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vendredi 25 septembre 2009

Sur le terrain

posté à 08h49, par PT
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« Finistériens » de Miossec : de quoi te faire regretter de n’être pas né breton
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Depuis quinze ans, ce vieux loup solidaire n’en finit pas de recomposer les paysages de la chanson française. « Boire », son premier album, chronique brute de ses amours alcooliques, demeure un inoxydable objet de fascination. « Finistériens », le dernier-né, plein de souffles et de pudeurs, d’embruns et de côtes abruptes, compte parmi ses meilleurs. C’est encore loin, Brest ?

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Matin d’eau, ciel épais comme la misère, l’horizon gris qui débine la lumière. Mains dans les poches, col relevé, bas de pantalon frité par la pluie. La belle vie, décor raccord. On est jeudi ; c’est bien, le jeudi. Juste au creux, au mitan des choses. Un entre-deux. Un entre-soi. Le début de semaine dégoulinait de soleil. J’ai bien fait d’attendre. Jeudi. La pluie et le gris.

Angers, rue Lenepveu. Avant de rejoindre la Fnac je repense à l’article chopé dans « Tecknikart », deux semaines auparavant. Un dossier sur « les nazes de la rentrée ». David Getta, Hervé Mathoux, Jean-Louis Murat. Et Miossec. De mémoire, les journaleux de « Tecknikart », rois de la posture s’il en est, recommandaient au frangin brestois, jugé hors de course, d’aller se faire voir ailleurs. Ailleurs ? Au Canada, je crois. Bien. Plus loin dans les pages, j’étais tombé sur une dense et chaleureuse interview de Manuel Valls réalisée en Toscane, photos de vacances à l’appui. Trop « hype » Manu.

Depuis le magazine croupit aux chiottes.

Je m’ébroue vite fait dans le « switch » discret des portes automatisées de la Fnac. Premier étage, rayon variétés françaises : la tronche teigneuse de l’alcolo breton répandue sur une pleine gondole. A peine un coup d’œil en direction de la jolie brune qui picore d’un air pénétré quelques paragraphes de Marc Lévy. Re-escaliers. Quinze euros déposés en caisse. Re-« switch », la pluie, le col à ajuster, la galette dans la poche. La pluie. L’horizon qui fait la gueule. Il est déjà onze heures. La pluie. Le matin tout ensommeillé.

La première écoute d’un album de Miossec ne s’organise pas sans rituels. En l’espèce – indifférent au cliché : lampée de bière fraîche et canapé moelleux – quoique partiellement désossé. J’enfourne le CD dans ma chaîne Panasonic huit ans d’âge, à peine plus vaillante qu’un radio-cassette anémié. Les chats paressent sur l’accoudoir. Ils ne m’emmerderont pas. Le gars chante.

En 1995, date de sortie de l’album Boire, c’était un peu comme Tyson expédiant un crochet au menton de l’adolescent mal embouché que je tardais à ne plus être. Dans les cordes. Souffle brisé. Avec le temps, l’ancien ado vaguement dépressif a pris de l’ampleur (oui, quand même). « Il » encaisse mieux les coups, sans empêcher un brin de fébrilité avant de se colleter avec l’ami de quinze ans. Pour faire le malin, aussi, et dans une vanité formidable, comme tu l’as remarqué, « il » parle de lui à la troisième personne. Ce qui est gravement couillon dans le cas présent : Miossec, au contraire, ne connaît que les règles du « je ». En attestent les onze nouveaux textes qui font la chair âpre et tendue de Finistériens.

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Il serait malvenu de distribuer ici bravos2 ou lazzis. Non plus que se muer en critique de peu d’étoffe. D’autres s’y prêtent mieux que moi, qui reconnaissent en Miossec un défricheur ardent ou, à l’exact opposé, un has been irritant. Devant ceux-là, de guerre lasse, je renonce à défendre les vertus de la fidélité. Ma sensibilité musicale s’est amorcée avec Miossec. J’ai raté avant lui, comme après, un nombre considérable de trains pressés. Féroce obstination : sans constance dans l’exclusivité, jamais cette chronique monomaniaque n’aurait vu le jour. Enfin l’effort paie.

