menée aujourd’hui. Comme si la « ville du futur » qu’elle est censée faire éclore se trouvait - pour ainsi dire - en lévitation au-dessus de l’espace social réel, accroissant ainsi, aux plans physique et symbolique, la distance entre « la France d’en haut », pour paraphraser l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et la « France d’en bas ». Autrement dit, dans le cas grenoblois, l’écart entre le pouvoir local et les sans-pouvoirs.
Les acronymes désignant les hauts lieux du social-futurisme grenoblois témoignent déjà, à eux seuls, de cette propension à la déterritorialisation : CEA4, MINATEC, ILL (Institut Laue-Langevin), SRTelcetronics, GIANT (Grenoble Isère Alpes NanoTechnologies)… Présenté comme un MIT5 à la française, ce dernier pôle est censé « requalifier en le densifiant et le diversifiant » le polygone scientifique établi sur la presqu’île formée par la jonction de l’Isère et du Drac. Il faisait suite à Europole, lancé sous le règne de d’Alain Carignon pour « élargir et dynamiser le centre-ville », avec son… World Trade Center, dont les abords aseptisés restent déserts de jour comme de nuit, été comme hiver, sauf aux brefs moments où les employés gagnent leurs bureaux ou rentrent chez eux. Mentionnons encore l’« écoquartier » Caserne Bonne, sorti récemment de terre avec la caution des élus Verts et aménagé sur un ancienne friche militaire : son hôtel quatre étoiles, ses appartements de standing HQE, sa luxueuse galerie commerciale ouvrant sur des cafés-restaurants en balcon, bordés de pelouses tirées au cordeau et de plans ou de jets d’eau, ne s’adressent visiblement pas à la partie la plus défavorisée de la population.
Mais l’élite néo-petite bourgeoise grenobloise voit grand : ces prestigieuses réalisations prendront place au sein du Sillon alpin, gigantesque conurbation planifiée de plus de deux cents kilomètres de long qui saccagera l’environnement pour assurer « une continuité urbaine » entre Genève et Valence, via Annecy, Chambéry et Grenoble. « Sillon alpin, un capital espace à gérer autrement », claironnent les élus locaux acteurs du projet. Un vocabulaire en pure novlangue managériale, célébrant par avance les méfaits de ces gestionnaires pour qui un pays est un espace, et cet espace un capital à faire fructifier.
Grenoble duopole
« La Villeneuve, c’est la technopole », pouvait-on lire sur un site consacré au démontage critique du « laboratoire grenoblois »6, peu après que ce quartier eût défrayé, au cours de l’été 2010, la chronique des « violences urbaines » à la suite d’échauffourées avec la police. Elles avaient été provoquées par le meurtre sur place d’un jeune braqueur, résidant du quartier poursuivi par les forces de l’ordre, et suivies d’un discours « musclé » du président de la République venu promettre une accentuation de la répression contre les délinquants - discours auquel le maire de Grenoble fera écho en réclamant un « Grenelle de la sécurité urbaine ». Au-delà des affrontements, en un quartier populaire placé en état de siège, se livrait « une bataille d’image cruciale pour le techno-gratin local si attaché à développer l’“attractivité du territoire” »7. La rébellion des jeunes de la Villeneuve jetait, en effet, un pavé dans la vitrine urbaine high tech grenobloise. Le quotidien Le Monde le révélait à la France entière : « L’image de la “ capitale des Alpes” écornée »8. Ces « racailleux » furieux, brûlant des voitures et tirant sur les policiers, avaient mis à mal le rêve d’une technopole en expansion, peuplée de jeunes gens modernes, performants et bien rémunérés - mythe d’une ville « de pointe » édifié sur la liaison recherche-université-industrie. Une ville excluante, aussi.
