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lundi 26 avril 2010

Sur le terrain

posté à 11h57, par Grégoire Souchay
4 commentaires

À Cochambamba, visite dans l’arrière-boutique des peuples…
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Ça y est : la déclaration finale est écrite, la conférence terminée, les 40 000 personnes présentes (selon les agences de presse boliviennes) ont plié bagages. Avant de revenir - demain - sur les résultats symboliques et concrets de ce sommet climatique de Cochabamba, je vous propose une petite visite guidée, en mots et photos, de cette semaine de conférence. Pour le meilleur et… le moins bon.

Indiens, indigènes et peuples originaires prennent le micro

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Rite de bénédiction lors de la cérémonie d’ouverture.

Ce sommet des peuples fut assurément celui des peuples indigènes. Le terme peut choquer en Europe, en raison d’un passé colonial pas tout à fait apaisé. Mais quel mot utiliser, alors ? « Peuples originaires » ? Le terme ne veut pas dire grand chose. « Indiens » ? Encore pire, le terme étant celui de Christophe Colomb qui, par son erreur de calcul, débarqua sans le savoir aux Amériques. On dira donc « indigènes » car c’est ainsi que ces peuples se définissent. «  Pueblos indigenas », celui qui vit sur le territoire où il est né.
Bref, les indigènes du monde entier, sous l’impulsion des mouvements boliviens, commencent à élever la voix et surtout à s’unir entre eux. Pas d’illusions, pourtant : cette « catégorie » est loin d’être uniforme, si ce n’est dans l’esprit de certains occidentaux, soucieux de conforter une certaine représentation folklorique. Ainsi que de ceux qui n’ont pas pas manqué de faire LA photo de tel ou tel représentant du peuple indigène dans son costume traditionnel…

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Photo souvenir…

Dans tous les cas, ces peuples indigènes étaient bien présents au sommet, avec en grand nombre les Aymaras et Quechuas (Bolivie-Pérou), mais aussi les peuples indigènes d’Alaska, d’Océanie, d’Afrique centrale ou d’Amazonie.
Leurs revendications sont claires : droit à l’existence. Ce qui passe par la reconnaissance des droits fondamentaux de l’environnement (la Pachamama, ou Terre Mère), par le droit de participer aux décisions du monde et par le droit de vivre selon leurs coutumes. Autant de revendications pour lesquelles - comme cela a été souligné maintes fois - ce sommet marque le point de départ d’un processus nouveau, et en rien un point d’arrivée.

Religion et charlatanisme climato-compatible

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Invitation à une conférence : religion, spiritualité et changement climatique.

Impossible de faire l’impasse sur ce point. Le sommet en lui-même a été émaillé de cérémonie de bénédiction à la Terre Mère, d’offrandes diverses et variées. C’est là aussi un point difficile à appréhender. Où est la limite ? Faut-il, comme le souhaitent les indigènes, reconnaître le caractère sacré et spirituel de la Terre Mère ? Ou en rester à une analyse économique et scientifique ? Le sujet est de taille.
Certains, d’ailleurs, ne se privent pas d’en user et d’en abuser. Ainsi de ce mouvement nommé Science Céleste, que l’on pourrait qualifier de sectaire. Ses énormes pancartes s’affichaient partout : « Jésus premier révolutionnaire » ou encore « Égalité et communisme sont une même idée ».

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J’ai aussi croisé des« illuminés », heureux possesseurs de l’unique vérité pour sauver la Terre. Par le végétalisme transcendantal, grâce à l’institut de missionologie ou encore par le biais du réseau latino-américain d’études pentecôtistes… On m’a même proposé de m’aider à réaliser « mon élévation sexuelle et spirituelle transcendantale »
Comment réagir ? Être effrayé par l’omniprésence de ces mouvements semble normal. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’on touche ici à une question restant encore vague dans le monde occidental, et complètement d’actualité ailleurs. Logique, finalement : la lutte contre le changement climatique est en premier lieu la lutte contre la disparition de l’espèce humaine ; dès lors que l’on touche à l’Humanité dans son ensemble, on touche à des questions religieuses ou spirituelles. Lesquelles peuvent prendre des formes très concrètes, par exemples pour les futurs millions de réfugiés climatiques, essentiellement dans les pays du Sud.