Une nuit saumâtre de novembre 2007, au fin fond de la Moselle désindustrialisée (tu connais la vallée de la Fensch ?), j’ai croisé le verre avec le gars Miossec. Lui descendait de scène, s’étant envoyé comme à la parade des canettes durant tout le concert. Moi, j’attaquais les premiers gobelets. Je n’attendais rien de cette rencontre permise par une interview au téléphone accordée quelques jours auparavant. Je n’en attendais rien, donc pas de déception : je ne sais plus ni de quoi nous avons parlé, ni si le type avait de l’humour, de l’esprit ou de la lucidité. C’était un peu flotter hors de la réalité que de tailler le bout de gras (mais de quoi parlions-nous, bordel ?) avec ce type abonné à mes oreilles depuis tant d’époques.

Nous avions échangé une heure comme ça. En nous séparant, il avait eu ce jeu d’ivrogne visant à simuler de me casser la main. Putain de bestiau.

D’ailleurs je ne suis plus sûr qu’il blaguait tant que ça.

Au cours de l’interview, ça je peux le décrire, il s’était montré disert et assez coopératif pour tomber – un peu – le masque. A force de confesser la vedette, le journaliste finit par s’accoutumer aux discours prémâchés, poliment calibrés, asséchés, aspérités aspirées. D’où la jubilation à noircir le cahier quand une figure publique soulève le couvercle. Moquant sans arrogance Delerm et ses comptines pour trentenaires « adulescents ». Jouant avec adresse de la dérision pour narrer ses collaborations passées avec Johnny. Avant de s’émouvoir tout d’un bloc à l’évocation de Bashung. Bashung disait de Miossec qu’il était « un tendre granit ». « Tendre granit » .. Je sais, vous l’avez lue cent fois – en ces lieux, d’ailleurs3 : mais je ne me lasse pas de la formule, qui contient en une effroyable économie de mots un paquet de vérités. A croire que les grands fauves savent se renifler et s’apprécier.

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Bon, tandis que je bande, seul, dans le salon, le nez plissé contre les baies vitrées pleines d’eau, je devine d’ici le chœur des justes : Miossec, quinze ans après Boire, n’est plus Miossec. On nous a piqué le gaillard imbibé et nicotiné auteur de textes aussi définitifs que Crachons veux-tu bien ou Regarde un peu la France. Tout juste bon, désormais, à dragouiller du côté de la bande FM avec la paresseuse et entêtante Facture d’électricité. Vous savez quoi ? Considérable méprise !

De ce titre, La Facture d’électricité, comme du troisième album, A prendre, pourtant pas si gauche, Miossec ne se gêne ni pour vomir les faiblesses, ni pour énumérer les facilités. Accidents de parcours, reflets travestis. De même, il annonce d’emblée la couleur sur Finistériens en recommandant chaudement de trapper le morceau numéro 8, l’impropre Haïs-moi, entorse canaille à un ensemble qui pour le reste coule comme du miel au tympan. Textes secs, si peu verbeux, arrangements à l’avenant, qui serpentent à travers les créations de Tiersen, complice de bonne fortune. Un album contemplatif, « qui vous enroule, qui vous blottit »5, teinté de désarroi social et de poésie persistante.

Transformé, Miossec ? La bonne vanne. « Seul ce que j’ai perdu m’appartient à tout jamais », décide-t-il en ouverture de Finistériens. Un siphonnage en règle6 censé nous rappeler qu’à bientôt cinquante berges, il était temps d’aviser l’ailleurs, d’accoster sur d’autres rives, sans rien omettre des feux ardents du passé. La flamme est là, vivace, compacte. Qu’il convient comme à l’accoutumée de dompter, d’apprivoiser. Comme on apprivoise un jour de pluie, beau comme un jeudi.

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1 « Les chiens de pailles », in « Finistériens », Pias.

2 Bon, après relecture, ç’a été plus fort que moi.

3 Hop, un petit lien- pour mémoire et par vanité, encore.

4 « Loin de la foule », in « Finistérien », Pias.

5 « La Mélancolie », in « L’Etreinte », Pias.

6 Ces mots, « seul ce que j’ai perdu m’appartient à jamais » sont d’une poétesse du XIXe, Rachel. Comme quoi : Miossec ne fait pas que pomper du Perros.

7 « Une fortune de mer », in « Finistériens », Pias.


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