Ce que l’élite locale prend bien soin de dissimuler pour décrocher le label « Pôle de compétitivité mondial », c’est la place de ceux qui ne s’adaptent pas assez vite à « un monde en mutation ». Les 15 000 habitants de La Villeneuve, déjà largement convertie par la municipalité de droite précédente en dépotoir des laissés pour compte de la modernisation - les locataires plus fortunés fuyant vers les lotissements de maisons individuelles des communes résidentielles -, n’ont pas le profil technopolitain. Celui des « ICT » (ingénieurs-cadres-techniciens) qui « cultivent la foi dans le Progrès, la dénégation de ce que cela implique et la bien-pensance autosatisfaite. Il fallait mettre à part les autres, si possible loin du centre-ville où prolifèrent et prospèrent désormais les vendeurs de vêtements de luxe, les tenancières de “spas”, les “créatifs“... Ce Grenoble-là a pointé sous Carignon, puis s’est épanoui avec Destot. Et chacun, parmi les 20 % d’actifs grenoblois qui travaillent dans les laboratoires, les établissements d’enseignement supérieur et les industries avancées, de faire semblant d’ignorer l’existence des “en dehors” »9. L’exemple, il est vrai, venait de haut : « Je préfère gérer les problèmes de riches plutôt que les problèmes de pauvres », avait publiquement fait savoir le maire, Michel Destot10. Tel un retour du refoulé, voilà qu’une partie de la progéniture de ces exclus du droit à la ville ont montré que les « problèmes de pauvres » pouvaient parfois concerner aussi les riches.
Il existe une différenciation socio-spatiale très nette au sein de l’agglomération grenobloise, entre une « aristocratie du savoir » scolairement dotée, bénéficiant d’emplois stables et de salaires élevés, et des « personnels de services » voués aux tâches subalternes, aux bas salaires et à la précarité ; eux sont les soutiers de la technopole. À cet égard, les « émeutes » de la Villeneuve en juillet 2010 ne sauraient faire oublier que l’existence d’un important « volant de main d’œuvre » à la recherche d’un emploi n’a pas que des inconvénients pour les « riches ». C’est dans l’armée des jeunes sans qualification que puisent, entre autres, les hôteliers, les restaurateurs ou les entreprises de nettoyage. Même les administrations n’hésitent pas, en matière de recrutement, à recourir aux contrats à durée déterminée ou au travail à temps partiel pour garnir les postes dévalorisés concourant à la bonne marche de la technopole et au bien-être des technopolitains. Dans l’aire urbaine grenobloise, comme dans les autres métropoles prétendant à l’« excellence urbaine », les habitants ne sont pas tous logés à la même enseigne, fût-elle « high tech, durable et solidaire ». À l’échelle de la ville comme de la société toute entière, des inégalités multiformes séparent les « grosses têtes » des « gros bras » ou des « petites mains ».
Comment, dès lors, « renforcer la cohésion sociale et urbaine », pour reprendre la formulation adoptée par l’Association des maires des grandes villes de France, réunie en conclave en septembre 2010 à la demande de son président Michel Destot ? La présence des maires parmi les plus sécuritaires de l’hexagone ou du criminologue de choc Alain Bauer laisse deviner la marche à suivre pour garantir « la sécurité, première des solidarités », comme se plaît à la ressasser Destot. Le « modèle urbain » auquel le maire de Grenoble aime à se référer suffira à en résumer la philosophie : celui-ci avoue « regarder attentivement l’expérience de Singapour ». La cité informatisée totalitaire où chacun est sommé de se comporter en fourmi numérique sous contrôle et surveillance permanents. Gageons que les nanotechnologies et les implants numériques pour manipuler les cerveaux, issus des laboratoires grenoblois de Minatec, y pourvoiront dans la métropole rhône-alpine. On l’aura compris : « technopolis », c’est aussi « technopolice ».
POST SCRiPTUM / Réponses en vrac à des accusation gratinées
Voilà me que mon topo sur le « laboratoire urbain » grenoblois me vaut un tir groupé de représailles de la part de trois grenoblois en furie. Si j’étais parano, ce dont m’accuse l’un d’entre eux, je soupçonnerais moi-même ces trois signatures d’émaner de la cellule de com’ du maire, Michel Destot, voire de ne renvoyer qu’à un seul de ses employés, particulièrement zélé ou télécommandé. Quoi qu’il en soit, je me vois dans l’obligation morale, non vis-à-vis d’eux (ou de lui), mais des lecteurs d’Article 11, de répondre, mais le plus brièvement possible pour ne pas leur faire perdre trop de temps ainsi que le mien.
