ARTICLE11
 
 

vendredi 29 août 2008

Le Cri du Gonze

posté à 12h06, par Lémi
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De l’impudeur extrême : quand Sarkozy se marre…
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Le rire de Sarko. Vaste sujet. Pas vraiment réjouissant. Un rire siglé café du commerce, gras, impudique, bigardien. Plus un rictus qu’un rire, d’ailleurs. Quand Sarko rit, c’est toujours à contre-emploi. Et, étrangement, quand il nous fait rire, ce n’est jamais quand lui rit… Pour mieux comprendre le phénomène, Article 11 vous propose une analyse ultra subjective de la poilade présidentielle.

Rodolphe Burger : Ensemble

« La lèvre frémit, se souleva presque. Quelque chose voulait sortir, s’impatientait dans ce trou, dégoûté par le contact d’une langue fourchue et molle. Derrière les faux chicots, enduit de salive rance, le rire grondait, s’agitait. Ce n’était pas un rire léger et clair, cristallin. Pas non plus un rire franc du collier. Fourbe qu’il était ce rire. N’empêche, il voulait sortir, s’exposer aux regards, s’étaler au grand air.
Alors les lèvres s’ouvrirent, et la chose fut expulsée, comme une mini marée noire, une mauvaise haleine, avec un petit bruit obscène. Je détournais les yeux, dégoûté. Et pris congé du vieil ours.
En rentrant chez moi, je me demandais, songeur : ‘comment diable une chose aussi futile qu’un rire peut dévoiler tellement de choses sur quelqu’un ?’
 »

Janus Lumignon, Le cousin Bête, éditions Mâchefer, 2003.

Le premier truc qui me vient à l’esprit, quand je pense au rire présidentiel, c’est les mecs qui aiment bien se gausser des clodos. Qui trouvent dans leurs situations désespérées motif à rigolade, se marrent en matant la déchéance. Qui trouvent leur plaisir à se dire que leur fric, leur vie sociale, leur grosse bagnole, est une marque de supériorité. Le genre de type capable d’agiter une liasse de billets devant un SDF pour le faire baver avant de lui dire : « Mec, si t’en veux des pareils, j’ai un seul conseil à te donner : au boulot ! ». Et de remballer leurs billets d’un air supérieur, comme s’ils avaient accompli une bonne action (« Remettre la France au travail », a dit le président…) en humiliant un anonyme malchanceux.

Il y a cette scène dans American Psycho de Bret Easton Ellis : des golden boys en taxi, défoncés et conquérants, fiers d’eux, humiliant dans les grandes largeurs un clodo venant quémander de quoi manger («  C’est des Calvin Klein, tes loques ? Et ta meuf, elle aime cette odeur faisandée que tu trimballes ? ») après lui avoir agité des liasses à la gueule. Des pourceaux maîtres du monde qui méprisent ceux qui n’ont pas su faire comme eux : devenir des loups sans scrupules. C’est à ça que me fait penser le rire élyséen.

Ce rire, c’est un peu comme le sable dans ton maillot de bain, il s’incruste, s’impose désagréablement, toujours au mauvais moment. Un peu aussi comme la blague du beau-frère bourré à un mariage, celui qui ne sait jamais où est la limite, met mal à l’aise tout le monde. Trop bourré, et trop con.

Je pensais à ça en regardant la vidéo du discours présidentiel devant les militaires endeuillés par la mort de leurs camarades en Afghanistan. Ce type est indirectement (il symbolise cette responsabilité, en tout cas) responsable de la mort de 10 personnes. Leurs proches sont désespérés, attendent quelque réconfort de son discours, et… il ne peut s’empêcher de balancer une vanne. Qu’elle soit naze n’est pas le problème. Qu’elle soit dite dans ces circonstance, beaucoup plus.

Là où d’autres observeraient un silence adapté, lui ne peut s’empêcher de se mettre en scène, de montrer à quel point il est fier de lui, d’être là, tout en haut. Le reste ne compte pas, s’efface, DOIT s’effacer devant cette réussite : l’accession au trône suprême.
Dans cet état, il devient aisé d’envoyer chier la première personne qui te contredit (« Casse-toi, pauv’con ! », « Descends si t’es un homme ! » ). Aisé de ne jamais écouter le moindre discours contradictoire1. De perpétuellement se palucher en regardant son reflet dans la glace ou dans le viseur de la caméra. Sarko n’aime que lui, s’auto-excite – quelle position j’ai atteinte, quelle gloire ! –, rit de lui même, onaniste sans pudeur.

