ARTICLE11
 
 

mercredi 14 septembre 2011

Sur le terrain

posté à 20h13, par Benjamin
16 commentaires

Narco non, Sciento oui !
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Après avoir décelé le drogué paumé qui était en moi, l’Église de scientologie m’a ouvertement fait du pied. En plein Bruxelles, pas loin du siège des lobbies et des institutions européennes. Carrément. L’idée : me vendre (au sens propre et figuré) son « programme » de désintoxication, Narconon. Tentant, surtout pour un fan de Tom Cruise. J’ai (presque) dit oui...

Cet article a été publié dans le quatrième numéro de la version papier d’Article11
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Gare du Midi, un quartier populaire de Bruxelles. En attendant le bus, je tombe sur un livret de l’association internationale Narconon exhortant à dire « Non à la drogue, oui à la vie ». Joli programme... Les petits caractères livrent l’adresse de l’association : le siège de l’Église de scientologie. Dans la foulée, je décide d’aller voir ce qu’ils proposent – enregistreur planqué dans la poche.

L’Église de scientologie a pignon sur rue en Belgique. Son siège est situé dans un luxueux bâtiment, à quelques pas des institutions européennes, dans cette rue de la Loi où pullulent les lobbyistes1. Le bâtiment semble vide, et si l’on fait exception des quelques phrases de Ron Hubbard2 placardées aux murs, l’entrée tient plus du club lounge pour cinquantenaires friqués – atmosphère intimiste et gros fauteuils confortables appelant au cigare – que de l’usine à lavage de cerveau. Quant aux deux jeunes me faisant face, ils paraissent tout ce qu’il y a de plus normaux, souriants et concernés. «  Ah, vous avez la brochure ? Super ! » Puis : « L’église de scientologie ? Juste un sponsor. » Et de me renvoyer vers la responsable du volet « prévention » du programme.

Premiers contacts

Deuxième bâtiment, quelques jours plus tard. Un centre d’information, métro Hôtel des Monnaies. Le grand hall d’entrée est parsemé de panneaux rappelant l’histoire du mouvement, vantant la personnalité de son héros-fondateur, détaillant les différentes facettes de l’action et de la pensée scientologiques. Malgré des murs immaculés, le bling-bling spectaculaire règne via une quincaillerie vidéo-photographique aux couleurs vives. Les vidéos débordent d’effets spéciaux et de musiques angoissantes : tout est bon pour manipuler le chaland et emporter son adhésion. Par leur biais, j’en apprends plus sur la vocation « humanitaire » de l’Église de Scientologie, qui va du débarquement de « Ministres volontaires » lors de catastrophes naturelles à la réhabilitation de prisonniers et – bien sûr – au travail sur « les drogués », via l’association Narconon.

Mylène3, jolie brune pimpante, est responsable du volet « prévention » du projet. Elle m’explique en quoi consiste le programme Narconon, avec force exemples prétendument tirés de « situations vécues ». Peu de concret. Quelques chiffres assénés en vrac : « Selon nos statistiques, 42 % des jeunes qui connaissent la vérité sur la drogue n’y toucheront pas. » Ou bien : « Actuellement, en Belgique, un jeune sur trois est consommateur. » En filigrane, cette affirmation : contre la drogue, les méthodes classiques ne marchent pas. Par contre, celles de la sciento...

Sevrage sec et vitamines

L’Église fait preuve d’une originalité certaine en ce qui concerne l’analyse des phénomènes de dépendance. Selon elle, les toxines de « la drogue » se fixent dans les cellules graisseuses pour toujours4. Même si l’on cesse de consommer des substances, il y aurait un grand risque que, des années plus tard – en faisant du sport par exemple –, ces cellules « bougent » et que les toxines provoquent un « flash-back », suivi d’une rechute. Pour éviter cela, l’Église propose aux « drogués » de passer quelques mois (de quatre à 24 voire plus – six mois en moyenne selon Mylène) dans un « centre de réhabilitation »5 ; il en existerait, selon la scientologie, une centaine dans le monde, dont quelques-uns en Espagne, Allemagne, Italie ou Suisse. Au programme : sevrage sec, à la dure, cure de vitamines, censées éliminer les toxines, séances de footings et longues séances de sauna... Un « traitement » valable pour tous les types de drogues : héroïne ou cannabis, même combat.

Côté mental ? Des « cours » ont pour fonction de creuser dans le parcours personnel, afin d’éviter de réitérer les erreurs. Mylène insiste sur le fait qu’il s’agit de comprendre par soi-même6, avant d’asséner : «  Il y a tes potes, et puis ceux qui sont RÉELLEMENT tes potes  ». En clair, les premiers, les « potes de soirée » ne seront pas là pour m’aider si je suis dans la merde. Vision typiquement scientologue des individus : une bonne part de la « doctrine » de l’église repose sur cette distinction entre « bonnes » et « mauvaises » personnes. Quand Mylène m’interroge, j’esquive les réponses trop directes en répondant par une question. Ça semble lui convenir, elle m’oriente vers la directrice du programme en Belgique.

