lundi 27 avril 2009
Le Charançon Libéré
posté à 12h41, par
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Pragmatisme : un maître-mot ! Pour Martin Hirsch, du moins, qui le ressert à toutes les sauces. C’est en son nom que le Haut-commissaire à la Jeunesse s’affiche dans Le Parisien avec de Margerie, patron de Total qui va donner quelques euros à la nouvelle grande cause sarkozyste, l’emploi des jeunes. C’est aussi en son nom que j’ai décidé d’écrire à l’ami Hirsch. Si tu me lis, Martin…
J’ai un peu hésité à t’envoyer cette lettre. 30 ans tout juste, je ne suis pas tout à fait sûr de rentrer encore dans tes attributions… Je suis un peu vieux, n’est-ce pas ? Crois-moi, je suis pourtant resté très jeune dans ma tête. On n’a qu’à faire comme si j’avais quelques années de moins, tu ne dois de toute façon plus être à un mensonge prêt.
Je te balance cette petite bafouille parce que je t’ai vu dans Le Parisien. Tu posais aux côtés de Christophe de Margerie, le si social patron de Total. Mêmes costumes gris, mêmes cravates noires et mêmes sourires de faux-derche, vous faisiez tous deux la promotion - en une étrange interview croisée - de la contribution du groupe pétrolier à ton Fonds d’expérimentation pour les jeunes. C’était titré « Total va donner 50 millions d’euros pour les jeunes », histoire qu’on comprenne bien que la huitième entreprise mondiale en chiffre d’affaire ne se foutait pas de la gueule du monde. C’est clair : 50 millions d’euros pour un groupe qui a dégagé un bénéfice record de 14 milliards l’an passé, ça vous pose un contributeur. Pas de la donation de petit joueur…
J’ai bien aimé l’interview. Et j’ai apprécié aussi le bonus vidéo, que les journaleux du Parisien ont audacieusement titré : « Hirsch embarque Total pour un coup de pouce aux jeunes. » C’est marrant : spontanément, j’aurais écrit l’inverse, toi te faisant « embarquer » dans le plan de communication bidon d’un pétrolier qui a décidé de redorer à très bon compte son blason d’entreprise aussi cupide que florissante. Mais… l’essentiel n’est pas là, n’est-ce pas ? Tu as raison : il faut agir, peu importe d’où vient l’argent.
C’est étrange, pourtant : quand j’ai lu l’interview et vu la vidéo, j’ai d’abord pensé à ces dizaines de milliers de travailleurs qui ont été mobilisés de force par le si démocratique régime birman pour servir d’esclave au pétrolier qui construisait le gazoduc de Yadana. C’est loin, la Birmanie, hein ? Oui, tellement qu’on s’en fout un peu… Et puis, il y a quelque part une jolie consolation à savoir qu’une infime fraction des monstrueux bénéfices que Total a réalisés là-bas va être réinvestie ici pour la bonne cause. 50 millions d’euros, quand même…
C’est rigolo, aussi : en te voyant dans le Parisien, j’ai songé à ce jeune homme à qui tu avais gentiment donné un petit coup de pouce en février dernier. Yannick Miel, c’est ça ? À 23 ans, le bougre peut se vanter d’avoir parfaitement compris les ressorts de notre société, lui qui s’était mis en vente sur Ebay pour trouver un emploi, puis avait monté son petit stand à La Défense avec ce panneau devant lui : « Jeune diplômé en solde - Faites une offre. » Sous l’objectif des caméras et devant des dizaines de journalistes, tu n’avais pas manqué de rendre une petite visite à Yannick, histoire de lui proposer un poste. J’avais trouvé - alors - que tu étais parfaitement dans ton rôle, tant un Haut-commissaire à la Jeunesse et aux Solidarités actives se doit de récompenser l’ingéniosité des jeunes et d’encourager toutes les initiatives allant dans le sens de leur « adaptabilité » aux réalités du monde du travail. En son genre, l’idée de ce très jeune chômeur de se vendre au plus offrant, de se réduire à un coup marketing et de démontrer combien un travail est une chance immense ne récompensant que ceux des postulants capables de surnager au-dessus de la mêlée était une très belle illustration de ce que notre société néo-libérale peut produire de meilleur. Tu avais bien fait d’y apporter ta caution, évidemment.
C’est étrange enfin : dans ma tête, tout s’entremêle, ton sourire de premier de la classe et ta pseudo-action pour les jeunes - ce « plan d’urgence » qui devrait changer « la vie de dizaines de milliers puis de centaines de milliers de jeunes » - , la façon dont tu t’es empressé d’accourir pour distinguer l’initiative de ce Yannick et celle dont les grands exploiteurs modernes - Total, donc, mais aussi Danone, Total, Veolia Environnement et Accor - volent à ton renfort, le grand ramdam orchestré autour de l’annonce de Nicolas Sarkozy de consacrer 1,3 milliards d’euros à l’emploi des jeunes et la façon dont le Medef a accueilli la nouvelle - « approuvant sans réserve » un plan qui « fait clairement le choix de l’entreprise » et prône « la mobilisation et la coopération de tous ». Et puis, en arrière-fond, il y a ce joli numéro de claquettes que tu viens d’effectuer avec Christophe de Margerie et l’image de ces dizaines de milliers de personnes rabaissées au rang d’esclave. Je dois avoir mauvais esprit, mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est ainsi que tu vois ta mission, décrocher quelques piécettes auprès de ceux qui en ont accumulées au-delà de toute décence et légitimer en même temps l’ordre néo-libéral dans ce qu’il a de plus abject. Rassure-moi : je me trompe n’est-ce pas ?
Je me rends compte que je m’égare un brin. A la base, je prenais juste la plume pour te demander si tu n’avais pas un peu d’argent en trop : je suis un peu à sec en ce moment. Puisque tu as décidé de légitimer le sponsoring privé - celui des grandes entreprises au Fonds que tu viens de créer ou le tien à l’intention des jeunes disposés faire le tapin pour décrocher un boulot - , je me dis que tu pourrais peut-être me filer quelques milliers d’euros ? Ne t’en fais pas : puisque ça a l’air important pour toi, sache que je suis prêt à faire le beau devant les caméras en échange, une pancarte « à vendre » autour du cou et un sourire idiot sur la tronche. Et promis, je ne profiterai pas de l’occasion pour te traiter de gros bouffon indigne et de laquais honteux du système : tu fais ça tout seul tellement bien…