Afin de rendre plus aisée la lecture cette échange de vues (ou de coups), j’ai entrelardé la prose de mes contradicteurs de mes commentaires mis entre crochets12.
Article affligeant dans son approche caricaturale qui tend à systématiquement opposer développement économique et technologique et problèmes sociaux, comme si l’un se faisait obligatoirement au dépend de l’autre... Continuez comme ça, avec des analyses aussi caricaturales de pseudo intellectuels de gauche qui ont du mal à sortir de la pensée unique des années 70, ne vous étonnez pas que votre discours n’intéresse plus les classes populaires ... C’est consternant ... [L’éternel problème avec ce genre de commentaire est qu’il n’est étayé par aucune argumentation à laquelle je puisse répondre. Ce qui m’oblige à supposer ou bien que l’auteur n’a rien compris, ou bien qu’il fait semblant de ne pas comprendre. Dans les deux cas, je ne vois pas pourquoi je devrais perdre mon temps en explications.]
Caricatural dans le sens où il est de bon ton dans certains milieux d’intellectuels de gauche d’opposer les « valeurs de gauche » et le développement économique tiré par l’innovation [il est plutôt tiré par les profits]. Ne pas investir dans l’innovation c’est abandonner des pans entiers de l’industrie [et surtout des gisements infinis de profitabilité] (c’est ce qui se passe ou s’est passé dans la chimie, la papeterie, la métallurgie, etc.), alors pourquoi pas, si c’est politiquement incorrect selon vos critères, mais les travailleurs non qualifiés que l’on avait dans l’industrie, ils deviennent quoi ? Ils se transforment en planteurs de chou raves bio ? en caissières chez Carrefour ? Ah non, pardon, l’économie sociale et solidaire va créer des milliers d’emplois où les travailleurs seront épanouis.... [Figurez-vous que je ne mange pas de ce pain-là, bio ou non : je laisse « l’économie sociale et solidaire » aux sociaux-libéraux et aux altermondialistes, qui rêvent d’un « autre monde » capitaliste, mais non d’un monde autre que capitaliste]. Et ne me sortez pas l’argument éculé comme quoi l’industrie high tech ne créée que des emplois d’ingénieurs et de cadres, cela prouverait que vous n’y avez jamais mis les pieds ou que l’économie « réelle »est un domaine qui vous est plus qu’étranger, ce qui ne m’étonnerait pas ... [Là, vous vous avancez : j’ai eu maintes fois l’occasion de mettre les pieds dans les laboratoires et des centres de recherche au cours de ma vie professionnelle ou militante. Je n’y ai effectivement pas vu que des « cerveaux », mais aussi des « gros bras » ou des « petites mains » payés au lance-pierre avec des emplois souvent précaires, affectés à des tâches subalternes mais indispensables au bon fonctionnement du technocosme (manutention, nettoyage, rangement, restauration, reprographie, saisie de textes, surveillance, etc).] Que Grenoble ne soit plus le laboratoire social de l’époque Dubedout, qu’il y ait des problèmes à la Villeneuve et dans certains quartiers populaires, bien évidemment, mais quel rapport avec la « Technopole grenobloise » ? En quoi il y a t-il un lien de cause à effet ? [En rien : il s’agit dans l’un et l’autre cas du produit d’un processus socio-historique propre au mode de production capitaliste, défini par la théorie marxiste — qui ne doit pas être, sans doute, votre tasse de thé — sous le nom de « développement inégal et combiné », qui imprime sa marque dans l’espace — les inégalités territoriales — à toutes les échelles (mondiale, nationale et locale]. Vous reprochez aux politiques locaux de balancer des dizaines de millions dans Minatec, Crolles 2 et autres projets « technogratins » plutôt que dans des terrains de basket et des éducateurs de quartiers, c’est çà ? Argument démagogique [Vous faites les demandes et les réponses, fausses toutes les deux. J’ai écrit trois bouquins et un paquet d’articles sur/contre la « pacification » des zones de relégation à coups de « politique de la ville »]. qui marche avec la plupart des gens, mais qui ne résiste pas à l’étude des chiffres, penchez vous dessus, vous serez surpris... [Je me suis déjà « penché sur des chiffres »… officiels — j’ai même déjà été parfois payé pour cela — sans jamais les prendre pour autre chose qu’un argumentaire soi-disant scientifique pour faire « passer » une politique] Le financement des collectivités locales sur ces projets est minime par rapport à l’enveloppe globale (énorme, je vous l’accorde, mais c’est sûrement cela qui vous dérange) et largement comblé à travers les retours de TP [TP : « taxe professionnelle ». Initiales codées à l’usage exclusif des initiés. Leur usage sans explication révèle le milieu professionnel où vous naviguez] lorsqu’elle existait encore. Votre raisonnement est au ras des pâquerettes et utilise des raccourcis qui au mieux sont stupides, au pire fallacieux... Je suis d’accord avec vous pour pleurer l’époque bénie du Grenoble laboratoire social des seventies, critiquer Destot et les autres, là dessus, on est d’accord mais ne mélangez pas les chous et les carottes, fussent-ils bio et produits par des SCOOP... [Vous vous fourrez une fois encore le doigt dans l’œil : vous me prenez, à tort, pour un fan de la « décroissance » et du retour à la terre comme alternative au mode de destruction (de la société et de la nature) capitaliste.]