« Réfractaire à la discipline »

Troisième visite. Retour vers les institutions et la rue de la Loi. La directrice du programme Narconon en Belgique travaille à la Commission européenne, « dans une unité de formation pour jeunes  ». Appelons-la Nicole. Elle est censée me fournir des informations plus précises sur le programme et le centre. La quarantaine dynamique et joviale, censément ancienne toxicomane, elle m’écoute justifier mon intérêt pour le programme et détailler mon passif bidon. On m’avait donné un conseil simple : « Si t’arrives à mettre ecstasy, speed et champignons hallucinogènes dans la même phrase, c’est gagné.  » J’en rajoute une dose sur la picole compulsive, les soirées mouvementées et l’angoisse permanente. Le « client » idéal : vulnérable et un peu paumé. Banco.

Nicole est catégorique : ils n’ont jamais eu le moindre problème lié à une désintoxication trop rapide7. Pour le reste... Surveillance constante, précise t-elle : «  Dans le centre, tout le monde est complètement fouillé, il n’y a pas de laisser-aller.  » Puis, elle rentre (enfin) dans le vif du sujet. Le stage coûte la bagatelle de 15 000 euros pour six mois - mais c’est moins cher au Brésil ou en Afrique du Sud, délocalisation oblige. De toute façon, « une vie n’a pas de prix », insiste Nicole. Sur son insistance, nous finissons par sortir boire un café en terrasse. Et tombons - incroyable coïncidence - sur Paolo, un ami à elle qui passait dans la rue à cet instant précis. Les choses sont bien faites : le fils ET la fille de Paolo résident justement en « cure », chacun dans un centre différent. Lui me parle surtout du parcours de son fils, sa bataille : il a connu plusieurs rechutes, passant par des centres en Suisse et en Hollande, et il se trouve aujourd’hui aux États-Unis, encadré par « une véritable sommité ». Les mots « contrôle » et « discipline » - gages de succès - reviennent constamment dans sa bouche. Parlant de son fils : « C’est un cas difficile, réfractaire à la discipline. Dans ce genre de situation il faut accepter de faire ce qu’on te dit. Peut-être pas se soumettre, mais en tous cas coopérer.  » Le vocabulaire se fait froid, culpabilisateur. « Ce n’est pas facile, de parler avec ces gens. Lui avait besoin d’un encadrement beaucoup plus strict. Il est aujourd’hui soumis à un système de surveillance l’empêchant de faire quoi que ce soit de travers. »

Pour mon bonheur...

Tout est pourtant fait pour que j’accroche : le côté expérience personnelle de Nicole, ancienne toxicomane, la douleur du père et son irréprochable envie que son fils - évidemment du même âge et de la même catégorie sociale que moi - s’en sorte, leurs conseils, leur façon de m’entourer... Et surtout le fait qu’ils semblent vraiment y croire. Que leurs histoires soient vraies ou non, ce sont de bons acteurs ; une certaine sincérité se dégage, ciment nécessaire de ces organisations. Si les ficelles sont grosses, ils font tout pour donner une impression d’espoir, expliquent qu’il suffit de passer le pas pour être « sauvé ». « Tu n’es pas encore sorti de la vie sociale, c’est bien. Mais il ne faut surtout pas oublier que nous sommes là pour toi. Quoi qu’il arrive... » Si je suis leur programme, poursuivent-ils, j’en viendrai à renier ma vie passée, pour mon plus grand bonheur : «  En cours de route, tu vas être amené à comprendre que tu ne vis pas vraiment dans le milieu dont tu as besoin. Tu vas vouloir évoluer, te construire de nouveaux objectifs, changer de bord ; ça se fait de façon totalement naturelle. Tu ne peux même pas imaginer combien tu te sentiras bien, ensuite. »

On se sépare sur une promesse : je vais pouvoir visiter sous peu un centre en Hollande, histoire de « me faire une opinion par moi-même  ». Las : quelques jours après, Nicole rappelle et tombe sur mon répondeur – que j’avais oublié de changer. C’est bel et bien ma voix, mais le nom est différent de celui que je lui avais donné. A partir de là, j’ai droit à de nombreux appels anonymes et à des messages agressifs sur mon répondeur. Du coup, dans le doute, je n’ai pas donné de nouvelles. Et j’ai gardé les 15 000 euros pour acheter de la drogue.



1 Le lieu – symbole de l’opacité des décisions européennes – n’est pas choisi par hasard : l’Église de scientologie joue dans la cour des grands du lobbying. À quelques mètres, les sièges de BASF et de la BNP.

