samedi 23 mai 2009
Le Cri du Gonze
posté à 13h51, par
27 commentaires
Diantre, Le Cri du Gonze se fait squatter ! L’ami Ubi a choppé les clés du blog. En profite pour proposer un nouvel épisode de « Public Image Unlimited ». Et pousse un vibrant cri d’amour pour Barbara, histoire que ceux qui ont perdu le sourire à force d’attendre cette insurrection qui ne vient pas le retrouvent en écoutant la plus belle des chansons, « Göttingen ». A la santé des « matins blêmes »…
Nous nous avons nos matins blêmes
Et l’aube grise de Verlaine
Eux c’est la mélancolie même
A Göttingen à Göttingen
Quand ils ne savent rien nous dire
Ils restent là à nous sourire
Et nous comprenons quand même
Les enfants blonds de Göttingen...
...Et tant pis pour ceux qui s’étonnent
Et que les autres me pardonnent
Mais les enfants ce sont les mêmes
A Paris ou à Göttingen
Septembre 2005. Deux jours que je suis à la capitale : hommage obligatoire au pont Mirabeau, au camarade Apollinaire, aux ricochets de Brassens, à Paul Celan & aux enfants blonds de Göttingen. Bien sûr, ce n’est pas la Seine : de l’eau a passé sous le pont, ce n’est jamais le même fleuve qui coule.
Lieu chargé de symboles, le réel bouffe l’imaginaire puisque sous ce pont abject où tracent les bagnoles, il n’y a pas la moindre pierre plate ni même le moins maudit des poètes. Apo est mort, Brassens est raide, Celan-le-noyé a été repêché il y a bien longtemps, les mots mentent & pourtant il faut continuer, nous ne savons rien nous dire & pourtant ce ne sera jamais la Seine & il pleuvra toujours sur Nantes. Les enfants blonds sont éternels : ils croient vaincre le temps, le silence & la nuit avec de simples mots ; les quelques adultes que j’aime sont comme ces gosses-là, à Paris & à Göttingen.
Nous sommes en 1997. Elle vient de mourir & je ne sais pas encore que ma plus belle histoire d’amour, c’est elle. La une des journaux endeuille ce matin de novembre où je traîne avec deux amis. Je jette un œil indifférent & tente, à mon habitude, de balancer une phrase définitive pour masquer mon manque d’assurance & mon inculture : « Pfff, de toute façon, à part l’Aigle noir qu’est super pourrie & Göttingen, elle a rien fait de sa vie. » Pauvre con que j’étais, la vie s’est depuis chargée de me foutre la plus belle des tartes dans la gueule dans ma face, puisque je regretterai toujours de ne l’avoir connue de son vivant, oh Seigneur ses concerts, & même si je n’ai pas changé d’avis sur l’Aigle noir, oh mon Dieu ses chansons.
Bien sûr, ce n’est pas la voix. Ruisseau de cerisiers en fleurs baigné de printemps, reflet du soleil qui vient de se lever, moment fragile qui déjà s’enfuit & sait devenir fleuve grondant charriant la boue & le dégel, les cadavres de nos angoisses & la violence de ce monde de taré-e-s.
La seule à même de lutter contre mes terreurs quand Lexomil ou Deroxat me manquèrent. Oui, elle m’a sauvé la vie & la raison un soir de Nancy quand la chouille battait son plein à côté & que je m’étais enfermé dans la piaule pour l’écouter & pleurer.
Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les bras nus
Nous ne voulons pas les entendre
On ne peut pas on n’en peut plus
Et tout seul dans le silence
D’une nuit qui n’en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n’en sont pas revenus
Du mal de vivre
La seule à même de rajouter de la joie à la joie du matin au jardin quand mai apporte la plénitude de ses lilas & de sa douceur après un long hiver.
La seule que je connaisse qui puisse être à la fois nécessaire à la nuit & à mes doutes, à l’aube & à mes illusions, à l’après-midi & au crépuscule, aux espoirs qui me hantent, au passé qui me mine & au présent que j’oublie de vivre.