J’allais répondre posément à votre article, en tant qu’habitant de Grenoble depuis quelques années, parce que je l’avais bêtement lu comme une réflexion sur l’urbanisme local et comme une éventuelle « trahison » des édiles. Mais à la lecture d’une de vos réponses insultantes sur les commentaires, où vous qualifiez Manuel Valls de « salopard », je me demande si cela en vaut la peine. [J’ai l’habitude, ne vous en déplaise, de ne pas m’autocensurer et d’appeler un chat un chat, et « fripouille » ou « canaille » tel(le) ou tel(le) dirigeant(e) politique de la vraie droite ou de la fausse gauche qui prospère sans scrupule au service de la classe dominante, en reprenant, par exemple, dans le cas de Valls le slogan du FN comme quoi il n’y aurait « pas assez de blancs » dans son fief. Mais, peut-être êtes-vous d’accord avec ce genre de constat ?]. Et je relis surtout votre post à cette aune, pour y voir désormais un règlement de compte [non : une attaque contre des dirigeants politiques que je ne connais pas personnellement, mais qui personnifient tout ce que je combats] envers ceux qui, à gauche, entendent soutenir à la fois un développement urbain dynamique [langue de bois, ou plutôt de poids, c’est-à-dire de ceux qui pèsent et ont du pèze] et une politique plus ou moins sécuritaire [plutôt plus que moins]. Votre ton et vos arrière-pensées expliquant sans doute les inexactitudes de votre présentation de Grenoble, qui contribue finalement à en faire une ville guère reluisante [Seriez-vous chargé de la faire reluire ? Quant à moi, j’ai simplement voulu montrer à son propos, mais la démonstration vaudrait pour d’autres « métropoles », que tout ce qui brille n’est pas, comme dit le proverbe, forcément or], coincée entre ses « lascars » au Sud et sa « technopole » déshumanisée au nord. Quelle caricature ! Plus sérieusement. Grenoble est une ville socialiste, même si visiblement nous ne mettons pas la même chose sous ce terme. [Vous semblez totalement ignorer, bien que l’actualité d’outre- méditerranée devrait vous le rappeler, que les épithètes « socialiste », « populaire » « démocratique », et même, sous d’autres cieux ou à d’autres époques, « communiste » et « révolutionnaire » ont souvent servi à dénommer des régimes et des partis oppressifs et corrompus. En prenant au pied de la lettre ces appellations incontrôlées, vous sombrez dans ce que les pédants appellent le « nominalisme ». Autrement dit : confondre les mots et les choses]. Une ville de gauche même, avec l’électorat qu’il faut [Si c’est l’électorat bobo, je suis d’accord : sa « gauche » n’est qu’une droite bis, plus moderne et plus innovante que la première] , préoccupé sincèrement de justice sociale [Comme les dames patronnesses du XIXe siècle], d’accès aux savoirs, d’écologie, et toujours mobilisé sur le front du mouvement social [Là c’est un scoop ! Ceux qui se mobilisent réellement sur ce front dans votre ville sont plutôt mal vus par Destot et sa clique sociale-libérale] Ce n’est donc pas la peine de jeter la population avec l’eau du bain de Destot. [L’eau du bain de Destot, c’est justement, en majorité, son électorat néo-petit bourgeois qui se prend pour l’ensemble de « la population »].
