jeudi 5 février 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h08, par
27 commentaires
Le culot ? C’est à ça que l’on reconnaît les grands de ce monde, ceux qui continuent à l’ouvrir alors même que les faits leur ont donné tort et que leur position est moralement intenable. A cette aune, Laurent Parisot fait partie de l’élite. En une interview à La Tribune, aujourd’hui, la sainte-patronne du Medef se lâche et donne son sentiment sur la grève du 29 janvier. Attention : ça tâche !
La radio libre FPP m’a gentiment proposé de faire une petite chronique hebdomadaire, le jeudi à 12 h 30. Comme je ne recule devant rien, je vous la copie-colle ici. Hop !
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Ce n’est pas de gaieté de cœur que je suis venu aujourd’hui à FPP.
Mais plutôt en traînant des pattes.
Et en renâclant.
Tant mon âme est sombre.
Et mon cœur saigne.
Bref : je suis triste.
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Ce n’est pas inné chez moi, la tristesse.
Mais il m’arrive, parce que je suis un être sensible, de l’attraper par contagion.
Comme on chopperait un rhume ou une grippe transmis par quelqu’un d’autre.
Et aujourd’hui, depuis que j’ai lu la Tribune, chose que tout être censé ne devrait jamais faire sauf s’il travaille dans la finance, porte un costume trois pièces de haut vol et n’a aucune morale, je suis à la fois triste pour la France et solidaire de Laurence Parisot.
En clair, c’est vraiment une sale journée…
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Je m’explique : ce matin, je voguais sur internet et je me suis retrouvé, en cliquant de liens déconseillés en sites dangereux, sur la page du journal La Tribune.
Laquelle affichait fièrement en Une une interview de Laurence Parisot, avec cette citation de la sainte-madone du Cac 40 en forme de titre : « On fabrique de l’appauvrissement quand on fait grève toute la journée. »
Je vous la répète, hein, pour que ça rentre bien dans vos têtes de méchants grévistes : « On fabrique de l’appauvrissement quand on fait grève toute la journée. »
Comme, en matière d’appauvrissement de la société, Laurence Parisot est plutôt une spécialiste, j’ai cliqué pour lire l’interview.
Erreur, évidemment…
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Le truc avec Parisot, c’est que c’est un peu comme une drogue dure : vous savez que vous ne devriez pas en prendre, que ça vous fait du mal, mais vous êtes curieux de voir jusqu’où les choses peuvent aller et vous ne pouvez pas vous empêcher de repiquer au truc.
Pour comparer : une interview de la cheftaine des patrons, c’est un peu comme une grosse ligne d’héroïne.
Tout le monde sait que c’est malsain, mais ça n’empêche pas de tomber dedans.
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Je vais donc vous faire un petit résumé, histoire que vous ayez droit vous aussi à votre petite dose de Parisoïne.
De un, explique la pasionaria du Medef, qui s’affirme tout de go « consternée » par la manif du 29 et qui m’a transmis cette consternation-là, de un, donc, la grève c’est mal.
Pourquoi ?
Simple, souligne t-elle : ça donne une mauvaise image de la France aux investisseurs qui, voyant une photo de manifestations à la une du Wall Street Journal et du Financial Times, n’ont alors plus envie de placer leur tas de pépètes chez nous.
Si Parisot était là - mais il y a peu de chances qu’elle se pointe au micro de FPP… - je lui expliquerais bien que quand un manifestant comme moi ouvre la Tribune et qu’il tombe sur des remarques aussi crétines, ça donne une très mauvaise image des investisseurs…
Bref…
De deux, souligne dame Laurence, l’énorme mobilisation de la manif du 29 s’explique facilement : c’est parce les salariés entravent que dalle à l’économie, qu’ils ont peur et qu’ils sont un peu neu-neu.
En Parisot dans le texte, cela donne : on peut « comprendre qu’un salarié qui n’est pas censé lire des cours d’économie tous les matins soit vraiment stupéfait et très angoissé par la situation », donc qu’il se prête plus facilement à l’agitation bolchévique orchestrée par les syndicats.
Une jolie façon de nous prendre pour des abrutis, puisque la principale caractéristique de cette crise est qu’elle a d’abord donné des sueurs froides et des cauchemars à tous les responsables financiers de la planète.
Des gens pourtant habitués à lire « des cours d’économie tous les matins », mais qui se sont rendus compte que ce sacro-saint marché auquel ils croyaient tant pouvait aussi leur jouer des tours de cochon.
Le meilleur des exemples étant celui d’Alan Greenspan, ancien président de la Federal Reserve, grand gourou de la finance, qui a cru toute sa vie dans les bienfaits du marché concurrentiel et qui est tellement tombé de haut qu’il a déclaré en octobre dernier : la crise a mis en avant « une faille. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable, mais cela m’a plongé dans un grand désarroi ».
En gros, et pour qui a déjà entendu Alan Greenspan parler auparavant de la concurrence libre et parfaite, ça signifie qu’il est au bord du suicide.
Carrément…
De trois, et là c’est vraiment du lourd, la sainte-patronne des patrons annonce dans l’interview de La Tribune son mot d’ordre pour l’assemblée générale du Medef, qui commence aujourd’hui.
Soit un beau slogan bilingue et super original : « Vivement l’avenir, ready for the future », qui donne - reconnaissons-le - vachement envie de voir le soleil se lever à l’orée 2020…
Heureuse maxime que Laurence Parisot se sent obligée d’expliquer pour le cas où des salariés manifestants ne comprenant rien à l’économie et n’entravant pas plus l’anglais auraient continué à lire son interview jusque là. Elle précise donc : « Les deux expressions étant chacune la traduction libre de l’autre. »
« Vivement l’avenir » d’un côté, « ready for the future » de l’autre, merci, Laurence !
De quatre et pour finir, parce que le reste de l’interview est du baratin à deux balles pour vendre le dynamisme, le talent et la fulgurance des membres du Medef, de quatre, donc, Laurence Parisot ne veut pas que la crise nous pousse à « désigner des boucs émissaires ou jouer la politique du pire ».
Je précise pour ceux qui auraient pas suivi : « désigner des boucs émissaires ou à jouer la politique du pire », ça veut dire en langage Parisot mettre un frein à la voracité des financiers qui nous ont précipité dans la crise, réguler le marché, instaurer un peu de justice sociale en France et limiter les revenus des grands patrons.
Soit, par exemple, mettre en place une loi pour limiter les parachutes dorés, ce qui, malgré tout le baratin présidentiel sur la question, n’a pas été fait.
Mais ça, Laurent Parisot, qui répète tout du long qu’elle s’oppose à tout interventionnisme des Etats dans l’économie et qui traite presque Obama de gauchiste stalinien parce qu’il décidé de fixer à 500 000 $ la rémunération annuelle maximale des dirigeants bénéficiant d’aides publiques, ça, Laurence Parisot est contre.
Pour elle, le contrôle étatique, c’est un peu comme si Lénine ressuscitait d’entre les morts pour venir diriger la Banque de France.
L’horreur…
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Alors, je sais : au fond, je ne devrais pas être surpris de voir que Laurence Parisot continue sa route comme si de rien n’était, comme s’il ne s’était rien passé, comme si les mensonges du Medef n’avaient pas été vertement contredits par la réalité.
Mais quand même : ça donne vachement envie de voir advenir cette colère populaire qui obligera les patrons et financiers à la ramener un peu beaucoup moins.
Et aussi : je me dis qu’une représentante des patrons aussi ridicule qu’elle est finalement la meilleure des publicités pour la révolution.
Comme elle dit, « Vivement l’avenir, ready for the future ».