vendredi 29 mai 2009
Sur le terrain
posté à 18h12, par
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Militants mous, logorrhéistes écologiques, défenseurs des animaux sans suite dans les idées, voilà un homme dont vous pourriez prendre de la graine. Une trentaine d’années de combat écolo, une dizaine de bateaux coulés, des centaines de cétacés sauvés et aucune condamnation à son actif. Une efficacité diabolique pour un activisme pirate des plus réjouissants.
« A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine, Tu ne veux pas aller, Et pourquoi donc ? Et pourquoi donc que j’irais pêcher une bête Qui ne m’a rien fait, papa, Va la pêpé, va la pêcher toi-même [...]. » (Prévert).
Bon, c’est promis, juré, on va pas tomber dans le mélo écolo. On va essayer, en tous cas. On va d’ailleurs évacuer ça tout de suite histoire que ce soit réglé : personnellement, on préfèrerait s’occuper des humains avant de s’occuper des animaux. C’est dit. Mais, quand notre survie passe par celle des bêtes, le problème devient social, on s’en préoccupe enfin et tous les coups sont permis contre les enflures qui se font du blé sur notre futur. Qu’on en ait ou pas. De futur ou du reste.
C’est d’ailleurs la chose qui nous intéresse le plus chez Paul Watson, qui nous a incité à aller assister à une conférence qu’il donnait à Jussieu en avril dernier (toutes les citations en italique sont d’ailleurs issues de son intervention, sauf mention contraire). Plus encore que son combat, ce sont ses méthodes bizarroïdes qui poussent à s’interroger : qu’est-ce qu’on fout encore là, à taper sur cet ordi à la con, au lieu d’être en train de découper des panneaux publicitaires illégaux à la scie à métaux ?
Paul Watson (Bio détaillée ici), donc, c’est le fondateur bientôt sexagénaire de l’association Sea Shepherd, qui se dédie à la préservation de la biodiversité marine1, et mène depuis plus de trente ans des actions sacrément couillues. Qui se dit - avec toujours un sacré sens de l’emphase - « prêt à mourir pour la cause », et le montre.
Un espèce de Cousteau politique qui a à son actif une dizaine de baleiniers coulés, dont le sabotage de la moitié de la flotte islandaise en 86. Ce à quoi il faut ajouter un quota de pêche divisé par deux et 75 millions de dollars de pertes sur les trois dernières années pour la flotte baleinière japonaise, endettée envers l’état japonais à hauteur de 50 millions de dollars (autant dire que s’il continue à leur mettre des bâtons dans les roues, ils vont se casser la gueule d’ici peu).
On peut aussi le créditer de son rôle de premier plan dans l’interdiction des filets dérivants, du fameux cliché battu et rebattu de Brigitte Bardot sur la banquise avec les bébés phoques et surtout de modes d’action créatifs, non dénués d’humour, intelligents et efficaces. Sans le moindre blessé ni aucune condamnation, malgré le côté assez bourrin de son militantisme.
D’un côté, donc, la face béni oui-oui qui va déplaire à ceux qui ne supportent pas qu’on se batte pour les droits des animaux. « Quelqu’un qui choisit de s’occuper des animaux plutôt que des humains, ça me dégoute » m’a-t-on dit il y a quelques temps. De l’autre, des actes ou prises de position lui valant les foudres des bien-pensants : ainsi lorsqu’il s’est fait virer, avec bateau et équipage, des îles Saint-Pierre et Miquelon à la suite de la mort de quatre pêcheurs de phoques, le lendemain d’une intervention sur RFO où il déclarait que la chasse aux phoques était un drame plus grand que la mort des chasseurs. Ou encore lorsqu’il explique durant les nombreuses conférences qu’il donne à travers le monde en dehors des saisons de chasse à la baleine que les pirates somaliens le sont devenus par notre faute, qu’il s’agit simplement d’anciens pêcheurs devenus pirates parce qu’ils ne trouvaient plus de poisson. « Au lieu de les stigmatiser lorsqu’ils attaquent un thonier français au large de la Somalie, on ferait mieux de se demander ce que ce thonier faisait là. Et c’est pareil avec les bateaux norvégiens au large des côtes indiennes. Ce sont ces gros bateaux de pêche industriels les véritables pirates. »
Pour la petite histoire avec sa grande hache...
