mardi 2 décembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 10h16, par
22 commentaires
C’est beau ! On n’avait pas vu une telle manifestation unanime d’indignation depuis très longtemps : Sarkozy, Joffrin, Lefèbvre et Mougeotte, tous unis pour dénoncer les conditions de l’interpellation de Vittorio de Filippis. A tel point qu’on en finirait presque par croire qu’on vit encore dans un état de droit, où les exactions policières et judiciaires sont l’exception. Alors que : non.
Ainsi donc, tous défenseurs de l’ancien directeur de rédaction de Libération.
Médias mobilisés1, si indignés qu’ils sont prêts à dresser des barricades pour défendre la liberté de la presse jusqu’à la dernière goutte d’encre de leur stylo.
Et politiques scandalisés, de droite ou de gauche, tous raccords pour convenir que - quand même… - on n’aurait pas dû interpeller Vittorio de Filippis comme un citoyen ordinaire.
Jusqu’au roquet Frédéric Lefebvre, qui monte au créneau, dénonçant « le traitement subi par le responsable de Libération » et réclamant « une enquête ».
Souhait que ne serait pas loin d’approuver Nicolas Sarkozy, présidentiel brouilleur de cartes et enfumeur d’élite qui s’est empressé de publier un communiqué dans lequel il déclare comprendre « l’émoi suscité par les conditions d’exécution d’un mandat de justice à l’occasion d’une affaire de diffamation ».
Et annonce la création d’une commission chargée de « réfléchir à la définition d’une procédure pénale modernisée et plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes ».
Oui : ce n’est plus une affaire de droit commun, c’est un défilé du Who’s Who…
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Bref, à tous les étages, indignation, scandale et jolies promesses de renouveau.
A tel point que c’en est devenu « l’affaire Libération ».
Et que le quotidien a fort bien compris tout l’intérêt qu’il pouvait tirer de l’histoire.
Jolie occasion de redorer son blason de journal de gauche très défraîchi en posant au titre de presse persécuté par le pouvoir.
« Quoi ? On ne serait pas vraiment anti-sarkozyste ? Zyva, t’as pas vu que notre ancien directeur de la rédaction s’est fait interpeller pire que la racaille ? On est des chauds, nous, rebelles jusqu’à la mort ! D’ailleurs : file moi ton briquet, que j’allume mon cocktail Molotov ! »
Parfait moyen de vendre un peu plus de papier que d’habitude.
« Ça fait un foin de tous les diables, cette histoire, on va ressortir une deuxième une dessus. C’est bon, ça, coco ! Ça va partir comme des petits pains… »
Et au final, un vaste bidonnage de plus.
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Encore une fois : il ne s’agit pas de justifier qu’on arrête un journaliste aux aurores pour le traîner, menottes aux poignets, jusqu’au bureau d’une juge qui croit avoir tous les pouvoirs.
Mais de pointer tout ce que ce débat charrie de positions assises et de fausses indignations.
Qu’il s’agisse de ces journalistes et éditorialistes qui montent tous au créneau dans le plus parfait des réflexes corporatistes, comme s’ils n’étaient réellement capable de se mobiliser que quand l’un d’eux se fait rudoyer parce que là, coco, on a vraiment dépassé les bornes.
Moyen idéal de faire accroire qu’il y a les citoyens de première zone, ceux qui possèdent leur carte de presse et peuvent tirer les bonnes ficelles médiatiques quand il leur arrive un pépin, et tous les autres, qui n’auront droit qu’à un entrefilet - au mieux… - s’ils se font exploser les dents par trois flics en vadrouille, un soir dans une ruelle déserte ou l’allée d’une cité.
Ou qu’il s’agisse de politiques jouant les vierges effarouchés, tous pressés de voler au secours d’un journaliste de poids, à commencer par ceusses qui sont à la tête de ce qui est devenu un Etat policier. Ben quoi ? Ça ne mange pas de pain et il ne faudrait pas trop se fâcher avec les journalistes…
Comme pour l’affaire des caricatures, quand Nicolas Sarkozy avait soutenu Charlie Hebdo, expliquant qu’il « préférait un excès de caricature » à son absence. Un joli coup de communication qui ne s’est - bien sûr - jamais vérifié ensuite, quand le président a eu à souffrir de ces caricaturistes. Faut pas déconner, non plus…
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On l’a déjà dit ici.
Mais on aimerait que ces journalistes et politiques montent aussi sur leurs grands chevaux quand d’anonymes citoyens endurent pire que quelques remarques désagréables et deux fouilles humiliantes, mais se font matraquer à foison et rabaisser plus bas que terre sans que personne ne bouge le petit doigt.
On aimerait que ces journalistes et politiques dénoncent avec autant de vigueur le traitement indigne et immonde que le pouvoir réserve à ces enfants de sans-papiers qu’il poursuit jusque dans les salles de classes des écoles primaires.
On aimerait que ces journalistes et politiques s’indignent avec autant d’allant des perpétuels manquement aux plus élémentaires des droits définis par la République, tel le cas de ces collégiens traités « pire que la racaille » par des gendarmes anti-drogues à la recherche d’une boulette de shit.
On aimerait que ces journalistes et politiques montent pareillement au créneau pour dénoncer la criminalisation de la petite enfance prônée par le rapport Varinard ou proposée par un porte-parole de l’UMP soucieux de remettre au goût du jour le dépistage précoce des comportements agressifs.2
On aimerait…
Mais bon, journalistes et politiques ne peuvent pas tout faire.
Ils sont déjà tellement occupés avec « l’affaire Libération »…