vendredi 9 avril 2010
Le Charançon Libéré
posté à 23h20, par
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Le déplacement se veut symbolique : depuis 2007, Nicolas Sarkozy se rend chaque année sur le plateau des Glières, prétendu hommage aux résistants tombés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le président fait au moins preuve de constance dans la récupération… L’occasion pour les médias de transformer ce déplacement opportuniste en « pèlerinage ». Sans déconner ?
Dans les mots des médias, toujours chercher trace des grossiers traquenards qu’on te tend, le vocabulaire comme miroir inversé de la réalité.
Et ne jamais t’étonner que les ficelles lexicales soient si grosses qu’elles feraient passer un câble d’amarrage pour le plus léger des fils de pêche.
Ainsi d’un président, pourtant plongé dans le plus ridicule des scandaillons1 d’État, qui se trouve, par la grâce d’un déplacement sur un haut-lieu de la résistance (c’était hier, aux Glières), transformé en rien de moins qu’un pèlerin.
C’est-à -dire en être plutôt digne et respectable, cÅ“ur pur et intentions louables, homme souhaitant mettre à l’épreuve d’une longue et difficile route son désir d’absolu.
« Nicolas Sarkozy »en pélerinage« sur le plateau des Glières », titre ainsi RTL, tandis que l’AFP (ici reprise par Le Figaro) explique que « le président effectue chaque année un « pélerinage » sur le plateau des Glières, pour rendre hommage aux Résistants fusillés par les Allemands en mars 1944 ».
Un vocabulaire aussi employé par Le Point - « ce pèlerinage annuel » - , par Le Monde - « C’est son pèlerinage » - ou par La Tribune - « son pèlerinage annuel en Haute-Savoie ».
Et Le Dauphiné Libéré fait mieux encore, s’embarquant dans une pompeuse reprise de la communication de l’Élysée : « Le Président y effectue un pèlerinage lourd de symboles. Là , devant le Memorial il peut endosser l’habit de « père de la Nation ». Renouer, loin des turbulences qui agitent l’Elysée, avec les valeurs fondatrices de la Ve République… »2
Ce n’est pas un déplacement officiel, donc.
Et encore moins une visite politicienne.
C’est un pèlerinage, Monsieur !
Un peu de respect, que diable…
Tu trouves sans doute que je pinaille.
Mais la chose me semble importante et je vais t’en lister tout de go les raisons.
Il y a d’abord ce que l’usage du mot « pèlerinage » ne dit pas.
Je ne t’apprends rien, le déplacement de Nicolas Sarkozy aux Glières n’est qu’une récupération politicienne, à la fois récurrente - le président ne manque jamais une occasion de clamer qu’il s’y rend et rendra chaque année - et conjoncturelle - cette année, le déplacement a été une parfaite occasion de couper court à l’emballement de « la rumeur » sur le couple présidentiel.
Pour illustration parfaite, cette dépêche de l’AFP qui rapporte le souhait de Nicolas et Carla de ne pas porter plainte à propos de « la rumeur ». Quel meilleur moment pour en faire part que la visite aux Glières ? La dépêche cite ainsi une mystérieuse « source » élyséenne participant au « pèlerinage » (en fait, il s’agirait du président lui-même, selon le site Arrêt sur Image). Et détaille même : « Cette source accompagnait Nicolas Sarkozy en Haute-Savoie, où le président effectue chaque année un « pélerinage » sur le plateau des Glières, pour rendre hommage aux Résistants fusillés par les Allemands en mars 1944. »
Pour illustration aussi, cet article du Figaro sur le déplacement aux Glières, joliment titré Nicolas Sarkozy optimiste dans la tourmente. Sous un cliché montrant le président les yeux levés vers les sommets, homme préférant s’intéresser aux affaires des cieux plutôt qu’aux décevantes contingences de l’existence, l’article insiste sur la tentative présidentielle d’ouvrir « un contre-feu » et sur sa volonté de rebondir.
Que veux-tu ?
Pendant le « pèlerinage », les affaires continuent…
Mais il y a aussi ce que ce recours au terme « pèlerinage » met en pleine lumière. Soit le défaut de mémoire et l’absence de mise en perspective. Logique : s’ils ne questionnent pas les mots qu’ils utilisent, les médias vont encore moins se plonger sur les controverses - historiques et politiques - entourant un tel déplacement.
Pas un mot, donc, sur l’opposition manifestée par une partie des anciens résistants à la visite présidentielle : la grande majorité des médias (à l’exception notable de France3 Rhone-Alpes) ne mentionne pas la critique de l’instrumentalisation de la Résistance portée par l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, ni son appel à boycotter la visite d’un président qui « se sert de la résistance pour exister médiatiquement ». Aucun média non plus ne relaye les prises de parole sur le sujet de Walter Bassan ou Henri Bouvier, figures historiques de la résistance et opposants résolus au sarkozysme.