Alors qu’il a déjà quelques années de militantisme à son actif, Paul devient le huitième membre fondateur de Greenpeace. A l’époque où l’association avait vraiment la classe et faisait autre chose que des pétitions dans tous les sens. L’époque où ils empêchaient des essais nucléaires en allant se foutre dans la zone de lancement. Celle où (en juin 1975) il risquait sa peau sur des petits bateaux à moteur en se plantant entre les baleines et leurs chasseurs, alors que ces derniers - baleinier soviétiques peu scrupuleux - l’auraient volontiers harponné.
Celle (en 76) où il bloquait les bateaux partant à la chasse aux phoques, simplement en restant debout sur la banquise sans bouger. En témoigne cette photo (ci-dessous) où les David écolos font plier l’immense Goliath de ferraille, Bibi Phoque à leurs pieds. La classe.
Et puis il quitte l’association en 77, parce que leur manière d’agir commence à avoir moins de gueule, à être un peu plus consensuelle. Ou bien il se fait virer selon certains, peu importe, de toutes façons c’est tout à son honneur. En tous cas, comme il se plait à l’asséner : « On va pas sauver la planète en tenant des meetings ou en multipliant les discussions, ni en signant des pétitions. »
Et il fonde sa propre association, Sea Shepherd (« berger de la mer », littéralement). Avec elle, il continue son combat contre la chasse aux phoques. Parce qu’ils participent à la régulation des écosystèmes, en mangeant certains types de poissons et empêchent ainsi la prolifération d’autres espèces plus bas dans la chaine alimentaire. Il y a débat sur les phoques2, on le sait, et on s’en fout.
En tous cas en filmant les méthodes utilisées par les chasseurs de phoques3, en ramenant la Bardot sur la banquise et en médiatisant le problème, il marque quelques points dans l’opinion internationale. D’ailleurs, en montrant ce qui sort des filets dérivants, il parvient à faire interdire ces derniers. Des saloperies qui choppaient et tuaient sans discernement tout être vivant sur une distance de 50km.
Quant aux phoques, comme leur teindre la peau pour faire chuter leur valeur commerciale ne suffit pas, il suffirait selon lui que l’Europe interdise le commerce des produits issus du phoque pour que le Canada consente enfin à interdire sa chasse. Ça tombe bien, l’interdiction vient juste d’être votée par le parlement européen (le 5 mai dernier).
Mais son combat principal s’articule autour de la chasse à la baleine. Si tous les pays, même le Japon, la Norvège et l’Islande ont accepté de cesser de les chasser et de respecter leurs zones de reproduction, la pratique est bien loin de suivre les grandes déclarations creuses balancées sur la scène internationale. Ainsi, la flotte japonaise en chasse toujours environ un millier par an sous couvert de « recherche ». Des recherches qui n’ont bizarrement abouti à aucune publication en 22 ans, alors qu’on trouve de la viande de baleine un peu partout sur les marchés nippons. Étonnant.
Comme le dit Watson : « Des lois internationales existent, mais elles ne sont pas appliquées par les gouvernements parce qu’il n’y a pas de motivation économique derrière. Donc on les fait appliquer nous-même. »
Alors durant la saison de pêche Watson les traque, les débusque, les semonce, puis les éperonne. Jusqu’à ce qu’ils lâchent l’affaire. L’association se targue de 305 baleines « sauvées » cette année, soit environ un tiers de ce que les Japonais tuent habituellement. Nul doute que sa tête est mise à prix pour un sacré paquet de graisse de baleine au pays du soleil levant. Les intérêts en jeu sont énormes, la réaction à la hauteur : désormais un bateau de la marine japonaise accompagne les braconniers, et les « pauvres pêcheurs » (qui ne savent pas ce qu’ils font) lui tirent parfois dessus, tout simplement, sans faire de détails. En témoigne cette vidéo (TF1, toutes nos excuses...) où Watson se prend quand même une balle (aux alentours de 5 mn 30).