La ville souffre cependant de problèmes réels : des problèmes financiers, des problèmes urbains, des problèmes de modernisation. Une visite sur place montre que la ville vit sur ses « acquis » des JO de 1968, mais que tout a pris un petit coup de vieux. Il y a des bâtiments à l’architecture 60’s vieillie, des aberrations urbanistiques (coins déserts), des terrains encore en friche aux abords du centre-ville. Et il y a bien sûr des problèmes de sécurité, avec les « banlieues » du Sud. La ville a cependant fait énormément pour ces quartiers de relégation [On se demande alors pourquoi la progéniture des relégués peut se monter parfois aussi peu ingrate l’égard de ses bienfaiteurs municipaux]. Les initiatives sociales et l’argent investi sont considérables. Sans parler du désenclavement » [Terme technocratique en vogue parmi les préposés au ravaudage d’un « tissu urbain » en loques. Il est destiné à faire croire que l’on peut mettre un terme à la ségrégation socio-spatiale grâce à un système de transport performant qui permettra aux habitants parqués dans les zones de relégation d’aller faire un tour de temps à autre au centre-ville] avec une ligne nord-sud de tramway, et un grand centre commercial sur place. [« Grand place », conformément à la hiérarchisation qui prévaut en matière de centralité urbaine, n’est qu’un centre commercial de seconde zone.réservé aux « suburbains », pour ne pas dire aux sous-urbains] La présence de quartiers à problèmes ne doit cependant pas décourager le dynamisme du centre-ville, [et surtout les « investisseurs qu’il s’agit d’attirer] contrairement à ce que votre papier semble impliquer. Car Grenoble n’a pas tant d’atouts que ça (la ville est enclavée, [vous êtes un obsédé du « désenclavement » !] le bassin d’emploi n’est pas bon, etc.), et doit nécessairement miser sur certains secteurs : celui de la recherche et de « l’innovation » sont dynamiques et investis. [C’est là le langage typique de la technocratie aménageuse.] Je ne vois pas où est le problème [Évidemment, ce n’est pas vous qui y êtes confronté. Comme les bourgeois, les néo-petits bourgeois ne voient pas les problèmes qui se posent aux prolétaires, mais tout au plus, ceux que ces derniers pourraient leur poser si les mécanismes de la domination laissaient à désirer]. Quant à la peinture que vous faites de la ville, elle est discutable. Le quartier du World Trade Center est effectivement désert (comme peut l’être celui de la BNF à Paris, le soir venu), [il n’y a pas de « quartier de la BNF » — Bibliothèque nationale de France ou Banque de France ? — à Paris, mais vous auriez pu citer la Défense] mais sur la Caserne de Bonne vous n’y êtes pas [si, je l’ai visité cet été en bonne compagnie]. Les commerces y sont plutôt [sic] populaires [ce qu’on y vend est « plutôt » réservé à ceux qui en ont les moyens, comme on dit]. l’hôtel n’est pas construit ! [il n’a pas eu besoin de l’être puisqu’il s’agit de la partie du corps de bâtiment principal de la caserne déjà reconvertie en résidence hôtelière de luxe], il y a pas mal de logements sociaux [« pas mal », c’est peu en réalité, et vous oubliez qu’il existe plusieurs catégories de logements sociaux dont ceux, très bien représentés dans l’« écoquartier », destinés aux habitants dépassant le plafond de ressources], et il y a un cinéma historique d’art et d’essai qui va s’installer. [C’est de l’ancien Mélies dont vous voulez parler, dont l’« historicité » risque de prendre un sérieux coup de jeune avec sa promotion en « multiplexe », et qui, avec la hausse des prix afférente, s’adressera « plutôt » à des cinéphiles à la fois avertis et aisés, qu’au « grand public »]. Ce n’est donc pas exactement l’enclave bobo que vous décrivez. [Mais si, pour toutes ces raisons, précisément] Bref, un article idéologique [ça, c’est l’éternel qualificatif accolé aux point de vue non conformes à l’idéologie dominante] bien mal informé, [Aurais-je dû faire un détour par la mairie pour l’être bien ?] qui fait encore douter de l’utilité de la blogosphère ; si ce n’est bien sûr pour notre utile dialogue. [Reste à savoir 1°/ s’il s’agit d’un véritable dialogue 2°/ à qui il peut être utile, sinon à la municipalité de Grenoble]