2 Le fondateur de l’Église de scientologie, « inventeur » et promoteur de la dianétique (méthode de développement personnel promue par la scientologie).

3 Le prénom a été changé.

4 Une ineptie.

5 Elle préfère d’ailleurs, à propos de la cure, utiliser le terme de « purification ».

6 De nombreux témoignages évoquent, à propos de ces centres, un véritable lavage de cerveau, les « patients » devant notamment apprendre par cœur les concepts de base de la scientologie.

7 Mais il arrive qu’on meure dans ces centres. En Italie, par exemple (deux morts en 1995, un en 2002). Ou en France : le seul centre Narconon français a fermé en 1984, après le décès d’une « patiente ».


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 15 septembre 2011 à 21h50, par krop

    « Et j’ai gardé les 15 000 euros pour acheter de la drogue »
    Cultive toi même , pavot, chanvre et t’ont égos c’est Ron Hubbard qui le te le dit.
    Tu feras des économies, surtout par les temps qui courre .
    « Sevrage sec et vilain » comme notre petit père des peuple en Libye.!

    La drogue et un appelle a l’aide, aide sommaire d’un monde immatérielle qui lui plaie.
    Les « droguées » sont « parfois des gens heureux » dans la mesure ou ils savent garder en eux un Intérêt générale.! la « drogue »n’existe tous simplement pas, mesure de valeur pour des droguées d’une morale supérieure dont le nom s’appelle « blés »,ou« Dieux ?. »

    bref ton article et excellent , mais il demande un peut de fond aux sujet des Naïades de ron hubbard.« Sarkozy » ?.

    • vendredi 16 septembre 2011 à 07h16, par un-e anonyme

      mais dis-moi Krop , est-ce que c’est encore permis d’être fantasque sans se droguer ?

    • mardi 20 septembre 2011 à 14h18, par jonathan

      Vraiment sympa cet article, on aura compris qu’il n’y avait pas besoin de travailler spécialement le sujet, c’est une « démonstration » suffisante, l’humour en plus.

      Dans le meme genre, une virée chez la Méditation Transcendentale (ou Gouvernement de la paix) pourrait être assez instructive également, de beaux escrocs en perspective.

      Voir en ligne : Méditation Transcendentale



  • vendredi 16 septembre 2011 à 14h59, par un-e anonyme

    Un article instructif, merci.
    David Love au Canada travaillait pour narconon, aux statistiques. Il a pu se rendre compte des chiffres truqués pour attirer les toxicos et leur famille dans la secte scientologue. De 70% de guérisons revendiquées il arrive à un chiffre plus réaliste de 40%, souvent au prix d’une entrée dans la secte (et où est la sortie ?), avec les méthodes douteuses que vous avez mentionnées (rappelons que le sauna à trop haute dose journalière est dangereux), et sans tenir compte des cas de rechute.
    David Love demande au gouvernement canadien de revoir la législation du pays qui leur laisse le champ libre.

    Ils agissent de la même façon avec d’autres organismes « criminon », « Eagle’s Flight », « Applied Scholastics », « WISE », dans divers domaines. « CCDH » contre la psychiatrie et j’en passe.

    Voir en ligne : « David contre Hubbard »



  • vendredi 16 septembre 2011 à 15h24, par tiétienne 3000

    Que d’espoir dans ce combat que mène narkonon, que de cynisme dans votre billet ! J’ai été sauvé par Ron Hubbart ! et Ron peut vous sauver ! merci pour cette publicité !
    bon, bien joué ton reportage, sont pas encore assez paranos pour t’avoir repéré !
    moi, rien que de diminuer la clope, je deviens complètement loufoque, c’est très drôle !
    la scientologie, y ont rien pour faire tomber les taux de radioactivités ? parce que dans le coin gard/vaucluse/bouches-du-rhone, ça irradie ces derniers jours !

    • vendredi 16 septembre 2011 à 18h24, par un-e anonyme

      ici Junior !

      moi j’ai 25 ans de diabète

      et 4 ans de chimio.

      c’est la sécurité sociale qui m’a sauvé.

    • vendredi 16 septembre 2011 à 19h58, par un-e anonyme

      ça irradie pas plus que les autres jours
      alors Ron, ce doit être du même acabit

      • samedi 22 octobre 2011 à 18h06, par moi

        Heureusement qu’il y a encore des gens qui font quelque chose pour qu’il y ait moins de drogues ! C’est pas en restant assis en face de son écran qu’on est en train d’aider ceux qui en ont besoin. Et sûrement pas en écrivant ce genre d’article non plus.

        • samedi 22 octobre 2011 à 18h07, par Michel

          Là, je suis bien d’accord avec « moi ». Quand je vois mon cousin, il a 16 ans et il passe sa vie à être pété. Il ne fait plus rien à l’école, plus moyen de lui parler. Alors qu’avant, il était le plus sympa de la famille. Cela lui ferait du bien d’avoir un peu d’information correcte.

