ARTICLE11
 
 

jeudi 29 octobre 2009

Sur le terrain

posté à 09h10, par Mathieu Colloghan
4 commentaires

Un tour à Diyarbakir, dans le Kurdistan altermondialiste (Part.1)
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Il y a un mois, le dessinateur Mathieu Colloghan était à Diyarbakir, capitale du Kurdistan turc, pour participer à l’Assemblée préparatoire pour le Forum social européen 2010 et au Forum social Mésopotamien. Il en ramené un magnifique carnet de voyage - pour dire la vie des débats autant que l’ambiance des rues de la ville - qu’A11 est très heureux de publier. Un carnet en deux parties, la suite demain.

NB : Ô technique ennemie ! Pour une bête histoire de gabarit, Article11 ne pouvais publier ce carnet à une taille suffisante pour en lire le texte aisément. Nous avons donc choisi de retranscrire sous les différents blocs de carnet, toutes les quatre pages, le texte de Mathieu Colloghan1. Que cela ne t’empêche pas d’admirer son coup de crayon et la réussite graphique de son projet. Certains des dialogues des dessins ou des commentaires les accompagnant ont été incorporé au texte, d’autres non ; raison de plus de se pencher sur les carnets en eux-mêmes (zoomer peut être une bonne solution pour ceux qui ont les yeux fragiles…).


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Il est communément admis que la première civilisation de l’humanité serait née entre le Tigre et l’Euphrate. C’est même à l’origine de son nom. C’est ici que serait née l’écriture, sans laquelle aucun avis de reconduite à la frontière ne serait rédigeable, et le calcul, sans lequel il serait impossible d’évaluer l’évolution tendancielle des marges bénéficières d’une entreprise après délocalisation. Ce berceau de l’Humanité, la Mésopotamie, s’ouvre vers l’Ouest par la ville de Diyarbakir, la capitale du Kurdistan turc. Le centre ville est ceint d’une muraille que les Kurdes prétendent la plus grande au monde après la muraille de Chine. Il me semble que les murs de Sidi Ifni (au sud du Maroc) ou de Khiva, en Ouzbékistan, sont plus grands. Mais bon, admettons.

La vieille ville est un petit dédale de ruelles couleur brique ; couleur brique ocre-grise avec, de-ci de-là, un ancien caravansérail, une vieille madrasa, une mosquée ou une église (il y a encore 80 ans, la moitié de la population de la ville était chrétienne ; aujourd’hui ne subsistent que quatre églises en activité).
Autour des enceintes, une nouvelle ville turque s’étend sur fond de collines désertiques. Mais Diyarbakir n’est pas une ville « turque », il s’agit de la capitale du Kurdistan turc. De l’autre côté des montagnes, ce sont les villes kurdes de Syrie et d’Irak.
En général, quand on évoque le Kurdistan, viennent en mémoire de vagues souvenirs de charniers dans des villages turcs ou dans l’Irak de Saddam Hussein. Et un cortège en queue de manif’ parisienne, avec drapeaux rouges, photos de martyres et portraits de leader moustachu. Alors allons-y pour la petite parenthèse historique : on retrouve des populations kurdes en Irak, Iran, Turquie et Syrie. Gazés en Irak sous Saddam Hussein et aujourd’hui en région semi-autonome sous tutelle américaine, sans même le moindre droit en Syrie (pas même le droit à la nationalité syrienne), traités sous une égale dictature que les autres Iraniens par les imams de Téhéran, les Kurdes ont subi en Turquie, là où ils sont le plus nombreux (à peu près 12 des 20 millions de Kurdes), un traitement peu enviable.

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Ankara niait l’existence d’un peuple spécifique aux « Turcs des montagnes » et interdisait l’usage de sa langue, et même les noms de famille kurdes. Et la loi, Ankara ne recule devant aucun sacrifice pour la faire appliquer ! En réaction, le PKK a été fondé il y a trente ans par le très charismatique Abdullah Öcalan pour défendre sur les quatre territoires kurdes les droits de ce peuple. L’organisation, qui est passée à la lutte armée en 1984, réclamait l’indépendance des territoires dont ceux à la population majoritairement kurde du Sud-Est de la Turquie.