Je n’ai pas pu m’empêcher d’y aller de mon petit commentaire tant cet article est atterrant ! [Il vous en faut peu pour vous « atterrer ». J’ai écrit bien pire, de votre point de vue. Allez jeter un œil, par exemple, si vous êtes masochiste, sur le blog des éditions Agone, excellente maison d’édition, au demeurant.] Ce lien systématique entre développement technologique/projets urbains ambitieux et mégalomanie/mépris des classes populaire est grotesque et plus que fatiguant !!! [Vous auriez peut-être besoin d’un remontant, encore que vous ayez l’air d’être particulièrement remonté !]. Il est entendu que cette municipalité n’agit que pour le techno-gratin grenoblois : [Feriez-vous allusion aux médisances des insupportables trublions de PMO ? PMO : « Pièces et main d’œuvre », un site internet de citoyens locaux qui empêchent le dessus de la cuvette grenobloise de technopoliser en rond] le tramway sur les Grands Boulevards et l’amélioration thermique de ses immeubles, c’est pour la petite bourgeoisie locale. Idem pour les requalifications des quartiers Mistral, Teisseire, de la Villeneuve etc… Il est vrai que la ségrégation spatiale et sociale existe à Grenoble, mais elle est le résultat de comportements individuels et non pas du dessein de la municipalité L’histoire du quartier de la Villeneuve en est à ce titre un exemple flagrant. [vous devriez revoir vos classiques de sociologie urbaine sur ce processus. Mais peut-être n’avais vous jamais lu que la littérature libérale sur le sujet ? Comme disait Margaret Thatcher : « la société n’existe pas, il y a que des individus »] Par ailleurs, votre présentation du nouveau quartier de Bonne est tout simplement de la désinformation [Effectivement : je reconnais qu’elle n’est pas en phase avec la com’ municipale]. Un quartier pour la gauche caviar ? J’y retrouve au contraire tout ce que vous attribuez au projet Dubedout pour la Villeneuve : « mixité sociale, équipements intégrés, priorité aux espaces publics ». [Pour ma part, je « retrouve » dans ce que vous dite le discours des plaquette publicitaires de la mairie. En seriez-vous l’un des rédacteurs ?]. Certes, il y a nombre de logements de haut standing, mais le quartier comprend plus de 30% de logements sociaux, des logements étudiants ou encore un EHPAD [Pour les non initiés, encore, dont vous ne faites certainement pas partie : « Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes »]. Est-ce une tare de construire des logements HQE ? [Ignorez vous qu’il n’existe aucune définition scientifique officielle, même bidon, de ce label médiatique ?] Toute l’urbanisation d’après-guerre à Grenoble est une horreur. Pour une fois la municipalité nous offre un très beau quartier en centre-ville avec parc, terrasses, réhabilitation du patrimoine historique et logements modernes. C’est un véritable modèle pour les aménagements futurs (et reconnu comme tel), ne vous en déplaise. [Là, c’est carrément la propagande municipale ! J’espère que vous le faites bénévolement !] « Mixité sociale » ne doit pas être synonyme de médiocrité architecturale [La « mixité sociale » est une imposture idéologique déjà discréditée, y compris parmi ceux qui l’avaient mise sur orbite — je vous recommande un excellent numéro de la revue Espaces et Sociétés sur ce thème (n° 140-141 /2010)].
