lundi 9 novembre 2009
Invités
posté à 14h35, par
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Rien de plus semblable à un mur qu’un autre mur, crois-tu naïvement ? Grave et funeste erreur ! Sache que tous les murs ne se valent pas. Il y a celui que le président Sarkozy a détruit à (presque) lui tout seul, ses petits poings martelant rageusement le béton jusqu’à mettre à bas ce scandaleux symbole d’un communisme liberticide. Et puis, il y en a d’autres…
Ah, çà ! On l’a fait péter, le stock de bougies cette semaine ! Ça commémore sévère. Radios, télés, journaux ont envoyé à Berlin leurs meilleurs brushings pour animer des duplexes avec le gratin des spécialistes en chute de murs (« Il est tombé d’un coup »), la crème des politologues les plus pointus (« C’était la chute du communisme ») et l’élite des historiens les meilleurs (« Plus rien ne sera jamais comme avant »1).
De la plus petite anecdote insignifiante (BHL expliquant en direct à Berlin qu’à l’époque, qu’à l’époque, il n’y était pas2) aux grands discours à l’hyperbole (involontairement) amphigouriques, on a droit à tout.
Même Président Sarkozy se fend d’une larme et nous sort sa photo d’époque (d’ailleurs : vu la technique de Président pour frapper avec son petit marteau, m’est avis que c’est pas à Président qu’il faut demander de l’aide pour abattre une cloison.).
Le même y va de ses souvenirs : « Autour de nous, des familles se rassemblaient pour abattre le béton. Certaines venaient nous parler pour nous expliquer leurs sentiments, leurs ambitions nouvelles, et partager leurs émotions après des décennies de séparation. La nuit s’est poursuivie dans l’enthousiasme général. »3
Et c’est vrai : faire péter un mur, permettre aux hommes de circuler librement, de passer cette maudite frontière, c’est un grand moment à célébrer.
Réellement.
Et c’est pourquoi on attend impatiemment que Président Sarkozy et son sécateur fassent un sort aux grillages des murs de Ceuta et Melilla, la frontière Sud de l’Europe qui séparent le territoire espagnol du Maroc.
Là, toutes les nuits, ceux qui préfèrent tenter de fuir des guerres économiques, sociales ou militaires du Sud par la terre ferme prennent d’assaut un autre mur de la honte et se font impitoyablement refouler.
Là, chaque jour, les mêmes observent, attendent, patientent, en espérant découvrir une ouverture quelconque ou un relâchement de la garde qui leur permettraient de passer au Nord, comme d’autres n’avaient de cesse - des dizaines d’années plus tôt - de passer à l’Ouest en évitant les mines, barbelés et miradors.
Là, en permanence, se brise l’espoir d’une vie meilleure, laminé par les défenses d’une Europe forteresse et pulvérisé par l’égoïsme de l’occident.
Là - enfin - sont restées en mémoire des journées plus sanglantes que les autres, quand les migrants ont lancé d’août à septembre 2005 plusieurs assauts d’ampleur sur les murs et barbelés, se précipitant par centaines en espérant ne pas être cibles des balles, ainsi que le conte un billet du site Multitudes :
Cependant, ce sont des forces européennes qui, le 29 août, ont assassiné au moins deux citoyens africains pendant l’assaut des grillages de Melilla. On a vu des essaims de centaines de personnes, adultes et enfants, femmes enceintes ou avec enfants dans les bras, mains nues et avec pour unique arme un téléphone portable, laissant des lambeaux de peaux sur les grillages de barbelés franchis à l’aide d’échelles fabriquées avec des branches d’arbre, se fracturant les jambes et les bras en tombant de l’autre côté, alors qu’ils recevaient des balles de caoutchouc et de plomb, des coups de matraque, des coups de pied et des coups de fusil. Les forces européennes amassaient les blessés et les cadavres et les jetaient de l’autre côté de la frontière en s’en lavant les mains, laissant le reste du travail aux marocains. Ceci a été la constante pendant plus d’un mois. Au cours de la nuit du 28 au 29 octobre, un nouvel assaut a été repoussé avec un bilan d’au moins cinq morts, parmi lesquels un nouveau-né qui avait vu le jour dans les campements. On a laissé au gouvernement marocain le soin additionnel de nettoyer à fond la zone grâce au mécanisme de la déportation vers « nulle part ».
Ce mur-là, donc :
Un mur qui attente, comme à Berlin, au droit inaliénable à la libre circulation4 des individus ;
Un mur qui, comme à Berlin, tourne le dos aux conceptions modernes d’une humanité diverse mais unilatéralement digne et respectable ;
Un mur dont l’existence même doit - n’en doutons pas - révulser Président Sarkozy.
Allez, Président Sarkozy : voilà un autre mur qu’il conviendrait d’abattre5.
Et après, on causera aussi du mur qui coupe les deux Corées, de celui bâti entre le Mexique et les USA, de ce troisième qui sépare l’État palestinien et les territoires sous administration israélienne ou même de celui que les Russes sont en train de construire en Géorgie.
Y’a assurément du boulot dans le BTP pour qui souhaite faire péter les murs.
1 Ce qui, soit dit en passant, n’est pas faux : plus rien n’est comme avant. Les choses changent avec le temps. Après l’heure c’est plus l’heure et après la pluie vient le beau temps.
2 Dans une émission spéciale de Radio France le 9/11/09.
3 Sur la page FaceBook de Président Sarkozy dont les communicants se sont manifestement un tantinet enflammés.
4 Article 13 de la déclaration universelle des droits de l’Homme : Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
5 Mais, attention : il faut bien noter la date, cette fois-ci…