Aujourd’hui, le PKK ne demande plus qu’une autonomie au sein du système fédéral, l’amnistie pour les rebelles, la libération d’Öcalan et une forme de fédéralisme trans-national avec les trois autres Kurdistan, ce qui n’a pas empêché les USA de placer le PKK sur leur liste officielle d’organisations terroristes. Si l’armée turque ne conçoit guère de sortie pacifique de ce conflit (elle continue à refuser le cessez-le-feu proposé par le PKK et n’a renoncé à ses opérations anti-kurdes en Irak qu’après intervention américaine), le gouvernement islamiste d’Ankara, peu sujet au centralisme kémaliste, a lâché un peu de leste au Kurdistan sous la pression de l’Union Européenne et dans le cadre des négociations d’entrée de la Turquie dans l’UE. Elle a entre autres permis à des organisations turques de se présenter aux élections.
Reste que ce conflit aurait fait au moins 44 000 morts chez les Kurdes de Turquie.

Le Kurdistan turc est majoritairement représenté par le DTP (Parti de la Société Démocratique). Depuis les élections législatives de 2007, le DTP compte pour la première fois une vingtaine de députés au Parlement, contre 340 députés islamo-conservateurs du Parti pour la Justice et le Développement (AKP), 98 sociaux-démocrates (nationalistes et laïcs) du Parti Républicain du Peuple et 70 députés du Parti d’Action Nationaliste (extrême-droite).

La mutation pour le mouvement kurde de l’idéologie marxiste de guérilla, largement inspirée du maoïsme, en programme de gestion des villes (afin de partir à l’assaut des municipalités kurdes), a nécessité une mise à jour radicale du corpus idéologique. C’est sans doute ce qui explique que les membres du DTP se réfèrent ouvertement à l’altermondialisme et à des notions très contemporaines telles que l’écologie, le féminisme ou l’alterdéveloppement.

Diyarbakir fait partie de ces 51 grandes municipalités où s’essaye difficilement une voie démocratique pour le peuple kurde.
Les choses ne sont pas gagnées. Le gouvernement turc limite son ouverture. Les journaux kurdes continuent à être fermés arbitrairement et plusieurs élus kurdes (maires et députés) ont rejoint les autres prisonniers politiques des prisons kurdes pour, par exemple, avoir parlé en kurde dans l’Assemblée Nationale ou avoir fait traduire en deux langues (turc et kurde), le matériel officiel des municipalités kurdes.
Sans parler des actions violentes menées par l’extrême droite turque et par les groupes clandestins issus d’une adaptation turque du projet « Gladio » ouest-européen.

Voilà. C’en est fini du petit détour historique.

C’était logique que cette ville progressiste, capitale d’un peuple transnational, soit tentée par l’expérience des forums sociaux internationaux, le lieu privilégié des rencontres et échanges du mouvement altermondialiste, et accueille avec bienveillance le premier Forum Social Mésopotamien, doublé d’une AEP, Assemblée Préparatoire Européenne (L’AEP se réunit chaque trimestre d’un forum social européen à l’autre pour préparer le futur forum social européen – Istanbul, fin juin/début juillet 2010 – et cordonner les mouvements sociaux européens.)

Bon… Le mouvement altermondialiste européen est à l’image de la gauche européenne (pas super en forme) mais il continue à être un lieu d’échange et de coordination important.
Voilà donc les deux trucs que je vais essayer de raconter en piochant au gré des interventions des militants altermondialistes lors des trois jours de l’AEP et des deux premiers jours du Forum Social Mésopotamien.

Loin

Ça commence dans le petit aéroport de Diyarbakir aux murs laqués d’un jaune froid et triste, à attendre mon sac. Au plafond, des néons blafards projettent des reflets blancs sur les fusils-mitrailleurs de paras turcs aux têtes d’assassins. Au sortir de l’aéroport, dans un taxi qui m’emmène au centre-ville par des rues désertes peu, très peu éclairées, nous sommes survolés en rase motte par des avions de combat, turcs ou américains. L’arrivée, je la ressens morose. Un pressentiment fugace que la capitale kurde va dégager la même atmosphère sinistre que les photos que le PKK présente lors de rassemblements à Paris. On y voit des villages rasés, des enfants gazés, des corps mutilés, le tout en clichés quadris pétants et sur grands formats plastifiés. Je me couche en calculant le nombre d’heures qui me séparent du vol retour. Mon arrivée à Diyarbakir ne tient pas du coup de foudre.

