vendredi 6 février 2009
Le Charançon Libéré
posté à 10h17, par
19 commentaires
Dormez en paix, braves gens, l’ordre règne ! Et il en faut en rendre grâce à notre barreur de tête, celui-là même qui a rappelé quelques heureuses évidences hier soir sur les écrans. C’est qu’il a su - avec l’aide de quelques zélés exécutants - déceler le danger de cette mouvance anarcho-autonome que personne ne connaissait. Et mettre au pas ses membres, tous sanguinaires terroristes. Ouf…
La grande et belle (forcément…) prestation du barreur de tête, hier soir à la télévision, aura au moins eu un avantage.
Celui de rappeler - par la bande - que cela fera bientôt deux ans que Nicolas Sarkozy exerce « ce métier difficile » d’être « chef de l’Etat d’un grand pays comme la France ».
Boulot demandant - quand même… - « beaucoup de forces et beaucoup d’énergie ».
Surtout pour un homme ne mégotant pas sur ses efforts et consacrant « toutes (ses) forces à faire le mieux possible, le mieux possible… »
Oui : on se rassura en se disant que sur l’autel de ce si grand sacrifice, Nicolas Sarkozy n’a pas laissé son ego.
C’est toujours ça…
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Près de deux ans au service de la France, donc.
Et un pays changeant à vue d’oeil.
La moindre des surprises n’étant pas, pour les dignes citoyens, de découvrir certains de leurs enfants « terroristes ».
Sanguinaires « anarcho-autonomes », pressés d’égorger la République et de lui faire rendre l’âme.
Dangereux « militants de l’ultra-gauche », conspirant dans les coins de nos villes et les recoins de nos campagnes.
Tous membres d’une « mouvance » qui s’est donnée pour but la destruction de l’Etat et pour destin le renversement du pouvoir par les armes.
Rien de moins…
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En ces temps troublés où l’engagement politique se fait radical et ou les bombes fleurissent dans les têtes à défaut d’exploser dans les rues (mais : ça ne saurait tarder…), on saura donc gré à Nicolas Sarkozy, royal semeur d’embrouilles, et à ses affidés, zélés exécutants de ses oukases, d’avoir vu venir le danger intérieur.
Et de le circonvenir comme il le mérite.
Avec la douce fermeté du père punissant des enfants qui n’auraient su rester sur le droit chemin de l’obéissance.
Et la paternelle autorité d’un président qui s’accorde d’abord à maintenir la concorde et l’unité nationales.
Oui : c’est chouette de l’avoir !
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En ce tableau d’époque qui ne saurait être trop rose - et qui verse même quelquefois dans le noir bien trempé pour étendre son ombre sur les banderoles et oriflammes anarchistes - , on conviendra de ne pas attacher trop d’importance aux rares victimes de la raison d’Etat.
Et on s’attachera à ne pas tomber dans un sentimentalisme béat pour pleurer quelques destins personnels.
Ainsi de Julien Coupat, chef de file de ces anarchistes ruraux qui font rien tant que fomenter les pis attentats contre les symboles d’un siècle rapide et moderne, s’attachant à ralentir la motrice à défaut de détruire la matrice.
Insurgé ayant sans aucun doute mérité les 84 jours (déjà) passés dans les geôles de la République.
Et pernicieux comploteur qui a bien de la chance que le pouvoir - dans son infinie clémence - n’ait décidé de faire porter de plus lourdes charges pénales sur ses épaules, disons préparation d’un génocide ou complot pour mettre bas la République plutôt que « direction d’une association de malfaiteurs et dégradations en relation avec une entreprise terroriste ».
Hein…
Ainsi - aussi - d’Isa1, au cachot depuis bientôt un an parce que soupçonnée d’avoir déposé une bouteille incendiaire sous une dépanneuse de police et accusée d’avoir possédé des manuels de sabotage, le nécessaire à la préparation de fumigènes et les plans d’un Etablissement pénitentiaire pour mineurs.
Trimballée de prison en prison parce que si dangereuse, évidemment.
Et pas prête de sentir le souffle de cette liberté propre au sarkozysme courir sur ses bras et son visage.
A tout le moins…
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De ces jeunes gens qu’on accuse des pires crimes quand ils n’ont rien commis, ou si peu, il ne faudrait surtout pas faire des exemples d’une justice qui perd la boule et d’un pouvoir qui instrumentalise.
Oh non.
Mais juste se féliciter que ces dangereux terroristes - puisque c’est le mot qui convient - n’arpentent plus les rues de nos villes et ruelles de nos villages.
Oh oui.
Et espérer que le pouvoir saura débusquer leurs semblables, idéalistes militants qui ne méritent rien d’autre que la prison à vie.