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Celui que le Canard Enchainé a le temps d’un article surnommé « l’homme qui riait au cimetière » pour son comportement un tantinet déplacé lors d’une commémoration en l’honneur des résistants morts sur le plateau des Glières2 vit dans un autre monde, un monde où tout a disparu, sauf son propre ego. La douleur des autres est sans intérêt, elle n’est pas sienne.

Il y a un côté empereur romain décadent dans le rire de celui qu’Alain Badiou taxe à juste titre de « barbare » et d’« inculte ». C’est Néron qui regarde Rome brûler, ou qui, comme le raconte Suétone dans sa Vie des 12 Césars, force ses courtisans à se délecter de ses piètres tentatives artistiques3. C’est Bigard tous les jours, les « Grosses Têtes » aux plus hautes fonctions, le café du commerce perpétuel ; perfusion TF1 de gros rouge qui tache et salit.

Ce rire là, cette posture de milliardaire russe (« T’as pas vu que j’ai plus de billets que toi ? Plus de pouvoir ? Pourquoi tu t’écrases pas ? ») n’avance pas seul. Oh que non. Il va de pair avec toutes les autres postures. Les soirées aux Fouquet’s, les potes milliardaires, les croisades de luxe, les postures de mac bas de gamme, la compagne affichée comme un nouveau gagdet (« Elle est pas belle, ma chérie ? »), et surtout, le mépris pour tout ce qui n’est pas réussite, qui ne brille pas comme une toquante Cartier : le pauvre, le déclassé, l’étranger sans papier, le prolo, le chômeur, le type sans ambition. Tous des loosers !

Pour ce néo-Néron, les hommes à terre l’ont bien cherché, qu’ils cessent leurs gémissements. Ce que lui a réussi en partant de rien4 , eux peuvent bien le faire, non ? Et cessez ces pleurnicheries, c’est honteux, vous n’avez donc aucune pudeur !!!

Finalement, j’ai l’impression que cette photo (ci-dessous) visible sur le site du Figaro, et rapidement retouchée afin de la rendre plus présentable, illustre parfaitement le point de vue exposé ici : mains dans les poches, rictus méprisant, le petit homme observe avec un dégoût non masqué les larmes d’un stupide bidasse qui n’a pas le bon goût de contenir son émotion suite à la mort de ses camarades…

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Le rire de Sarkoléon ? Grincement malvenu sur les terres du bon goût, petite musique de parvenu méprisant qui du haut de son Olympe personnel vous envoie sa vérité à la gueule : « Je vous ai tous niqués, maintenant je peux tout me permettre. »



1 Me vient à l’esprit cette magnifique remarque de Dali, exposée dans le très délectable Journal d’un génie : «  Toujours soucieux de ne pas laisser mon auditoire se complaire dans des réflexions autres que les miennes... » C’est tout à fait ça, le génie en moins, évidemment

2 En même temps y’en avaient qui poussaient l’impudence jusqu’à vouloir faire une cérémonie sérieuse alors que lui se sentait d’humeur guillerette. Faut pas s’étonner, après... L’article du Canard est consultable sur ce bon billet du Post (ah, Le Post fait de bon billets ? Oui, tout arrive...)

3 Suétone : « Il n’était pas permis, lorsqu’il chantait, de sortir du théâtre, même pour les motifs les plus impérieux. Aussi dit-on que plusieurs femmes accouchèrent au spectacle, et que beaucoup de spectateurs, las de l’entendre et de l’applaudir, sautèrent furtivement par-dessus les murs de la ville, dont les portes étaient fermées, ou feignirent d’être morts, pour se faire emporter. »

4 Comme le natif de cette banlieue défavorisée qu’est Neuilly se plaît à le dire… J’en vois qui rigolent au fond, cessez ou je fais évacuer le bloug.


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