mercredi 6 mai 2009
Sur le terrain
posté à 11h56, par
66 commentaires
En un article publié dans son édition d’aujourd’hui, Le Canard Enchaîné revient sur la fin de la manifestation parisienne du 1er mai. Et pointe le rôle plus que trouble de provocateurs policiers, qui ont vaillamment essayé de faire dégénérer les choses. Comme on y était et qu’on a assisté à une partie de ce que raconte le volatile, voici des éléments de contexte et quelques photos des flics infiltrés.
Fin de la manifestation parisienne du premier mai, le cortège morne se délite1. Rien de notable, si ce n’est une trentaine de CRS qui - sans raison aucune - s’en prennent à une dizaine de très jeunes simili-punks, occupés à descendre des bières devant l’Opéra. Les entourent. Les obligent à les suivre. Et les ramènent à leurs camions.
Quelques dizaines de manifestants, témoins de la scène, protestent, gueulent à la provocation. Les CRS se reforment en ligne un peu plus loin, isolant les jeunes qu’ils ont emportés avec eux. Bref face à face entre eux et les manifestants. On2 fait remarquer à un CRS posté sur le trottoir :
× « Ils n’avaient rien fait, ces mecs ! »
× « Je sais. »
× « Ben alors ? Pourquoi vous les interpellez ? »
× « C’est une erreur. »
× « Pardon ? »
× « Oui, c’est une erreur. On n’aurait pas dû les arrêter. »
L’homme semble sincère, presque désolé. On en reste comme deux ronds de flan, peu habitués à voir un CRS répondre poliment, encore moins reconnaître une quelconque « erreur ». On lui fait remarquer, il enchaîne :
× « Vous savez, notre hiérarchie n’est pas toujours très fine… Mes supérieurs peuvent parfois être cons et se planter totalement. Là, c’est le cas. »
× « Waouh… on n’a pas l’habitude d’entendre dire de telles choses par des gens de chez vous… »
× « J’ai votre âge, vous savez. Ça ne m’amuse pas tous les jours de faire ça. Surtout en ce moment… »
× « A cause de Sarkozy ? »
× « Oui. »
Fin de la conversation. On la pensait anecdotique, sur le moment : tomber sur un CRS humain peut arriver, voilà tout. Et rencontrer un membre des forces de l’ordre plus intelligent que la moyenne - plus critique aussi - reste possible.
Tout s’éclaire…
L’édition du Canard Enchaîné d’aujourd’hui donne un tour différent à cette conversation, et au regard désabusé du CRS sur ce qui était à l’évidence une provocation policière. Parce que le volatile consacre un article à « Ces policiers qui ’chauffent’ les manifs ». Et qu’il met en ordre logique des choses qu’on a vues, mais que nous n’avions pas eu la clairvoyance de relier. Bref, il clarifie le tableau, et on s’en veut de ne pas en avoir parlé plus tôt3.
Reprenons, avec quelques images.
« Fin de manif du 1er mai, débute l’article du Canard. Il est un peu plus de 20 heures, place de l’Opéra à Paris. A gauche de l’Opéra, un groupe de jeunes punks zones sur les marches. Des gendarmes mobiles ont pour consigne de les dégager, afin d’éviter les embrasements de fin de cortège. Soudain, une demi-douzaine d’encapuchonnés, baskets aux pieds, crânes rasés et bardés d’autocollants « Casse-toi pauv’con » ou « Rêve générale », volent au secours de leurs camarades zonards. Certains ont le visage masqué. Ils invectivent les gendarmes, les provoquent, prennent le reste de la foule à témoin… La tension monte, des projectiles volent. Forcément, ni une ni deux, les bleus embarquent tout ce beau monde, comme pris dans une souricière. Tout, sauf la demi-douzaine de provocateurs qui réussissent à s’évaporer. Et pour cause, ils sont de la maison poulaga… »
Contexte : nous sommes alors en avant des CRS, occupés à prendre des photos de l’interpellation. Derrière, ça chauffe un peu plus, on entend le bruit de verre brisé de quelques canettes qui s’écrasent au sol. Après une cinquantaine de mètres, les CRS se reforment en ligne4 et nous nous retrouvons avec les rares manifestants qui ont assisté à l’arrestation et protestent. Parmi eux, certains s’en prennent à quelques louches encapuchonnés, affairés à prendre la tangente. Une dame, notamment, crie : « Ce sont eux qui ont tout fait. Je les ai vus balancer des canettes sur les policiers ! » Elle reprend, en pointant trois capuches qui s’échappent : « Honte à vous ! Provocateurs ! » Voici la trombine de l’un de ceux qu’elle désignait, baissant la tête et pressant le pas pour rejoindre le cordon de CRS où on le verra rentrer :
Tout ça en pure perte : finalement, la provocation n’a (à peu près) pas pris. Reste qu’elle avait été diablement bien montée, entre l’arrestation d’innocents occupés à descendre des bières pour mettre le feu aux poudres et l’intervention des flics déguisés pour faire monter la tension. Un si joli plan… quel dommage !
Tandis que les manifestants (légitimes, ceux-ci) quittent peu à peu la place de l’Opéra, les civils infiltrés se regroupent. Les voici, à quelques dizaines de mètres des marches de l’Opéra (notez les oreillettes, clairement visibles, et les autocollants, pour mieux se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas) :
Voilà, c’est tout. On emprunte le reste au Canard :
La préfecture de police ne nie pas [l’existence des civils infiltrés en manif]. Difficile : de mémoire de manifestants, il y a toujours eu des flics en civils dans les cortèges. Et toujours, également, « des pousses-au-délit ». (…) Ces faux manifestants font partie d’une « compagnie de sécurisation ». Elle a été créée, officiellement en 2005, par Sarko, inventeur du « provoquer plus pour coffrer plus », à l’issue des manifs de lycéens opposés au projet de loi Fillon, alors ministre de l’Education. Selon la préfecture, il s’agissait de « protéger les manifestants » contre les provocateurs, les voleurs, les casseurs, etc. Depuis, ladite « compagnie » a fait ses preuves dans toutes sortes de manifs, au point qu’il est question d’en créer d’autres ailleurs en France. Ses membres agissent en civils, sans signe distinctif d’appartenance au à la police, cherchant « le flag’ ». Voire en le provoquant, comme ce 1er mai à Paris…
1 A ce sujet, vous ne manquerez pas de lire le brillant compte-rendu effectué, sur ce site, par les camarades Ubifaciunt & Antimollusques. Hop !
2 « On », c’est à dire Lémi et votre serviteur.
3 En même temps, et à notre décharge, nous n’étions plus très frais… Si le défilé du 1er mai ne sert pas à descendre quelques bouteilles de rosé au soleil, à quoi bon ?
4 Là s’intègre le bref échange avec le CRS cité plus haut.