vendredi 3 avril 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h23, par
9 commentaires
Difficile de s’opposer quand les forces adverses, celles de l’ordre, sont mille fois plus nombreuses et mieux équipées que vous. Encore plus dur quand l’espace qui vous a été dévolu est réduit à sa plus simple expression, petit bout de terrain concédé loin en périphérie. Se faire une place est ainsi l’un des principaux enjeux qu’ont à relever les participants au contre-sommet. Hier, ça aurait pu mieux fonctionner.
Il ne fallait pas rêver.
Et il était évident qu’un sommet si minutieusement préparé et mitonné aux petits oignons par les autorités ne pouvait laisser que peu de place à la contestation.
Sinon un petit espace, celui du camp des participants au contre-sommet, loin en périphérie de Strasbourg.
Pas de surprise, donc.
Mais une légère impression de surréalisme, provoquée par le bruit des sirènes qui résonnent sans cesse sur la ville, par celui des hélicoptères qui la survolent sans discontinuer et par une présence policière si massive qu’on pourrait se croire projeté dans un monde parallèle, habité des seuls CRS et uniformes en armes.
Et puis, aussi, ce vague sentiment de n’être qu’un poisson dans une nasse, proie dont chacun des mouvements potentiels a été analysé, décortiqué, prévu.
Et même : provoqué.
Ce brave vieux Carl a écrit un paquet de conneries.
Mais a aussi laissé en héritage une ou deux sentences pas si idiotes que ça, à commencer par celle-ci : « La guerre est un acte de violence dont l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. »
Maxime que les autorités responsables de la sécurité du sommet de l’Otan ont, à défaut d’avoir lu von Clausewitz, parfaitement assimilé.
Jusqu’à mener par le bout du nez la tentative - il n’est guère d’autre mot - de manifestation conduite hier après-midi par une partie des participants au contre-sommet.
Initiative enclenchée sur les coups de 15 h à partir du camp de Ganzau, joyeux et sympathique espace autonome - situé à sept kilomètres du centre de Strasbourg - où les contestataires de tous poils ont posé leurs tentes et monté des ateliers, espaces de discussion et autres bars à prix libre.
Et destinée à saluer la mémoire de ces opposants au G20 qui, de l’autre côté de la Manche, se sont fait défoncer en beauté par les artistes de la matraque et autres spécialistes de la dissuasion policière.
Une manifestation de solidarité, donc, lancée sous des auspices plutôt guerriers, une bonne part des 1 000 participants étant habillés de noir des pieds jusqu’à la tête, cagoule et gants en sus, numéro de l’avocat de la « legal team » inscrit au marqueur noir sur l’avant bras à l’image de ces motards affichant leur groupe sanguin sur leur casque, certitude d’en découdre tellement affichée que je faisais l’effet, avec mon keffieh rouge et mon jeans délavé, d’être un indic de la police en pleine tentative d’entrisme.
Cortège décidé à gagner la place Kleber, soit le centre-ville de Strasbourg.
Et ?
Ben... non.
Mais alors : pas du tout.
Et aussi : même pas en rêve.
Tant les forces de l’ordre n’ont pas tardé à se manifester, bloquant massivement toute avenue, rue ou même ruelle susceptible de nous rapprocher de la ville.
C’est curieux (ou justement : pas du tout) : les flics ne se sont pas montrés tant que nous arpentions le quartier du Neufhof, cité la plus pauvre de Strasbourg et située immédiatement aux abords du camp.
Laissant le cortège prendre ses aises au milieu des immeubles décrépis, jusqu’à se constituer une avant-garde de jeunes du coin, sur leurs scooters, escouade motorisée se chargeant de rapporter des infos sur les mouvements des flics et les positions des CRS.
N’intervenant pas non plus pour empêcher les quelques dégradations commises sur le trajet, abribus démolis, panneaux arrachés et façades de la cité militaire Lizé - vaste ensemble de bâtiments abritant des forces de l’Europcorps - copieusement conspuées, une partie de ses fenêtres démolies par jets de pierre ou de bouteille.
Et laissant même deux véhicules de l’armée se jeter dans la gueule du loup, professionnels en kaki qui ignoraient à l’évidence qu’ils allaient tomber sur un millier d’antimilitaristes remontés comme des coucous suisses et qui ont eu la surprise, tournant au coin d’une rue, de tomber sur la manifestation : ils ont été copieusement pris à partie avant de réussir à enclencher la marche arrière et à se dégager, in extremis.
Quartier libre, donc.
Mais seulement celui-ci : dès que le cortège touchait aux limites de la cité, les forces de l’ordre étaient là, mettant bas tout espoir d’aller un peu plus loin.
C’est là où Clausewitz pointe le bout de son sabre : en circonvenant la protestation au quartier - de très loin - le plus pauvre de Strasbourg, les autorités savaient très bien ce qu’elles faisaient.
Et il y avait quelque chose de dérangeant, sinon déprimant, à constater que les habitants de la cité allaient être les seuls à faire les frais des velléités contestataires des manifestants.
Gens du quartier qui ont même dû protéger leur seule supérette, un commerce sans envergure situé au milieu des immeubles et que que quelques excités prétendaient attaquer au nom de la lutte anti-capitaliste.
Bref : tout est là.
Et les autorités ont à l’évidence gagné la première manche, manifestants qui ne dérangent finalement que ceux qu’ils seraient censé défendre envers et contre tout.
Du même élan, les flics ont remporté la deuxième manche.
Pourchassant les participants à la manifestation alors qu’ils avaient décidé de rentrer au camp.
Allant jusqu’à les poursuivre dans une forêt voisine et interpellant une centaine d’entre eux, tandis que pas mal d’autres se sont fait copieusement matraqués.
Bref : échec sur toute la ligne.
Et il est sans doute peu de chances que les choses s’améliorent aujourd’hui ou demain, tant les forces de l’ordre ont mis en place une chape de plomb totalement hermétique sur Strasbourg.
Laquelle ne laisse aucune alternative, sinon marquer contre son camp.
1 En panne d’appareil photo, je n’ai pas ramené de clichés et me suis contenté d’en piquer sur le net.