          • samedi 22 octobre 2011 à 18h07, par André

            Je suis vraiment emmerdé. Je fume des joints et j’aime ça. J’aime bien boire un gorgeon de temps en temps avec les potes, aussi. Malheureusement, le shit ça rend fainéant et du coup je bosse pas beaucoup et je suis pas très riche. Si je file 15 000 € à la secte, j’arriverais peut-être à arrêter le jaja. Mais comment je les trouve, les 15 000 € ? je ne vois qu’un moyen : devenir dealer. Oui mai c’est pas vraiment une solution pour un organisme qui dit non aux narcos. Au contraire. La secte demande pas mieux. Je suis sûr que je peux passer un deal : j’envoie mes clients chez Ron Hubbard (ou son successeur), et en échange le gourou me prend comme apprenti. Finir gourou, avec le fric et les filles qui vont avec. Le rêve...

            • samedi 22 octobre 2011 à 18h07, par un-e anonyme

              Beaucoup de blabla sans parler des vrais problèmes ! Et quoi à propos des parents, père, mère, frères et soeurs, qui ont un proche dans la toxicomanie ? Leur désespoir et leurs vies foutues pour une personne qui prend des drogues ? Combien de jeunes qui ne vont pas plus loin que le bout de leur joint et qui ne réalisent comme seul rêve que celui de rêver leur vie à travers lui ? Ce n’est pas ce genre de discours qui va les aider.

              • samedi 22 octobre 2011 à 18h08, par un-e anonyme

                Que croire des « informations » d’une personne qui se fait passer pour quelqu’un qu’elle n’est pas ? Humour, suspens, belle écriture. Dommage que l’auteur de cet article utilise ses capacités dans le négatif. Ces mêmes propos sans la touche intentionnellement dégradante et déformante seraient certainement plus proches de la réalité. A qui ce genre d’articles profite-t-il réellement ? Aux toxicomanes et à leur famille ? Non, cela ne les aide pas. Aux « simples fumeurs de joints » ? Peut-être. Cela les renforce dans leur habitude. Mais est-ce une véritable aide, cela ? A qui cela profite-t-il vraiment ? En tout cas, cela fait le jeu des dealers. Ils doivent certainement apprécier cette polémique !

                • samedi 22 octobre 2011 à 18h08, par un-e anonyme

                  Ma soeur a fait le programme Narconon et elle va très bien. Dommage qu’il y ait ce genre d’articles qui privent des familles d’une vie meilleure à laquelle elles ont droit. Nous-mêmes, avant d’aider ma soeur à faire ce programme, nous avons hésité à cause de ce genre d’informations sur les centres Narconon. Heureusement que nous ne nous sommes pas arrêtés là, nous avons pris plus d’informations à la source correcte et avons continué. Et depuis 5 ans, ma soeur s’en est sortie et a une chouette vie. Et ça, c’est important !

                  • samedi 22 octobre 2011 à 18h08, par un-e anonyme

                    En France Narconon a fermé (avant de réapparaître sous un autre nom) parce qu’il y a eu un décès. Votre soeur s’en est sortie, elle a eu de la chance mais elle a donné son argent à une secte. Elle aurait tout aussi bien pu s’adresser à de vrais spécialistes.

                    • samedi 22 octobre 2011 à 18h09, par un-e anonyme

                      CANNABIS, LES RISQUES AU VOLANT Une étude de grande ampleur (*) a été menée en France, pour examiner le lien entre l’usage de stupéfiants et les accidents mortels sur les routes. L’étude a ainsi retenu 10 748 conducteurs impliqués dans un accident mortel, entre octobre 2001 et septembre 2003.

                      Les principales conclusions de cette étude sont :
                       × Conduire sous l’effet du cannabis double, en moyenne, le risque d’être responsable d’un accident mortel (x 1,8).
                       × L’étude démontre pour la première fois l’existence d’un « effet-dose », c’est-à-dire que le risque augmente avec la concentration de THC (principe actif du cannabis) dans le sang.
                       × Le nombre de victimes imputable au cannabis serait de l’ordre de 230 morts par an sur les routes (sur une base de 6000 accidents mortels), dont une grande part a moins de 25 ans. Les accidents résultent d’une plus grande vulnérabilité du conducteur face à un événement inattendu ou, en cas de forte consommation ou de mélange avec l’alcool, d’une dégradation générale des capacités de conduite pouvant mener à une perte de contrôle.

                      (*) Etude coordonnée par l’OFDT et réalisée par le groupe SAM



  • jeudi 9 octobre 2014 à 10h07, par christian

    Merci pour cet article. Christian

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