Mais le lendemain, la ville offre un autre visage. La vieille ville est un peu grise, comme si les couleurs avaient été recuites au soleil et au sable lors d’étés brûlants et noircis lors d’hivers glacials. Les vieux bâtiments, églises, mosquées ou madrasas, sont habillés de ces rayures gris-rouges et noires, un pyjama que l’on retrouve à l’autre bout de l’Asie Centrale, dans les villes des Ouzbeks de la route de la Soie, à Samarkand ou Boukhara, sauf qu’ici les étrangers sont encore plus rares. On m’accoste dans la rue pour savoir d’où je viens. On m’offre un thé, comme ça. On papote. Enfin, on essaye, avec peu de mots en commun.

L’AEP

J’arrive dans les locaux qui accueillent l’Assemblée Préparatoire Européenne. Il y a encore moins de monde que d’habitude. Et d’habitude, c’est déjà pas bien lourd… Pas d’Anglais, pas de Nordiques, peu de Grecs (pour cause de campagne législative anticipée) – les trois derniers organisateurs du FSE – et pas tant de Turcs que ça.
Soit, Diyarbakir est loin de l’Europe de l’Ouest, mais loin de l’Europe de l’Ouest, c’est près d’autres pays et les quelques Russes, Ukrainiens et Est européens – et surtout Turcs – ne comblent pas ces absences. Grégoire Seither, du réseau de traducteurs Babel, raconte avoir traduit au Brésil, lors d’une réunion internationale, un syndicaliste anglais regrettant que les réunions altermondialistes aient lieu … si loin … Loin pour qui ?

Début protocolaire de l’AEP, avec les discours de bienvenue d’élus ou d’organisations locales. Après l’intervention du maire de Diyarbakir qui, au moins le temps de son discours, a fait sienne les revendications altermondialistes (non seulement « Cet autre monde qui est possible », mais aussi la plupart des mots d’ordre popularisés par le mouvement), c’est un intervenant d’un grand syndicat turc qui rassure les participants, après avoir rendu hommage aux prisonniers politiques kurdes – ce qui n’a rien d’anodin tant les rapports entre progressistes kurdes et turques sont parfois compliqués – et à Berthold Brecht (?) : le message est clair, les syndicats confirment leur investissement dans le prochain FSE, nous voilà rassurés.

Un représentant d’un syndicat révolutionnaire turc annonce qu’ils ont été conviés à la réunion d’Istanbul du FMI : « Monsieur Strauss Kahn a eu le culot de nous inviter à sa réunion. Tant pis pour lui : nous nous rendrons à son rendez-vous. »

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Durant l’AEP, il y a normalement des réunions de réseaux (éducation, féminisme, services publics, syndicats, climat, anti-guerre…) destinées à cordonner les actions de la période et à préparer ensemble le prochain forum. Elles sont cette fois annulée ou ramenées au minimum, à la fois à cause du faible nombre de participants mais aussi parce que depuis des mois sont restés en suspens des éléments d’importance pour le prochain FSE : où se déroulera-t-il ? Quand ? Avec quel mot d’ordre et quel programme ? Il faut avancer sur ce sujet et les réunions des commissions se déroulent donc en une seule plénière.

Un autre élément problématique concerne le choix du lieu du forum. On n’accueille pas plusieurs dizaines de milliers de personnes sans infrastructures. Avec des lieux trop exigus, comme lors du Forum Social de Malmö, on est obligé de limiter le nombre de débats. Quand les locaux sont trop excentrés des lieux de vie, on se coupe de la population locale, comme au FSE d’Athènes. Quand le forum est trop dispersé, on perd les intervenants, comme lors du FSE à Paris.

Là, la superbe université privée qui s’était proposée pour accueillir le forum s’est retirée. Il faut dire que son calcul était troublant : une université libérale accueillant le mouvement altermondialiste sous prétexte qu’une réunion européenne, même altereuropéenne, participerait au rapprochement de la Turquie de la très libérale Union Européenne… Finalement, la direction de l’université s’est ressaisie et dédit. Une autre université, dans le quartier de Galatasaraï, a accepté d’accueillir le forum.