Green business et marketing révolutionnaire

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Verso d’un sac du sommet…

Sur le plan strictement écologique, ce sommet est un vrai désastre. J’ai déjà évoqué de douteux partenariats, dans un précédent billet1. Mais il y a aussi cette incroyable quantité de tracts et d’affiches distribués chaque jour. Ces véritables ruées humaines à chaque distribution de T-shirt ou casquette à l’effigie de divers mouvements. Ces repas et boissons servis dans des assiettes et verres en… plastique. Et jusqu’à la présence de ces revues prônant la défense animale éditées sur papier glacé…
Pour compenser, il est vrai que le tri sélectif a été mis en place dans toute l’enceinte du sommet. Et si on y trouve des jus de fruits chimiques et du Coca-cola, on peut aussi dénicher du chocolat bio et des repas végétariens.

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La mode façon fourrures de lama, devant l’hôtel Regina…

Pas moyen - non plus - d’échapper au traditionnel « marketing révolutionnaire » : T-shirt du sommet, écharpes aux couleurs du MAS2 ou documents à la gloire du président Morales ; il y a même un stand dédié à la « littérature d’Evo ». Et puis, le marketing vert, avec les films Avatar et 2012, présentés comme des documents contre le changement climatique (je précise que je n’ai pas croisé James Cameron…).
Un peu tout et n’importe quoi, donc. À l’image de cette table pleine de DVD où j’ai pu dénicher des témoignages des rescapés des massacres de Bagua au Pérou, un documentaire sur la guerre du Gaz, l’hagiographie Evo Pueblo et… cette improbable vidéo :

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Collection « aventures et émotion », hein…

Les exclus du forum des peuples

En marge du forum, s’est tenue la « table 18 », un groupe de travail spécialement dédié aux enjeux sociaux et environnementaux boliviens. Des thèmes en partie traités lors de la conférence, même si le sujet a été un peu mis à l’écart pour laisser place au consensus national promu par le gouvernement.

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Il faut dire que la présence des institutions boliviennes, au travers de la police et de l’armée, était impressionnante : tout était quadrillé. D’autant moins sympathique que l’armée bolivienne n’est pas vraiment connue pour sa tendresse ou sa douceur… Quant à ces banderoles à l’entrée du sommet qui demandaient la « déclassification immédiate des archives des forces armées », elles n’ont pas fait long feu, vite enlevées par des militaires. Excès de zèle ou consignes hiérarchiques ? Difficile à dire. La banderole était en tout cas de retour le lendemain, au même endroit. Je n’en apprendrai pas plus sur le sujet.

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Dans la même veine, il y a eu également ce matin du jeudi 22, où j’ai voulu me rendre - comme beaucoup - au « Dialogue peuples-gouvernements », organisé dans l’enceinte de l’hôtel Regina et en présence, entre autres, d’Hugo Chavez et Evo Morales. Le déploiement policier et militaire était tel qu’on se serait cru en guerre…
De toute façon, l’intitulé était un brin mensonger : j’ai appris sur place que le « peuples » de « Dialogue peuples-gouvernements » désigne en réalité les présidents de groupes de travail, les invités des organismes internationaux et les délégués de chaque nation. Dommage… Un représentant important de plusieurs mouvements indigènes est ainsi resté bloqué à l’entrée parce qu’il n’était pas allé récupérer son « pass spécial », la veille. Ce fut, au final, le seul événement du sommet non ouvert au public.

Revenons à la « table 18 », que j’évoquais un peu plus haut… Elle s’est donc tenue en marge du sommet, regroupant tous ceux qui se retrouvent autour d’une critique écologiste et sociale radicale du processus bolivien. Les militants de cette cause sont en réalité de fermes soutiens d’Evo Morales qui se trouvent directement victimes des projets de développement industriel national : mines à ciel ouvert, contamination des eaux, usine de lithium dans le désert de sel sacré d’Uyuni, méga-barrage hydro-electrique en Amazonie (à visée uniquement exportatrice )… Les sujet de protestations ne manquent pas. Dans le même temps, pourtant, les peuples de ces pays revendiquent le droit au développement. Où est la frontière ? Quelqu’un m’explique : « Le problème essentiel pour nous est de savoir si le nouveau projet révolutionnaire du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur conçoit l’extractivisme comme une phase transitoire vers un nouveau modèle de société ou si l’on en reste au paradigme du développement sans limite. »