Quant à lui, il répond en balançant d’énormes boules de beurre rance, remplies d’un liquide huileux au possible. Ce qu’il appelle la « guerre chimique biologique ». Ça pue, ça glisse et c’est redoutable, même si ça ne blesse personne. Et quand ça ne suffit pas, il dispose de quelques tonnes de pudding à haute pression, qu’il balance sur la tronche des récalcitrants. Si on y ajoute les canons à eau, le lancer de bouteilles de peinture, bombes puantes et fumigènes, un grillage électrifié et un ouvre-boite géant à l’avant du bateau pour rendre les éperonnages plus efficaces, voilà notre Watson fin prêt à couper le sifflet aux baleiniers.
Et la faim dans le monde, alors ?
Non-content d’empêcher les pôvres pêcheurs de baleines et autres chasseurs de phoques industriels de gagner leur croûte à la sueur et aux larmes des ressources marines, il adopte également une ligne de conduite totalement anti-pêche, partant du principe que c’est actuellement l’industrie humaine la plus dévastatrice pour l’environnement. Et que des tentatives de « pêcherie durable » sont désormais une aberration : il y a trop de gens et pas assez de poissons, d’autant plus que les pêcheries industrielles sont sur le point de s’effondrer : en continuant à ce rythme, selon l’ONU, il n’y aura quasiment plus de poisson dans les mers d’ici 2048 (d’ici 2025 selon lui).
Autre fait peu connu, environ 30 à 40% de cette pêche sert à nourrir d’autres animaux, qu’ils soient élevés et abattus à la chaine ou « de compagnie ». Les porcs et les poulets mangent plus de poisson que les requins : « nous avons fait des cochons les plus gros prédateurs des mers4 ! » s’exclame-t-il, avant d’ajouter que « tous les chiens et chats du monde mangent plus de thon que tous les poissons du monde. Alors que dans la nature, vu leur taille respective, c’est plutôt le thon qui aurait tendance à manger le chat... »
Même un moratoire de plusieurs dizaines d’années ne suffirait pas à reconstituer les ressources halieutiques saignées à blanc par notre mode de consommation. Pour montrer l’exemple, Watson impose un végétarisme absolu sur tous ses bateaux. Et le préconise comme une direction à suivre : ne plus manger de poisson, du tout, pour ne plus avoir à en pêcher. Inutile et sans effets, que Bibi se prive de ses petits bâtonnets panés pour se donner bonne conscience ? Pas pour Watson, qui croit dur comme fer au pouvoir de la mobilisation individuelle et à notre capacité à faire bouger certaines choses en tant que personnes lambda. A notre pouvoir énorme, même si on n’en a pas toujours conscience. Toutes choses qu’il a a priori suffisamment démontré lui-même.
Et de poursuivre : « L’ennemi c’est nous : nous sommes en guerre contre nous-même. Toutes les espèces qui n’ont pas respecté les lois naturelles se sont éteintes, et c’est à coup sûr ce qui nous arrivera. [...] La forme la plus importante d’intelligence, c’est l’intelligence écologique, la capacité à vivre dans un écosystème sans le détruire. Et dans ce domaine, on est vraiment en queue de liste... »
A force de se faire traiter de pirates et d’ « écoterroristes » (pourquoi pas membres de la mouvance « écolo-autonome », tant qu’on y est ?), les membres de Sea Shepherd ont décidé d’assumer les mauvaises intentions qu’on leur prête : « Il faut des pirates pour arrêter les pirates, parce que les plus gros pirates, ce sont les gouvernements. » Et de récupérer certains symboles de nos bons vieux corsaires, tel ce drapeau flottant à la cime de leur bateau. Et quelques principes de base, différents de ceux des corsaires de la belle époque mais on ne peut plus respectables dans le cadre d’un militantisme radical. Principes qu’on peut résumer rapidement par « Pas de blessés, pas de compromis ». C’est l’action qui fait la différence, mais si on respecte certaines règles. Et, ultime recommandation, il préconise d’ « agir avec passion, pour obtenir des résultats. » Ainsi, l’association s’attaque au matériel mais pas aux hommes, prônant une « non violence agressive » qui lui a valu le soutien du dalaï-lama.