Après ces premiers éléments positifs, le débat se gâte. Comme toujours, la question du programme répond à deux volontés totalement contradictoires et consubstantielles du mouvement altermondialiste : réduire les thématiques pour aller à la substantifique moelle des revendications altermondialistes, pour gagner en visibilité et en dynamique, ou ouvrir au plus large pour donner à voir la richesse du mouvement et mobiliser le plus largement possible. En général, ce débat fonctionne en accordéon : les organisateurs de la réunion ont réduit le nombre d’axes au maximum (et en particulier autour des thématiques qui les concernent directement), puis chaque intervenant tente d’introduire ses propres problématiques. Et, tel un soufflet d’accordéon qui, après s’être resserré se dilate à nouveau en se remplissant d’air, la liste regonfle de thématiques. Puis suit une nouvelle réunion d’un groupe de travail qui réduit de nouveau le nombre de points en synthétisant, regroupant, voire en zappant tel ou tel projet. Et une nouvelle plénière regonfle le tout… De fait, c’est surtout le rapport de force (un rapport de force serein, sans violence ni psychodrame) qui détermine quel sujet va, par rapport au forum précédent, être plus ou moins présent. Ainsi, la baisse notoire du mouvement anti-guerre (très puissant au début de la guerre en Irak) a fait que la problématique de la guerre, représentant à elle seule un axe il y a trois ans, est fusionnée avec d’autres questions.
Un esclandre, deux somnolences, trois bâillements, quatre propositions de reformulations.

Le programme avance mais le débat mêle éléments pratiques et débat de fond : comment traduire en anglais qu’on parle de crises au pluriel (crise économique, sociale, écologique, alimentaire, démocratique), demande un intervenant. « Mais ce sont toutes des crises liées au système actuel, donc des crises d’un seul système, autant dire une seule crise », répond l’autre. En pointillés, la question d’une définition d’une lecture paradigmatique ou unidimensionnelle de la crise. Au singulier, le socialisme, la lutte des classes, la décroissance, l’alternative féministe, bref un paradigme répond à une crise. Mais face à DES crises, la solution devient plurielle et bien plus compliquée. Elle s’éloigne, aussi.

De plus, les questions de langue et du bagage culturel lié au vocabulaire sont déterminants dans ce débat multilingue. Des Italiens proposent de parler de « Crise de civilisation » ce qui fait hurler des français tant « Civilisation » est connoté à droite en France.2.
L’animateur de la réunion, responsable d’Attac France, tente de gentiment recadrer les débats et repousse méticuleusement les horaires.

Les traducteurs du réseau militant Babel, sans lesquels les forums n’auraient pas lieu tant les questions de langue surdéterminent la sociologie du mouvement (si les débats avaient lieu uniquement en anglais, il n’y aurait plus de militants de terrain mais uniquement des chargés de missions de puissantes ONG, maîtrisant les langues étrangères principales) fatiguent aussi un peu à mesure que la réunion s’étire. Babel réussit le tour de force de réunir des militants traducteurs bénévoles qui assurent la traduction dans les langues principales des forums, il faudra reparler de leur boulot.

Bon, on avait prévu de s’arrêter pour manger à 14 h. Puis à 14 h 30. Puis 15 h. J’ai arraché aux organisateurs turcs une demi-heure de plus dans la salle, voilà qui devrait permettre de poursuivre ce débat trrrrrès intéressant, avec de nouvelles interventions trrrrrès intéressantes (mais si possible trrrrès concises aussi…).
Le soir, les plus courageux échangent leurs points de vue sur la crise. Mais nombreux sont ceux qui s’éclipsent, épuisés, la tête farcie de débats complexes en langues étrangères, avec dans les pattes un vol international et même pour pas mal d’entre nous, un changement de climat.

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Au matin, la sensation étrange d’avoir dormi comme une pierre au fond d’un sac m’enveloppe jusqu’au début de la réunion. Et l’on attaque à nouveau le programme.

Le débat se tend un peu quand une jeune militante féministe s’insurge contre la ghettoïsation du féminisme, relégué à un axe, parmi d’autres, et se limitant aux droits des femmes. Elle souhaite qu’il soit présenté comme une alternative globale au capitalisme, comme un nouveau paradigme. Une autre intervenante souhaite, elle, qu’on n’utilise pas le terme « féminisme », parce qu’il aurait mauvaise presse en Turquie. Bref, au choix, que le féminisme soit présenté comme une réponse centrale, englobante pour l’ensemble des problématiques, ou… qu’on n’en parle pas du tout !