Eco-féminisme, éco-socialisme

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Je ne pourrai pas conclure cette petite présentation sans dire un mot des grandes absentes des discussions officielles : les femmes. Absentes ? Pas dans les allées du sommet - elles représentaient une large majorité des personnes présentes - mais à la tribune : les intervenants étaient pour la plupart des hommes.
Chose méconnue en Europe, la question des femmes dans le changement climatique a pourtant une grande importance dans le Sud. « Les premières victimes du changement climatique dans les pays pauvres sont les femmes. Ce sont ces mêmes femmes qui sont les premières à protéger l’environnement, qui éduquent leurs enfants et sont au contact quotidien avec la nature », explique ainsi un tract équatorien.
Autant dire que l’humour douteux d’Evo Morales sur la virilité et « les poulets transgéniques qui provoquent les déviances sexuelles » n’a pas fait rire grand monde ici. Pas plus que cette si profonde réflexion, sur un panneau près du stade où se déroulait la cérémonie de clôture : « La beauté est essentielle au sport »… Heureusement que l’affiche publicitaire devant l’entrée de l’université apportait à sa manière une contribution au débat anti-patriarcal…

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Au final, pas de quoi faire oublier le mot d’ordre principal de ce sommet, véritable consensus : «  Le principal responsable du changement climatique est le système capitaliste. » Pour appuyer le propos, étaient présents des groupes divers et variés, tels les Argentins de Socialisme et barbarie, des trotskystes péruviens, les Anglais de l’International Socialist Journal, les Amis de Cuba ou ceux du gouvernement bolivarien du Venezuela. Entre autres. Pour être honnête, je me serais quand même bien passé de certains :

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Précision A11 : Note que Grégoire anime l’excellent blog Escapades bolivariennes. Il y a notamment raconté le sommet au jour le jour. Et hors conférence climatique, il y parle de son long séjour en Amérique Latine, sous un angle parfois personnel, souvent politique. C’est là que ça se passe.

Par ailleurs, l’auteur, reparti au fin fond de l’Amazonie, n’a qu’un accès limité au net. Il ne pourra sans doute pas répondre aux éventuels commentaires.

Enfin, un nouveau billet de Grégoire, revenant sur les résultats concrets et symboliques du sommet de Cochabamba, sera publié demain.



1 Pour rappel, ce sommet est sponsorisé par de grandes entreprises boliviennes, comme l’Entreprise nationalisée de télécommunications (ENTEL), celle du pétrole (YPFB) et des assurances privées.

2 Mouvement vers le socialisme ; le MAS est le parti actuellement au pouvoir en Bolivie, avec Evo Morales.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 26 avril 2010 à 15h27, par 8119

    « indigène » ça veut dire qui habite ici, le local. par exemple l’indigène parisien garde toujours une baguette de pain sous son aisselle. c’est son costume traditionnel.

    • INFO URGENTE - MERCI A VOUS -

      Rassemblement d’urgence pour le peuple grec et contre les banques

      « Mes amis, je vous donne rendez vous, pour l’honneur, pour les Grecs, pour la fraternité européenne, contre les banques et les gouvernements qui les protègent, mercredi 28 avril à 18h30 devant le siège de l’Association française des Banques, 18 rue Lafayette à Paris dans le 9e. »

      Blog de Jean - Luc mélenchon : http://www.jean-luc-melenchon.fr/20...

      Merci à vous toutes & vous tous de passer l’information et de venir en nombre demain 28 Avril - 18H30 - Siège de l’Association
      Française des banques, 18 rue Lafayette à Paris 9°.

      • Le hors-sujet est bienvenue, l’info le vaut bien.

        Hop, à demain.

      • mardi 27 avril 2010 à 22h31, par yoms

        Allez venez on s’installe dans la banque... Il paraît que les billets c’est confortable...

        En tout cas ce qui se passe en Grèce est à observer à la loupe, cela préfigure peut-être certaines époques futures pas si lointaines que ça...

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