vendredi 9 janvier 2009
Le Charançon Libéré
posté à 10h04, par
61 commentaires
Vous aussi, vous rêvez de faire autorité et de porter de jolies chemises blanches à jabot ? Vous êtes prêts à mentir et à travestir odieusement la réalité ? Vous voulez devenir philosophe de comptoir ? Ça tombe bien : j’ai pensé à vous. En m’appuyant sur le dernier billet du maître, portant sur Gaza, je vous ai fait un petit rappel des procédés à utiliser pour devenir BHL à la place de BHL. Facile !
C’est marrant…
Je me suis longtemps demandé comment Bernard-Henri Levy écrivait ses chroniques pour le Point.
Et j’ai fini, à force de les lire, par me faire une idée assez précise des conditions de leur rédaction.
Jusqu’à deviner certains de ses procédés de fabrications.
En m’appuyant sur son dernier billet, ode hallucinée aux obus israéliens et à la puissance de feu de Tsahal, publiée hier sur le site du Point, je vous les livre tels quels.
Des fois que vous seriez prêt à tout pour devenir un philosophe en vue.
Sait-on jamais ?
__0__
1) La rigueur intellectuelle
__3__
La quoi ?
Ah oui : la rigueur intellectuelle.
C’est simple : vous ne devez pas en avoir.
Aucune.
Et je sais maintenant de source sûre que Bernard-Henri Levy se plonge pendant une heure dans un grand bain de mauvaise foi avant d’empoigner la plume.
Qu’il s’en imprègne et s’en recouvre.
Jusqu’à pouvoir aligner les plus énormes contre-vérités sans ciller.
__3__
Un exemple ?
Facile, tant le dernier billet de BHL en rengorge.
Disons, celui-ci :
« Le fait que les Qassam du Hamas et, maintenant, ses missiles Grad aient fait si peu de morts ne prouve pas qu’ils soient artisanaux, inoffensifs, etc., mais que les Israéliens se protègent, qu’ils vivent terrés dans les caves de leurs immeubles, aux abris »
Comprendre : ce n’est pas que les forces en présence soient disproportionnées, André Glucksmann l’expliquait d’ailleurs très bien dans son dernier crachat. Non, c’est juste que les Israéliens sont beaucoup plus doués pour jouer à cache-cache avec les bombardements adverses.
En filigrane, on peut ici lire le regret du philosophe : ce serait tellement mieux si les Palestiniens étaient un peu moins ballots quand il s’agit d’échapper aux bombes de Tsahal… Mais que voulez-vous ? Les bougres s’entêtent à se placer juste là où ils vont recevoir une décharge de fer et de feu au coin de la gueule. Sont-ils obtus, hein ?
Ou alors, celui-là :
« Le fait que les obus israéliens fassent, à l’inverse, tant de victimes ne signifie pas, comme le braillaient les manifestants de ce week-end, qu’Israël se livre à un « massacre » délibéré, mais que les dirigeants de Gaza ont choisi l’attitude inverse et exposent leurs populations : vieille tactique du « bouclier humain » qui fait que le Hamas, comme le Hezbollah il y a deux ans, installe ses centres de commandement, ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’immeubles, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées-efficace mais répugnant. »
Comprendre : si les Israéliens font tant de victimes, c’est à nouveau de la faute de ces dernières. Et qu’importe, pour le globe-trotteur de Saint-Germain, si la densité de population de la bande de Gaza est telle (en gros et à la louche, un peu moins de la moitié du département des Hauts-de-Seine, ce qui n’est pas rien)1qu’il est fatal que les immeubles d’habitation et les écoles soient contigus aux mosquées, aux centres de commandement et aux commissariats…
__0__
2) L’humanisme
__3__
Le quoi ?
Ah oui : l’humanisme.
C’est facile : il ne faut surtout pas faire preuve d’un quelconque sens humaniste.
Sauf à vouloir passer pour un mou du slip qui serait prêt à trouver des excuses aux Palestiniens.
Allez-y franco, donc.
Et ne mégotez surtout pas pour justifier les crimes les plus immondes, les tueries les plus abjectes et les bombardements les plus massifs.
Tant il vous faut oublier toute sensibilité à la souffrance humaine et tout empathie pour des populations civiles massacrées.
Difficile que cela ?
Même pas.
Conduisez-vous juste comme un salopard sans conscience.
Et noyez de contre-vérités et de mensonges la douleur éprouvée par le camp dit adverse.
Ça ira tout seul :
« Entre l’attitude des uns et celle des autres il y a, quoi qu’il en soit, une différence capitale (…) : les Palestiniens tirent sur des villes, autrement dit sur des civils (ce qui, en droit international, s’appelle un ’crime de guerre’) ; les Israéliens ciblent des objectifs militaires et font, sans les viser, de terribles dégâts civils (ce qui, dans la langue de la guerre, porte un nom-’dommage collatéral’-qui, même s’il est hideux, renvoie à une vraie dissymétrie stratégique et morale). »
Comprendre : faut-il vraiment vous l’expliquer ? Le procédé est tellement aisé : il s’agit d’abord de mettre sur le même plan deux souffrances qui n’ont rien à voir, celle des populations civiles israéliennes - qui poursuivent leur petit bonhomme de chemin comme si la guerre n’existait pas, ou peu s’en faut - et celle des populations civiles palestiniennes - qui se font défoncer non-stop et sans pitié.