Il y a - enfin - ce passé très récent que le mot « pèlerinage » camoufle volontairement. Rappelle-toi : une précédente visite aux Glières avait valu au président le surnom d’homme qui rit dans les cimetières. Façon de souligner son comportement indigne lors du « pèlerinage » de mars 2008 : après quelques minutes de recueillement, Sarkozy avait, en présence d’anciens résistants, multiplié les commentaires malvenus et les blagues vaseuses, scandalisant une bonne partie de l’assistance. Permets-moi de copier-coller ici un passage d’un de mes précédents billets sur le sujet :
Surexcité, confit d’autosatisfaction, Nicolas Sarkozy se laisse aller. Regarde à peine les deux républicains espagnols venus risquer leur peau plus de soixante ans plus tôt pour cette France qu’il est censé incarner, tout juste capable de leur dire : « Très heureux. C’est formidable ! Et en plus, moi je défends les Espagnols. » Rictus amusé, il enchaîne : « Mais les Italiens sont pas mal non plus… Maintenant que je suis marié à une Italienne, hein… » Sourire crispé, il observe un jeune militaire : « Il est beau, ce chasseur alpin ! Vous savez que j’ai été jeune, moi aussi ? » Les anciens résistants ne disent mot, un gradé de l’armée française tente de ramener le chef d’État à un peu de dignité. « Nous nous sommes refusés à laisser des résistants qui étaient tombés dans une embuscade enterrés dans une fosse commune. Nous les avons ramenés ici dignement », explique t-il, très vite interrompu par un président qui ne feint même pas de se sentir concerné. Qui tend le doigt pour montrer une cascade sur les hauteurs. Qui rigole sur l’habit rose d’une membre de l’assistance. Et qui tourne les talons en assénant : « Ben oui, faut bien s’amuser un peu… »
Cette scène incroyable, les médias n’en ont à peu près pas parlée. Une seule caméra l’a saisie, celle de Gilles Perret, réalisateur ne s’étant pas contenté de conditions de prise de vue balisées et encadrées par l’Élysée. Lui a enregistré le manque de respect présidentiel, alors que ses « collègues » journalistes avaient déjà regagné la buvette. Le réalisateur de Walter, retour en résistance3 dressait d’ailleurs ce constat,en un entretien donné à A.11 : « Les journalistes télés ne sont plus que des communicants, qui débarquent sur les sujets avec un timing très serré. Comme en sus, on leur mâche le travail et qu’on leur met tout à disposition… Le résultat est là : tous les journaux télés n’ont évoqué que le recueillement de Sarkozy devant le monument. Des images parfaites… » « Images parfaites » ou mots mensongers, mise en scène pour les caméras ou par le vocabulaire, il y a sans doute là les manifestations d’un même phénomène : la paresse médiatique sert la propagande politique.
En l’avant propos de Les Jours Heureux4, le journaliste Jean-Luc Porquet parvient à trouver un effet positif au « pèlerinage » présidentiel aux Glières : « Il faudrait remercier Nicolas Sarkozy. C’est à cause de son insistance que de simples citoyens, réunis au sein de l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, créée en décembre 2008, sont retournés aux sources. C’est parce que, depuis mai 2007, il est venu trois fois en pèlerinage ostentatoire sur le plateau des Glières, haut lieu de la résistance en Haute-Savoie, accompagné à chaque fois de cameramen et de porteurs de micros convoqués par ses soins, qu’ils se sont mobilisés. Et qu’ils se sont replongés dans lecture des Jours Heureux, le programme du Conseil national de la Résistance publié en mars 1944. »
Un programme, explique ensuite le journaliste du Canard, que Nicolas Sarkozy et ses sbires n’ont de cesse de détricoter, de mettre à bas. L’Å“uvre de destruction est parfaitement résumée par la célèbre formule de Denis Kessler, figure du patronat : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement [de Sarkozy] peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité Sociale, paritarisme… À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple : prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là . Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. »
Au fond, c’est ainsi que l’emploi du mot « pèlerinage » prend tout son sel, pour peu que tu en inverses le sens. Ce n’est pas au combat des résistants de la Seconde Guerre mondiale que Nicolas Sarozy rend hommage, mais au sien propre. Et il ne célèbre pas ce qu’ils ont construit, mais ce que lui-même détruit. En sorte qu’il ne s’agit plus seulement d’opportunisme politique ou de récupération politicienne, mais aussi du plus froid et détestable des cynismes. En sorte aussi que tu ne le vois plus rire dans les cimetières - il ne se fera pas prendre deux fois - , mais tu peux être sûr qu’il continue de ricaner sous cape.
Ps : puisqu’on parle de « pèlerinage », je suis sûr que tu n’as pas manqué de cocher une prochaine date en ton luxueux agenda. Il s’agit de Paroles de Résistance, événement organisé par l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui. En voici une brève annonce : « Ce sera le dimanche 16 mai prochain au Plateau des Glières autour de grandes figures de la Résistance comme Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Odette Nilès et d’acteurs de résistances plus actuelles dans les domaines de la justice, de la presse et de la santé. Cet événement sera placé sous le signe de la plus grande dignité qu’impose ce lieu, sans bannière ni slogan. L’an dernier, ce sont 4 000 personnes qui ont répondu présent à cet appel. »
Je serais toi, je me bougerais les fesses. Mais tu fais comme tu veux, hein…
1 Le scandaillon est le rejeton du scandale.
2 Note que Le Dauphiné Libéré, comme Le Point, Le Monde et La Tribune, sait écrire le mot « pèlerinage » sans faire de faute. RTL et l’AFP ne peuvent en dire autant, qui se trompent dans le sens de l’accent, écrivant tous deux « pélerinage ».
3 Film que je ne saurais que trop te conseiller de voir, si ce n’est déjà fait. Voici l’affiche :
4 Ouvrage collectif publié aux éditions La Découverte, avec ce sous-titre : Le programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944 : comment il a été écrit et mis en Å“uvre, et comment Sarkozy accélère sa démolition. Je t’en reparlerai bientôt.