Il faut arrêter également avec cette paranoïa d’une certaine intelligentsia grenobloise [Ça doit être encore les turlupins de PMO !] concernant le Sillon Alpin et cette pseudo-menace d’une « continuité urbaine » [Pseudo-menace ? Qui a proclamé : « Lorsque le ruban technologique de l’arc alpin, entre ses barycentres constitués par Genève et Grenoble, s’illuminera d’une manière continue, lorsque les pointillés des pôles de compétence comme les biotechnologies de Lausanne, la physique et l’informatique du CERN à Genève, la mécatronique d’Annecy, l’énergie solaire de Chambéry et les nanotechnologies de Grenoble, ne formeront plus qu’une longue colonne vertébrale, nous aurons gagné. » ? Jean Thermes, le tout puissant patron du CEA, fondateur de Minatec et initiateur de Giant, entre autres titres de gloire.] Vous croyez vraiment que les élus souhaitent urbaniser toute la vallée entre Genève et Valence ? » [On a un peu cette impression, à lire les envolées du mégalo-technocrate cité plus haut sur « les métropoles économiques à grands potentiels de développement repérées de nuit par les investisseurs, grâce aux images fournies par les satellites, sinon en vue directe, depuis un avion ». Et qui ajoute, lyrique : « Plus ces villes sont lumineuses, éclairées, plus ils sont intéressés ! ». On peut toujours qualifier de « délires », comme le fait l’un de mes autres interlocuteurs pour évacuer un rappel qui le gêne, les propos d’un Jean Termes ou encore de Destot, mais tant ce que ces deux individus n’auront pas été envoyés chez un psychiatre, on peut légitimement penser qu’il faut prendre au sérieux leurs projets urbains. D’autant que ceux déjà réalisés participent précisément de ces délires.] Arrêtez un peu vos fantasmes et lisez juste les documents disponibles. [Ceux diffusés par la mairie et vulgarisés par le Daubé ? Le Dauphiné libéré, pour les non grenoblois, organe de presse inféodé à la municipalité et, plus généralement, comme Libé, Le Monde ou Le Figaro, aux « marchés ». Feriez-vous votre bible desdits documents ?] Le SCOT [« schéma d’organisation et de cohérence territoriale », toujours pour les non initiés] de Grenoble est pourtant clair. [il est fait pour cela, comme tous les documents de ce genre destinés à enfumer l’« opinion publique », qui n’existe que dans la tête (et le portefeuille) des sondeurs. J’en ai même rédigé de ce genre dans ma jeunesse — il fallait bien croûter — pour le compte d’autres instances aménageuses]. Il souhaite [qui ça « il » ? Les plumitifs qui l’ont pondu ? Les technocrates du coin ? La bande à Destot ? La chambre de commerce de Grenoble ?] mettre un terme à la périurbanisation : « Economiser les espaces urbains, déterminer des limites pérennes à l’urbanisation (intangibles à long terme), accroître la qualité et le caractère patrimonial des espaces naturels et agricoles » [Là, vous pompez carrément la prose de la Metro (« Métropole », pour les non initiés non grenoblois : regroupement techno-bureaucratique de communes autour de Grenoble) — dont vous pourriez être l’un des scribes —, considérée par vous comme parole d’évangile ]. Certes, on est ici dans de la novlangue politicienne, mais cela montre bien [Justement, le recours à ladite novlange, qui consiste, entre autre, à faire dire aux mots le contraire de ce qu’ils signifient (relisez Orwell), montre que l’on a affaire ici au discours habituel de légitimation des orientations et décisions prises par les « autorités » pour en masquer la logique réelle et les effets inévitables] l’absence de volonté de favoriser une urbanisation extensive du territoire. Au contraire, le projet du Sillon Alpin engage les agglomérations de ce territoire dans une réflexion pour lutter contre la disparition des espaces naturels. [Vous êtes naïf ou roué : je n’ai jamais lu dans un document d’urbanisme ou d’aménagement du territoire que l’objectif était de favoriser l’étalement urbain et de faire disparaître les espaces naturels, bref de saccager l’environnement !]