Une fois que vous avez posé ces deux souffrances équivalentes, tout est fait : en hissant la première au niveau de la deuxième, c’est le massacre des civils palestiniens que vous niez. Et hop : terminé ! Si, comme BHL, vous avez le goût du travail bien fait, vous pouvez en sus introduire dans ce pseudo-raisonnement une ou deux notions bidons de droit international. Ça fait plus joli dans la chronique…
__0__
3) Le renversement de perspective
__3__
C’est là une arme de base pour tout apprenti philosophe qui rêverait de devenir BHL à la place de BHL : il faut savoir renverser les perspectives.
C’est essentiel.
Et même pas difficile : il suffit juste de prendre le contre-pied de la réalité.
Quitte à traiter la vérité comme l’une de ces filles de joie qu’on lutine dans une arrière-salle, entre deux godets de mauvais vin.
Et qu’on finit par abandonner les quatre fers en l’air et tête en bas.
Ainsi :
« Le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement, ce n’est pas la ’brutalité’ d’Israël-c’est, à la lettre, sa longue retenue. »
Comprendre… euh, non… rien. Tant il n’est pas besoin de vous expliquer combien BHL applique cet axiome à la perfection : l’oppresseur devient l’oppressé, le massacreur se mue en exemple de douceur et de « retenue ». Du bel ouvrage.
__0__
4) Le « j’y-étais-alors-vos-gueules »
__3__
Procédé propre à BHL.
Et petit raffinement supplémentaire qui est sa marque de fabrique.
Le « j’y-étais-alors-vos-gueules » est très efficace.
N’hésitez pas à en faire usage encore et encore, tant ce petit truc est une jolie façon de donner - à peu de frais - plus d’autorités à vos écrits.
Bref : parsemez-en vos chroniques et vos billets.
Et qu’importe si vous ne connaissezla Géorgie que pour y être passé une fois en voiture blindée ou le Pakistan pour avoir séjourné quelques jours dans l’hôtel le plus luxueux et protégé de la capitale : personne n’ira vérifier.
Un exemple ?
Facile :
« …mais que les Israéliens se protègent, qu’ils vivent terrés dans les caves de leurs immeubles, aux abris : une existence de cauchemar, en sursis, au son des sirènes et des explosions-je suis allé à Sdérot, je sais . »
Comprendre : si vous n’êtes pas allé à Sdérot, bouclez-la, ok ? Dans l’exemple ci-dessus, BHL pousse l’instrumentalisation jusqu’à écrire en italique le « je sais » (ce qui n’apparaît pas ici). Attention : cette façon de souligner les choses et de mettre en avant son avantage est réservé aux plus grands philosophes, ceux qui ont vaste autorité et les épaules solides. Bref : pas d’italique pour vous.
__0__
5) L’apparente modération
__3__
Il est toujours bon, après avoir enchaîné les mensonges et justifié d’immondes massacres sur des dizaines de lignes, de feindre de jouer ensuite l’apaisement.
Histoire de laisser votre lecteur sur une impression plus mesurée et distanciée.
BHL fait ça très bien, encore une fois.
Regardez :
« Très vite, espérons-le, les combats cesseront. Et très vite, espérons-le aussi, les commentateurs reprendront leurs esprits. Ils découvriront, ce jour-là, qu’Israël a commis bien des erreurs au fil des années (…), mais que les pires ennemis des Palestiniens sont ces dirigeants extrémistes qui n’ont jamais voulu de la paix. »
Rien à comprendre, si ce n’est y lire une habile construction stylistique, celle d’une apparente modération et d’une vague reconnaissance des erreurs d’Israël, avant le coup de pied final de la véritable conclusion. Passons au dernier point, donc :
__0__
6) Le bouquet final
__3__
La modération, c’est bien sympa quand on descend un demi sur la terrasse du Café de Flore.
Mais c’est comme tout : il ne faut pas en abuser.
Il convient donc, dans la véritable conclusion, de terminer sur un appel guerrier et vindicatif tout en employant quelques circonvolutions.
C’est un art difficile.
Qui impose à celui qui tient la plume de se laisser guider par son instinct guerrier.
Et d’appeler - à mots couverts - à encore davantage de haines et de destructions.
Ainsi :
« Ou bien les Frères musulmans de Gaza rétablissent la trêve qu’ils ont rompue (…) et la paix se fera. Ou bien ils s’obstinent à ne voir dans la souffrance des leurs qu’un bon carburant pour leurs passions recuites, leur haine folle, nihiliste, sans mots-et c’est non seulement Israël, mais les Palestiniens, qu’il faudra libérer de la sombre emprise du Hamas. »
Comprendre : du sang, des tripes et des boyaux ! Si les Palestiniens s’entêtent à ne pas se laisser faire, truicidons-les définitivement, au prétexte de les libérer du Hamas. Attention (à nouveau) : là-aussi, le procédé stylistique est délicat. Si vous n’avez pas déjà vendu des centaines de milliers de livres, abstenez-vous d’une conclusion aussi sanguinaire : ça ferait mauvais genre…
__0__
Voilà : vous savez écrire comme BHL.
La classe, n’est-ce pas ?
Oui…
Maintenant que vous en êtes capables, mettez-vous à l’ouvrage, pondez de jolies chroniques sur les gentils Israéliens et les méchants palestiniens et envoyez-les au Point.
Nul doute qu’ils sauront quoi en faire…