Un militant turc refuse qu’on parle de démocratisation ou d’amélioration de l’Union européenne. Pour lui, l’UE est un des outils du libéralisme, comme le FMI ou la Banque Mondiale, qui impose à la Turquie et à une bonne partie du monde les « réformes » libérales. Or on ne réforme pas le FMI ou la BM, on les combat. Et puis c’est tout. « Vous n’avez pas compris. On ne veut pas parler de l’UE. Et puis c’est tout. »
D’autres intervenants arguent que la moitié de l’Europe est dans l’UE et qu’il faut donc aussi prendre en compte leur quotidien. Le blocage perdure assez longtemps. Avec quelques coups de gueule : « Ça va, hein ! On va avoir un axe sur les Kurdes, c’est pas un problème pour les Français ou les Italiens, la reconnaissance du peuple kurde. Et pourtant, c’est un axe, alors pourquoi on ne pourrait pas parler de la réforme de l’UE même si les Turcs s’en tapent !? »

Matyas, infatigable lobbyiste des pays est-européens, intervient, comme lors de chaque réunion européenne, pour rappeler qu’il faut tout faire pour intégrer dans le processus des forums les pays de l’Est. Ce travail paye d’ailleurs puisque, si pour beaucoup de monde l’Europe se confond avec l’UE, la carte de l’Europe altermondialiste est bien plus large. Elle intègre, outre toute l’Europe Centrale, la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Turquie, la Moldavie et tous les pays qui se sentent européens.

On revient sur le programme. Le temps est de plus en plus serré car l’AEP se termine juste avant la cérémonie d’ouverture du Forum Social Mésopotamien et l’on entend déjà dehors les sonos des manifestants.
La question du programme n’a rien d’annexe : il faudra répartir les centaines, voire milliers de réunions, débats, ateliers et plénières, à peu près équitablement entre chaque axe. Ces axes vont donc déterminer la tonalité politique du forum.
Finalement, un compromis semble se dessiner autour de 13 axes (on a fait péter la bouteille d’encre par rapport au précédent forum, question nombre d’axes !).3
La réunion se termine ainsi, sans avoir abordé la question des espaces thématiques, des assemblées thématiques ou des espaces autogérés. Ni les problèmes d’infrastructures, ni même la date (fin juin ou début juillet). Tout cela est reporté à une prochaine AEP à Berlin en janvier 2010.

Nous nous coulons alors tous dans la manifestation d’ouverture du Forum social mésopotamien, heureux de sortir de cette réunion, et de finir cette joyeuse promenade, bien entourés.

Ce forum est un verre à moitié vide ou à moitié plein. Mais plutôt à moitié plein. Il est certes moins gros qu’un forum européen, et certains débats semblent être un florilège de lieux communs, mais c’est aussi une réussite politique forte pour les Kurdes. Ils ont réussi à réunir le temps d’un débat des militants kurdes d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Iran. Ils ont aussi agrégé des minorités turques alévi, ksars et arméniennes et ont fait le grand chelem politique, réunissant des anarchistes aux caritatifs les plus modérés, en passant par les féministes, les écolos, toute la gauche turque et les faux-nez du PKK.

C’est aussi une réussite au niveau de l’ambiance ; décontractée, chaleureuse, studieuse aussi. Les Européens semblent un peu paumés ici. On trouve surtout des Kurdes turcs, mais aussi des Syriens, des Irakiens, des Iraniens, des Jordaniens, des Palestiniens, des Géorgiens, des Russes, des Ukrainiens, des Gagaouzes, des Libanais. Et même un Vénézuelien. Il ne manque que la Corée du Nord pour réunir le parfait portrait de famille de l’axe du mal selon Georges W. Bush.