Et pour ce qui est de votre technophobie évidente… [Mon aversion ne vise pas « la Technique » en soi, fétichisée voire déifiée par des technolâtres, mais la matérialisation technique des rapports de production capitalistes] Heureusement que des centres industriels et scientifiques d’excellences [relangue de poids] (Minatec, Crolles) demeurent dans ce pays, et que des élus souhaitent les faire fructifier (Giant – ou 30% de logements sociaux sont prévus d’ailleurs-, Grenoble Université de l’Innovation) car sinon dans quelques années tous nos emplois industriels et notre valeur ajoutée seront partie dans les pays émergents. [« Nos », « notre » : vous parlez comme les dirigeants du MEDEF. Il ne manque plus que « nos » profits !] Certes, cette municipalité est en permanence dans une logique de communication [Là encore, vous baignez dans la novlangue : « communication » est un euphémisme pour désigner en la valorisant la publicité ou la propagande] sur la « métropole » et la « technopole », « l’excellence technologique et sociale », l’attractivité des territoires ». Cela peut faire sourire ou agacer. Mais c’est ce monde qui veut ça , [Quel monde ? Le monde capitaliste ? C’est-à-dire la bourgeoisie transnationale et des relais néo-petis bourgeois locaux ? Pourquoi pas Dieu, pendant que vous y êtes, qui est censé avoir créé ce monde ?] qui plus est avec l’arrivée de pays qui n’ont d’émergent plus que le nom. [Vous n’êtes pas obligé de reprendre cette métaphore inepte issue de la novlange des économistes néo-libéraux !] Les territoires sont en concurrence, [Non, :on les a mis ainsi, comme le veut la loi non écrite — mais qui a failli l’être dans la constitution européenne — qui régit « nos démocraties » : « la concurrence libre et non faussée »] et si Grenoble veut continuer à prospérer, [c’est-à-dire l’élite des profiteurs grenoblois] elle doit également prendre part à ce « jeu » [vous parlez de « la ville » comme d’une personne alors sa population est sous la coupe d’une cinquantaine de « personnalités » économiques, politiques, scientifiques.et médiatiques. Pour en savoir plus sur l’oligarchie grenobloise, lire le dossier publié dans L’Expansion, revue que l’on ne saurait suspecter de gauchisme, intitulé « Ceux qui ont le pouvoir à Genoble » (n° 753 juin 2010]. On pourra facilement en déduire qui est dépossédé de ce pouvoir. : l’immense majorité de la population. L’un de mes contradicteurs affirme que sa conception de la démocratie et du socialisme n’est pas la mienne. Je lui donne entièrement raison.]. Cette compétition à outrance m’exaspère [Moi aussi. Mais je me garde, pour ma part, de la justifier comme si elle était le produit d’une fatalité venue du ciel]. . Toutefois, j’en sais gré à mon maire de faire en sorte que Grenoble puisse tirer parti de la mondialisation et non pas la subir comme c’est le cas pour la France depuis des décennies. [Il ne vous reste plus qu’aller lui faire vos dévotions à l’hôtel de ville. À moins que ce ne soit déjà là votre profession ?].
1 Jean-Pierre Garnier, Denis Golschmidt, Le socialisme à visage urbain, Essai sur la local-démocratie, Éditions Rupture, 1977.
2 Association pour le développement de l’éducation locale et sociale.
3 Direction départementale de l’équipement.
4 Significativement, le Commissariat à l’énergie atomique est devenu en même temps, greenwashing capitaliste aidant, Commissariat aux énergies alternatives. Il intervient dans quatre grands domaines ainsi labellisés : « énergies décarbonées », « défense et sécurité globale », « technologies pour l’information », « technologies pour la santé ».
5 MIT : Massachusetts Institute of Technology.
6 « La Villeneuve, c’est la technopole », surle site de Pièces et main d’œuvre. Ses animateurs, de « simples citoyens » de Grenoble, se proposent de mettre au jour les rouages de la technopolisation, ainsi que ses ravages sociaux et écologiques.
7 Ibid.
8 Le Monde, 20 juillet 2010.
9 « La Villeneuve, c’est la technopole », art. cit.
10 Réunion « Comprendre la ville » du 24 février 2004.
11 NdR : Confronté à des contradicteurs insistants et visiblement lobotomisés par la parole municipale, Jean Pierre Garnier a tenu à regrouper ses réponses aux commentaires dans ce post-scriptum.
12 Nous avons également choisi de mettre les objections de JPG en gras afin de mieux les différencier.