Paul Watson et son équipage n’ont jamais été condamnés, soit parce que les films systématiquement tournés par l’équipage les ont toujours innocentés, soit parce que les « victimes » étaient elle-mêmes hors-la-loi.
Le pirate sous les sunlights
Sea Shepherd grossit lentement, mais sûrement, avec des militants de qualité et des méthodes différentes de celles de la plupart des grosses ONGs : pas de publicité, pas d’appels aux dons, pas d’envoi de papier inutile. A la différence de ce qu’il appelle les « organisations de bonne conscience », la plupart des ONGs, qui sont selon lui des « managers du fric » mettant souvent la moitié de leur budget dans la collecte de fonds. Ou de Greenpeace qui envoie environ 50 millions de courriers par an pour demander du blé. Ce papier gaspillé, il juge ça tout simplement « immoral ».
Donc Sea Shepherd grandit, petit-à-petit, grâce au bouche à oreille. Mais aussi en développant une relation aux médias quelque peu particulière. Pour des raisons diverses, les caméras sont omniprésentes aussi bien sur les bateaux de Sea Shepherd qu’autour de Paul Watson. Que ce soit pour montrer ce qui se passe réellement face aux chasseurs, celles de la presse traditionnelle ou celles qui tournent la série « Whale Wars5 ».
Paul Watson a depuis très longtemps compris le pouvoir des médias, principalement audiovisuels, et l’impact qu’ont les images sur la population. Et choisit de les utiliser, que ce soit pour émouvoir avec les phoques, prouver son innocence, se targuer du soutien du Dalaï-lama ou tenter de divertir et sensibiliser à la fois. Ainsi, en plus de TF1, Paul Watson est déjà apparu dans « Les Seigneurs de la mer », un documentaire grand public sur la préservation nécessaire des requins au sein des écosystèmes marins. Un peu trop hollywoodien pour être vraiment convaincant, mais néanmoins intéressant.
Le débat est proche de celui qui tourne autour de la relation des Enfants de Don Quichotte, par exemple, aux médias : vaut-il mieux qu’on parle à tous prix de la cause - à priori juste -, ou doit-on se méfier des journaleux qui déformeront le combat au profit de la tournure la plus « spectaculaire » possible de l’information ? Les membres de Sea Shepherd ont choisi la première option, entre autres parce que leurs actions boucanières plaisent bien à la plupart des médias. Ils sont donc relayés assez rapidement et - ne faisant pas de publicité - comptent là-dessus pour faire avancer la cause, se faire connaître et ancrer les raisons de leur combat dans l’esprit des gens.
Mais on peut légitimement se poser la question de la pertinence qu’il y a à utiliser comme support « publicitaire » ceux qui déforment le message et sont en grande partie responsables du manque d’éducation écologique des populations. Lucide, le capitaine justifie la série « Whale Wars » par le fait que « les médias veulent du drame et pas de l’éducation. Ils cherchent avant tout à distraire le public. Donc on a cherché à attacher notre message à quelque chose de distrayant. D’où ce show. »
Entre ça (le rapport ambigu aux medias) et les militants écolo plus doux, qui considèrent que les actions de l’association donnent une mauvaise image de leur combat (On retrouve en partie dans débat l’opposition entre « Black Blocks » et « Alters », aussi bien sur la question des médias que sur celle de la violence), Sea Shepherd - constamment le cul entre deux chaises – a tout de même réussi à creuser son trou dans le fossé des aberrations, mensonges et hypocrisies qui sont le lot quotidien de tous ceux qui prétendent nous gouverner. Et se retrouvent absolument démunis face à ce type de militantisme frontal.
Œil pour œil, dent pour dent ? Élémentaire, mon cher Watson...
1 Plus d’infos sur le site de l’assoc.
2 En témoigne cet article très intéressant de Rue 89 sur le sujet.
3 En même temps, facile pour Bibi Phoque d’émouvoir, avec ses grands yeux plein d’amour et sa cervelle vermeille éclatée sur la banquise immaculée... Tricheur !
4 Citation piquée dans un article intéressant que vous trouverez ICI.
5 Série télé suivant les membres de Sea Shepherd dans leurs campagnes contre les baleiniers, qui débarque prochainement en France.