lundi 23 mars 2009
Le Charançon Libéré
posté à 11h57, par
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C’est une lumineuse lettre ouverte que l’un de nos plus glorieux philosophes vient de publier en Le Figaro. Alain Minc y invite ses « amis de la classe dirigeante » à prendre acte de la crise et à satisfaire le besoin d’égalité et de justice de la piétaille. Sauf que… la lettre n’est pas la bonne. Article11 a retrouvé l’original de la missive, dans laquelle Minc exhortait ses « amis de la classe dirigée » à se réveiller. Un document exceptionnel.
Pas pour rien qu’il a placé la Liberté guidant le peuple sur l’un des grands ouvrages qu’il a fait paraitre… Au fond, Alain Minc est un révolutionnaire, un vrai. La preuve avec cette « Lettre ouverte à mes amis de la classe dirigée », pendant prolétariste de la missive que le bouillonnant intellectuel a fait paraître dans Le Figaro.
Nul ne peut me soupçonner d’être votre ennemi : c’est plutôt le reproche inverse que j’aimerais subir à longueur de colonnes dans les journaux. Mais je suis aujourd’hui inquiet pour vous, car je ne comprends ni votre absence de réactions, ni - pardonnez-moi le mot - votre immobilisme. Malgré les apparences officielles, la France n’est pas la Guadeloupe : le peuple de la première reste inerte quand celui de la seconde a su se battre pour décrocher ce qui lui revenait de droit. De là le poids des différences. Ici, les syndicats essaient de canaliser tant bien que mal le mécontentement et donc de préserver l’ordre social. Les pouvoirs publics s’efforcent de sauvegarder le déséquilibre profond qui est base de notre société, et par-delà de maintenir la fiction d’une République dont la devise originelle est depuis longtemps si foulée aux pieds qu’elle n’est plus que grossière mascarade. Les puissants se battent pour leurs positions, gonflant toujours leurs lignes de trésorerie, et sont en fait en la crise comme des poissons dans l’eau. Et pendant ce temps, vous qui avez les yeux fixés sur un horizon qui se resserre, chômage de masse et fins de mois difficiles, vous semblez n’avoir pas remarqué que rien ne changeait, si ce n’est en pire.
Au lieu de jouer le rapport de force, quelle image avez-vous donnée la semaine dernière ? Vous descendez dans les rues par millions pour dire votre haine de ce gouvernement et votre volonté de mettre un coup d’arrêt à sa politique de classe, mais vous ne poursuivez pas votre avantage, rentrant bien sagement chez vous une fois le défilé terminé. A tel point que François Fillon et Nicolas Sarkozy se sont gaussés de votre promenade ensoleillée, clamant haut et fort qu’ils ne changeront en rien leur fusil d’épaule, laissant même accroire que les manifestations records les ont encouragés à tenir bon, énième répétition de ce « j’entends mais je ne tiens pas compte » que les cercles du pouvoir entonnent à satiété.
Hors donc, comment réagit le peuple ? Comme s’il n’avait ni le pouvoir - c’est naturellement faux - ni le désir de changer les choses. Passons sur l’attitude des syndicats, dans leur rôle quand ils essaient de ratiboiser la contestation, de la garder en des proportions si raisonnables qu’elle ne puisse jamais provoquer de bouleversement majeur. Mais que penser de la manière dont vous, l’immense masse des mécontents, portez vos revendications ? Que pensez de votre capacité à vous contenter d’une sèche fin de non-recevoir comme réponse à vos inquiétudes, même pas l’illusion d’une unique mesure pour prendre votre mal en patience et mieux garder l’échine courbée.
Vous avez les nerfs à fleur de peau et vous sentez à juste titre que vous subissez une crise dont les puissants et les cupides sont les seuls fautifs. Comprenez-vous qu’un tel constat appelle une réaction de votre part, qu’il est temps de prendre les choses en main plutôt que de laisser les élites dégoiser à n’en plus finir sur le meilleur moyen de ne rien changer ? Ignorez-vous que la quête de l’égalité est une constante de notre histoire et que 1789 se joue en 2009 ? Sentez-vous le grondement des possédants, l’égoïsme des puissants mais aussi le sentiment d’impunité dont ils font preuve, eux qui ont fait main basse sur ce pays ? Acceptez-vous de méditer ce mot de Maximilien de Robespierre, un habitué des révolutions : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs » ?
Un léger « retard à l’allumage » est pardonnable ; un excès de pusillanimité, non, surtout quand il s’assimile à une pulsion suicidaire.
Amis, de grâce, reprenez vos esprits !