Minimum.
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Et puisque je sens qu’il reste encore quelques sceptiques parmi vous, gens rétifs à comprendre combien est méritée l’incrimination de terrorisme, je copie-colle cette lettre qu’Isa a écrite depuis son cachot :
Ce qui est présupposé dans cette affaire est l’existence d’une mouvance anarcho-autonome, qui plus est terroriste. Cette idée s’appuie sur un rapport de police qui désigne des individus ayant « la haine de l’Etat bourgeois, du capitalisme, et de ses appareils ». Il y a dans ces désignations floues, inconsistantes et insaisissables un caractère extensible, malléable à volonté… Dans mon ordonnance de prolongation de la détention provisoire, il est écrit que « l’intéressée est mise en cause pour avoir joué un rôle actif au sein de la mouvance anarcho-autonome francilienne, s’adonnant à la préparation d’actes de terrorisme », que « l’enquête a montré l’existence de nombreux actes imputables à la mouvance anarchiste à laquelle la mise en examen est susceptible d’appartenir, traduisant ainsi la radicalisation de ce mouvement depuis le début de l’année 2007 » et qu’il existe un risque de poursuite ou renouvellement des infractions « compte tenu de la dangerosité des objectifs affichés de l’organisation à laquelle la mise en examen est susceptible d’appartenir ».
Jusqu’aujourd’hui, je ne sais toujours pas en quoi cela consiste et pourquoi à titre individuel devrions-nous [Isa, Juan et Damien sont inculpés pour la même affaire] payer pour tous les actes imputés à une mouvance, qui plus est fantasmée. En fait, la tentative qui est opérée est de faire croire que les faits qui nous sont reprochés rendraient compte de la réalité d’une mouvance anarcho-autonome : le montage politique impose sa logique sur toute l’instruction. (…) L’emploi, le sens des mots pourra passer au second plan, celui de terroriste les surpasse tous !
Pour les mêmes, je fais tourner une intelligente et jouissive vidéo - réalisée par le Scalp d’Île de France - , démontrant avec humour que le danger terroriste ne peut être ni instrumentalisé ni exagéré :
Et à l’intention des incrédules, je pousse l’effort jusqu’à reproduire quelques phrases du chercheur Laurent Bonneli, spécialiste des questions de sécurité s’exprimant dans Le Monde2 :
On ne peut pas séparer l’antiterrorisme des lois sécuritaires, même s’il a des dynamiques propres. Là encore, il existe une continuité parfaite entre les différentes lois qui l’organisent, de celle de 1986, centralisant la justice antiterroriste et créant une police spécialisée, à celle de 2006, où l’application des peines est à son tour concentrée au tribunal de grande instance de Paris. La prochaine étape devrait être celle de la spécialisation des présidents de cour d’assises. Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas changé grand-chose en France dans ce dispositif. Nous avions déjà trouvé une troisième voie, que l’ancien directeur de la direction de la surveillance du territoire, Pierre Bousquet de Florian, appelait la « neutralisation judiciaire préventive ».
L’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste permet d’arrêter de manière très large des personnes, de les placer en détention provisoire, voire de les condamner, avant que des actes ne soient commis. C’est cette pénalisation de l’intention qui forme le cœur du système antiterroriste français. Aussi longtemps que ce dispositif fonctionne contre des groupes construits comme un « autre » dangereux, personne ne se mobilise. Il y a eu des arrestations d’islamistes en direct à la télévision, tous relâchés par la suite, et personne ne s’en est ému. Aussi, les professionnels de l’antiterrorisme ont-ils été surpris quand l’affaire de Tarnac a suscité des réactions, car, jusqu’à présent, ils fonctionnaient de la sorte. Mais tout à coup, chacun se dit : « Cela pourrait être moi, mon fils, mon voisin… »
Alors : convaincus ?
Toujours pas ?
Diantre, vous m’inquiétez…
Peut-être devriez-vous courir en votre salle de bain et vous regarder dans un miroir : ne seriez-vous pas l’un de ces dangereux terroristes qui font rien tant que mettre la France à feu et à sang ?
Je m’en doutais…
1 Ceux d’entre vous qui sont Parisiens, ont un peu de temps devant eux et souhaitent soutenir Isa sont invités à se rendre aujourd’hui au Palais de justice (métro Cité), à 14 h devant la chambre de l’instruction, escalier A. Il s’y tiendra l’appel de la décision du juge de la détention de renouveler le mandat de dépôt de la jeune fille.
2 Pour ceux qui voudraient creuser cet aspect des choses, il y a un billet de votre serviteur, ICI.