Bien sûr ce n’est pas la femme. Celle qui distribue des capotes dès 1984 lors de ses concerts ; elle qui a toujours chanté l’amour ne peut accepter une maladie dont on parle à peine & qui fait crever celles & ceux qui s’aiment, celles & celles qui s’aiment, ceux & ceux qui s’aiment.
Celle qui chante une fois par mois en prison & qui est aussi intransigeante sur la température de sa loge que sur l’acoustique de la salle. Au directeur du Quartier de Haute Sécurité de Lyon qui s’offusque des rituels 19°C & du tabouret, elle répond que son public a partout droit aux mêmes égards. Un bouquet de roses portant la simple mention « Quartier des femmes, Fresnes » fut peut-être le plus bel hommage rendu à sa dépouille de novembre ; elle qui disait de Brassens qu’il grattait les cordes de sa guitare comme on secoue les barreaux d’une prison.
Celle qui refuse obstinément de chanter en plein air & que Jean-Louis Foulquier parvient à convaincre pour une de ses Francofolies. Ce soir-là, les 5000 spectateur-rice-s présent-e-s jetèrent autant de roses sur la scène au début du concert.
Ce soir je vous remercie de vous
Qu’on importe ce qu’on peut en dire
Je tenais à vous le dire
Ma plus belle histoire d’amour c’est vous
Bien sûr ce n’est pas l’indicible d’une minute ou d’une vie, moments de chansons ou larmes dans les yeux, c’est cet autiste dans l’hôpital de jour où bosse Jean-Charles & qui demande « le disque à moi » pour parler de l’Olympia ’69, c’est ce gars qui allait y passer six mois plus tard & qui pleurait dans les couloirs de la fac en me parlant d’elle, c’est Manu la théâtreuse se mettant dans sa loge avant chaque spectacle la Barbich’ des dernières années quand l’énergie & la rage suppléaient la voix, c’est une bretonne qui me prit un jour en stop dans son AX pourrie & qui n’avait qu’un immonde cassette de techno avec, au beau milieu de la face B, Attendez que ma joie revienne, c’est des gosses de 17 ans d’un quartier chaud à qui j’ai passé Göttingen en boucle dans le J9 pour aller voir un match de foot entre la France & l’Allemagne au lendemain d’un 11 novembre, c’est le Dju & nos bourrages de gueule sur Drouot, ce sont ces bars de Paris, Loctudy & Toulouse où le silence se fait quand sa voix couvre les odeurs de bière, c’est Thomas Fersen qui dit d’elle qu’elle est la plus grande chanteuse du monde puisqu’elle chante comme on berce un enfant, c’est le Bobino ’67, plus bel album au monde, Madame enchaînée avec Parce que (je t’aime), une lettre à Zidane pour ses adieux & une cousine de 10 ans qui chante les Rapaces sous le ciel noir de l’Argoat entre Oust et Brocéliande, c’est tou-te-s celles & ceux qui la chantent, c’est ma mère & Madame, c’est Elise Samir Christiane Nadia Seb & Véro-la-si-loin, c’est le prénom qu’aura ma fille de l’aurore à la nuit, c’est ce père inconnu à qui j’écrivis une fois pour demander de la thune & de l’amour & qui ne se rendra peut-être compte de mon existence qu’à l’heure de sa dernière heure, & pourtant je lui parlai de Nantes & des loups, de la pluie, des adieux & des je t’aime. Mon père, mon père. Il pleut sur Nantes, & je me souviens, le ciel de Nantes rend mon cœur chagrin.
Kassdédis & inventaire à la con. Je n’y peux rien, elle m’accompagne tous les jours depuis plus de dix ans, elle est indissociable de mes joies & de mes désamours, certain-e-s sont passé-e-s, d’autres continuent vaille que vaille à illuminer ma vie ; celles & ceux qui l’aiment ne peuvent être mauvais, c’est impensable, c’est impossible.
Alors oui, les enfants ce sont les mêmes, sous le pont Mirabeau, à Nanterre & à Göttingen, quand je parle du bout des lèvres, tu m’entends du bout du cœur, ton image me hante, je te parle tout bas, voilà que sans savoir pourquoi soudain je ris, voilà que sans savoir pourquoi soudain je vis, ma plus belle histoire d’amour, ma plus belle histoire d’amour, ma plus belle histoire d’amour, c’est toi.