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Le dispositif est calqué sur celui des autres forums sociaux : un camp pour les jeunes, avec tentes et auto-organisation pour le ménage et la restauration, une assemblée des mouvements sociaux, des pass en carton avec nom sur fond orange, des ateliers, des stands pour les organisations, des participants perdus cherchant dans tous les couloirs leur salle… Tous comme les forums en Amérique Latine donnaient lieu à des superbes démonstrations de tropisme latinos (C’est ici que se fait l’histoire), le Forum mésopotamien fait son tropisme : c’est ici qu’est née l’humanité ; c’est la région des tous les enjeux géostratégiques…
Les deux n’ont pas forcément tort. Il est évident que si le vent chaud de la contestation souffle depuis Caracas ou Cochabamba, c’est ici qu’on se dispute les territoires gorgés de pétrole entre Russie, Chine, Inde et Occident. On mesure aussi le décalage avec nos réunions ouest-européennes assez dépressives, où nous avons le sentiment aigu de n’être au centre de rien : ni au cœur de l’Empire, ni de sa contestation, même pas à sa périphérie. Non, juste normalement intégrés. Sans grand dynamisme. Ni, hélas, de fortes contestations. Ni, heureusement, de fortes répressions. Au pays de l’eau tiède.

Revenons au forum

Hier, la manifestation était joyeuse et colorée. En tête, les familles des morts, des blessés et des prisonniers de la cause kurde, puis les associations et partis, les syndicats et ONG. Puis un grand désordre. Des drapeaux rouges, des noirs, des de toutes les couleurs. Des jeunes (en nombre), des vieux, des hommes, des femmes. Des tatoués à dreadlocks et du moustachu en costume traditionnel. Pas un raz-de-marée, mais une bonne ambiance, dynamique, saluée sur tout le parcours par les habitants des quartiers populaires.
La police turque nous suivait, elle, à distance. Casques, matraques et boucliers, mais aussi fusils à pompe et tanks. Difficile d’oublier, le temps de cette manifestation, un grand rassemblement du printemps dernier qui s’est conclu par une foule visée par la police et des tirs touchant indistinctement hommes, femmes et enfants.


A suivre…



1 Tu sais peut-être que tu peux visionner les très classieuses œuvres de Mathieu Colloghan en son « atelier numérique », ICI. Et tu n’ignores pas - sans doute - que tu peux notamment retrouver ses dessins dans Le Plan B et dans Fakir.

2 Accompagnant le dessin, cette remarque : On dirait le débat entre Alice et Humpty-Dumpty dans De l’Autre côté du miroir de Lewis Caroll : - « Lorsque moi, j’emploie un mot, répliqua Humpty-Dumpty d’un ton de voix quelque peu dédaigneux, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie. Ni plus, ni moins. - « La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire. - « La question, riposta Humpty-Dumpty, est de savoir qui sera le maître. Un point c’est tout.

3 Pour la liste de ces 13 axes avec leurs sous-axes, se reporter au carnet ci-dessus, nous ne l’avons pas recopiée.


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 29 octobre 2009 à 10h53, par CaptainObvious

    Pour une bête histoire de gabarit, Article11 ne pouvais publier ce carnet à une taille suffisante pour en lire le texte aisément.

    Et en pdf ? c’est très pratique, c’est même utilisé pour la bd.



  • jeudi 29 octobre 2009 à 14h58, par dav

    Très bon reportage, oui.

    Vivant à Istanbul, je voudrais juste préciser que la Turquie vit une époque de changements très importants avec, entre autres, la tentative de démantèlement du réseau Ergenekon, tête du gladio turc évoqué.

    Mais surtout, en rapport avec cet article, le 1er ministre Erdoğan (AKP) après un discours historique l’été passé concernant les questions Kurde et arménienne, continue à lancer le processus d’apaisement.
    D’ailleurs, suite à cela, depuis sa cellule Abdullah Öcalan a appelé les groupes armés du PKK à rendre les armes pour s’inscrire dans ce processus, et l’on a vu depuis 1 semaine différents groupes se rendre et être (selon les rumeurs venant de l’Est) plutôt bien accueillis par les soldats turcs.

    Je n’ai pas de sympathie pour l’AKP. Ils ont effectivement une base religieuse qui ne peut pas me plaire.
    Mais force est de constater qu’il révolutionne en quelque sorte le pays (concernant certains sujets, mis à part la religion bien sûr...) avec beaucoup de courage.

    Car, et pour finir, dans ce pays où le nationalisme est à ce point exacerbé qu’il est selon moi l’un (le ?) problème central, le 1er ministre et l’AKP sont violemment attaqués par le reste de la classe politique et les journaux afférents, qui considèrent ces processus de rapprochement (pacification des relations avec l’Arménie et les kurdes) comme des actes de trahison envers la nation et le « peuple turc »...

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