jeudi 1er avril 2010
Le Charançon Libéré
posté à 15h11, par
26 commentaires
La nouvelle est essentielle, primordiale, fondamentale. Et les médias français ne s’y sont pas trompés, qui ont largement couvert le passage du couple présidentiel dans un restaurant à hot-dogs de Washington. Normal, après tout : « la diplomatie du hot-dog », vantée par un plumitif tricolore, représente un tournant majeur dans notre façon de gérer les relations internationales. On ne rit pas !
Je fais chaque jeudi une petite chronique sur la radio libre FPP, à 12 h 15. Comme d’habitude, je te la copie-colle ici. Et comme c’est jour de fête, tu peux même l’écouter en version audio, juste ci-dessous.
La diplomatie est chose passionnante.
La presse est affaire fascinante.
La conjugaison des deux - presse et diplomatie copulant furieusement, salaces ébats au lieu de sagaces débats, ivresse des profondeurs pour des réunions au sommet - la conjugaison des deux, disais-je, ouvre tout un tas de folles et émoustillantes perspectives.
En tout cas, moi, ça m’excite.
Un max.
Je ne suis pas sûr que ça te fera le même effet, Ami.
Mais je voudrais quand même t’emmener avec moi.
Pour une petite excursion vers la grande Amérique, dans les bagages de Carla et Nicolas, couple présidentiel s’étant payé un sympathique week-end sur la Côte Est, voyage d’agrément se donnant les apparences d’une importante visite officielle pour que personne ne questionne trop avant les fondements d’un tel déplacement.
Un voyage essentiel, t’a t-on dit dans les journaux français, sur les radios françaises et à la télé française1.
Lesquels ont davantage relayé la communication élyséenne que relaté la visite présidentielle, multipliant le bruit et l’écume pour camoufler l’absence de fond.
Et c’est ce spectacle du vide, cette multiplication des dépêches pour ne rien dire, ces titres ineptes pour rapporter des choses sans aucun intérêt, c’est cela - donc - qui est passionnant.
Tu vas voir.
Si je te dis « diplomatie », tu penses : rencontre au sommet, conseillers en costume élégants qui s’affairent dans les couloirs, gens sérieux évoquant des sujets décisifs pour la marche du monde, responsabilités écrasantes et coke dans les toilettes pour rester performant malgré la fatigue.
Tu penses cela, donc, et tu as tort.
Parce qu’en réalité, la diplomatie est d’abord affaire de bouffe.
Et même : de bouffe de merde.
C’est le correspondant du journal Les Echos à Washington qui en parle le mieux, je te le cite parce ça vaut son pesant de cacahuètes2 : « Nicolas Sarkozy a même inauguré la diplomatie du hot-dog, si l’on peut dire, en allant déjeuner dans un fameux restaurant de Washington, le Ben Chili Bowl, qui est un restaurant très populaire de la banlieue et où Martin Luther King allait souvent déjeuner. Cela a été salué par Barack Obama comme un signe de complicité avec les Américains. »
Si, si : « la diplomatie du hot-dog »…
Tu crois qu’il en fait trop ?
C’est parce que tu ne connais pas les hot-dogs du Ben Chili Bowl : en une dépêche consacrée au sujet, la supposée sérieuse Agence France Presse révèle que ces sandwiches sont des « « half smokes », hot-dogs accompagnés d’une épaisse sauce très relevée. »
Quant au site d’Europe1, toujours en pointe sur l’info, il va encore plus loin, titrant « Les Sarkozy ont mangé deux hot-dogs » ; oui : pas un, mais deux, preuve que la ligne diplomatique du couple présidentiel se porte très bien.
Enfin France24, chaîne lancée - je te le rappelle - pour porter haut et loin la glorieuse voix de la France, France 24, donc, rapporte ce commentaire d’une employée du restaurant, laquelle s’est dite « éblouie par Carla Bruni, sa beauté » avant d’ajouter sur un ton défintif : « Elle a commandé et mangé ses deux hot dog. »
Toute seule, comme une grande…
Waouh…
Note enfin, ami auditeur, que le sujet est si essentiel qu’il a aussi été abordé par les deux présidents lors de leur conférence de presse commune, Barack Obama expliquant que « le fait que Nicolas soit allé chez Ben’s Chili Bowl pour le déjeuner montre qu’il a un palais raffiné », tandis que Sarkozy a remercié son homologue américain pour lui avoir conseillé un si chouette endroit où se sustenter.
En ce qui me concerne, je ne doute d’ailleurs pas que Nicolas saura rendre la politesse à Barack lors de sa prochaine visite parisienne et qu’il lui recommandera l’un de ces Grecs de Barbès ou de Stalingrad ayant élevé le kebab au rang d’œuvre d’art culinaire…
Tu pourrais juste rire de ce bruit médiatique abscons.
Et te contenter de remarquer que le journaliste des Echos ayant évoqué « la diplomatie du hot-dog » mériterait d’en avaler cent à la suite et jusqu’à la mort, pour prix de sa bêtise crasse.
Tu pourrais…
Mais il ne t’aura pas échappé que ce grand barnum débile porte autre chose en lui, qu’il signifie davantage.
Disons : ce dont le hot-dog est le nom.
En filigrane de cette opération de communication culinaire que les médias présentent comme symbolique du rapprochement entre la France et les États-Unis, c’est le bruit des bombes que tu entends, celles qui tombent sur l’Afghanistan, qui tomberont peut-être sur l’Iran.
En arrière-plan de ces dépêches idiotes et de ces titres ridicules, c’est le son des balles que tu discernes, celles qui frappent les hommes, les femmes et les enfants, déchirent les corps et les membres, perforent les organes et les vaisseaux.
En trame de ces photos pathétiques où Nicolas et Carla débarquent au Ben’s Chili Bowl accompagnés de dizaines de gorilles imposants, gardes du corps surveillant chacun des gestes des clients du lieu, c’est le spectacle d’une guerre aussi absurde qu’immonde que tu distingues, soldats montant à l’assaut sans se soucier des victimes dites collatérales, du sang qui coule à flot ni des familles qui pleurent.
Derrière la superficialité et le Spectacle, c’est une annonce officielle que les médias eussent dû retenir, promesse de Nicolas Sarkozy d’envoyer davantage de formateurs en Afghanistan, prétendus instructeurs qui ne sont qu’un vil mensonge destiné aux opinions publiques, tant il est avéré qu’ils combattent comme les autres3.
Elle est là, « la diplomatie du hot-dog », dans ce peuple dont les forces françaises et américaines font de la chair à saucisse.
Et j’aimerais bien poser une question à Carla et à Nicolas : ils avaient pas comme un goût, vos putains de sandwiches ?
1 Oui, parce qu’ailleurs, et surtout aux États-Unis, tout le monde s’en fichait sévère…
2 La phrase est tirée de son interview audio, en-dessous du texte
3 Je te renvoie notamment à ce billet de Jean-Dominique Merchet.